Vers l’embryon artificiel : progrès scientifiques et risques éthiques

Publié le 08 Sep 2023
embryon artificiel
De nouvelles avancées dans la fabrication d’embryons artificiels viennent d’être enregistrées. Quels sont les buts de ces biotechnologies et quelles questions morales posent-elles ? Réponses avec Blanche Streb, directrice de la formation d’Alliance VITA.

 

 

En juin dernier, deux équipes de scientifiques, au Royaume-Uni et en Israël, ont annoncé avoir cultivé des modèles embryonnaires qui correspondraient au stade d’un embryon naturel à 14 jours après la fécondation. Que sont réellement ces nouvelles avancées ? 

 

Comme dans d’autres domaines, on est dans une espèce de course aux annonces, relayée par des mots alambiqués – embryon humain synthétique, embryoïdes, simili-embryons –, souvent inappropriés, qui suscitent fantasmes et illusions. Pour autant, ce type de recherche, démarré il y a déjà quelques années, mérite d’être expliqué. Pour faire simple : on cherche à créer artificiellement des « modèles » biologiques. En fait ce sont des tentatives d’agrégations et de combinaisons de cellules entre elles, en particulier de cellules souches, ces cellules aux propriétés singulières, capables de se différencier pour former la plupart des tissus de l’organisme. L’objectif est de les voir s’organiser, communiquer, pour continuer à se multiplier et à se développer en structure présentant des similitudes avec les embryons. Et ce que les équipes viennent d’annoncer, c’est avoir réussi à aller toujours plus loin dans la durée de culture artificielle, et commencer à dépasser le stade de deux semaines (possible pour l’embryon in vitro), pour tenter de mimer des périodes clés du développement embryonnaire précoce.  

D’où viennent ces cellules souches ? Question importante ! Les équipes n’utilisent pas toujours les mêmes ressources. Elles sont prélevées soit sur des embryons in vitro conçus par FIV et abandonnés à la recherche, soit sur des tissus particuliers (moelle osseuse, sang de cordon…) ou encore générées artificiellement par la technique « IPS », qui utilise des cellules adultes – comme des cellules de peau – modifiées génétiquement pour être reprogrammées en cellules souches.  

 

Quel est l’intérêt de développer ces nouvelles structures cellulaires ? Quel est l’objectif de ces recherches ?  

 

L’embryon fascine. Il y a dans ce domaine, comme dans celui des gamètes artificiels ou de la modification du génome des embryons, une forme d’hubris. Les motivations sont multiples, plus ou moins officielles, réalistes ou fantasmées. Elles visent bien sûr à acquérir de nouvelles connaissances, à comprendre certains mécanismes, à disposer de modèles pour des expérimentations. Prétendument aussi pour améliorer des traitements de l’infertilité, réduire les risques de fausse couche. Mais il faut se méfier de ce qui peut vite dériver vers l’utilitarisme ou vers de fausses promesses mises à dessein en paravent. Ces travaux visent aussi à permettre de dépasser les limites du temps de culture de l’embryon humain in vitro, communément établies à 14 jours par la communauté internationale, car cela correspond au début de l’ébauche du système nerveux. C’est aussi un moyen de contourner l’interdiction de créer des embryons spécifiquement pour la recherche.  

 

Quelles limites sont posées actuellement ? Sont-elles effectivement respectées ? 

 

Les cadres juridiques peinent souvent à penser et suivre les innovations technologiques. Mais, évidemment, l’implantation de ces modèles dans un utérus féminin reste à ce jour interdite, en France comme dans les pays où ces recherches sont menées. De toute façon, si un embryon humain qu’on laisse se développer aboutit à un individu, ce n’est pas le cas de ces modèles, qui ne sont pas issus de fécondation entre spermatozoïde et ovocyte.  

   

Quels sont les risques ? Quels problèmes éthiques soulèvent-ils ? 

 

Cela dépend des expérimentations, des intentions des chercheurs et des conséquences de ces techniques, jamais neutres. Pour les modèles qui utilisent des cellules prélevées sur des embryons humains, il y a le problème éthique de l’instrumentalisation et de la destruction d’un être humain au commencement de sa vie. Pour les autres, qui n’utilisent pas de cellules embryonnaires et sont détruits en fin d’expérimentation, ils peuvent limiter le recours à l’embryon, ce qui est positif. Mais même si les enjeux éthiques sont moindres, ils ne sont jamais nuls. Et jusqu’où va-t-on avec ces « objets vivants »? C’est vertigineux. Quelles obligations éthiques et morales face à ces modèles constitués à partir de cellules humaines, face à la question du consentement et de l’information des donneurs d’embryons ou de cellules utilisées ensuite pour ces expérimentations ? Mais aussi devant la protection des données génétiques, des données de santé des donneurs et des éventuels profits tirés de ces modèles ? On peut se demander, en tout cas, si l’intention est que ces modèles ressemblent beaucoup à des embryons normaux, pourquoi, alors, ils ne devraient pas être traités de la même manière. 

Il est fondamental de ne pas laisser les biotechnologies modifier notre regard et notre rapport au vivant et à la vie.  

 

Blanche Streb, directrice de la formation d’Alliance VITA, est l’auteur de Bébés sur mesure. Le monde des meilleurs (Artège, 2018) et Grâce à l’émerveillement (Salvator, 2023). 

 

>> à lire également : Les droits des femmes et les promesses du président

Marie Etcheverry

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