Vincent Lambert mis à mort

Publié le 24 Juin 2014
Vincent Lambert mis à mort L'Homme Nouveau

Après près d’un an de bataille juridique, le Conseil d’État a signé le 24 juin 2014 le dernier acte de l’affaire Vincent Lambert : cet homme de 38 ans, en état pauci-relationnel depuis un accident de la route en 2008, sera euthanasié.

En juin 2011, son état avait été jugé irréversible par le Coma Science Group du CHU de Liège. Depuis, six de ses frères et sœurs, son épouse et son médecin réclamaient l’arrêt des soins tandis que ses parents, un demi-frère et une sœur s’y opposaient fermement. La mort par injection létale n’étant pas légale en France, Vincent Lambert mourra de faim et de soif selon une lecture ambiguë de l’actuelle loi sur la fin de vie qui considère l’alimentation et l’hydratation comme des traitements susceptibles d’être interrompus. Prudents, les parents de Vincent Lambert avaient saisi la Cour européenne des droits de l’homme le 23 juin, en vertu de l’article 39 de la Convention européenne des Droits de l’homme qui permet, en urgence, d’obliger un État à ne pas appliquer une décision de justice « lorsqu’il existe un risque imminent de dommages irréparables en cas d’atteinte au droit à la vie (article 2) ou de traitements inhumains et dégradants (article 3) ».

Une décision politique

Ce 24 juin, donc, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il convenait de laisser Vincent Lambert mourir de faim et de soif, au nom du refus de l’acharnement thérapeutique, de l’irréversibilité des lésions du patient et de ce qu’on a pu interpréter comme un refus de vivre de sa part. L’affaire Vincent Lambert, d’une certaine manière, devait se conclure ainsi étant donné le contexte politique.

D’une part, le « droit à mourir dans la dignité » faisait partie des promesses de François Hollande lors de sa campagne présidentielle et le gouvernement a annoncé un débat sur la fin de vie d’ici l’automne 2014. Le terme de débat est un bien grand mot puisque, le gouvernement socialiste étant favorable à l’euthanasie, la teneur de la prochaine loi sur la fin de vie est déjà toute trouvée.

D’autre part, a débuté le 11 juin dernier, devant la Cour d’assises des Pyrénées-Atlantiques à Pau, le procès du docteur Bonnemaison, accusé d’avoir euthanasié sept patients en fin de vie entre février et juin 2011. Un procès long et complexe dont l’aboutissement pèsera aussi très lourd dans le débat sur la fin de vie : la justice estimera-t-elle que le docteur était dans son bon droit lorsqu’il a sciemment, et par « compassion », empoisonné sept patients sans en informer ni les familles ni le reste du personnel médical ? « Il a agi dans une grande solitude » : c’est ce que l’opinion publique semble retenir de l’affaire comme si le problème n’était pas tant d’avoir fait délibérément mourir sept patients que de l’avoir fait seul. Cet acte pourrait être légitime pourvu qu’il soit le fruit d’une décision collégiale ?

De fait, sur les plans politique et médiatique, les dés sont pipés et la partie quasiment jouée. Et pour preuve… En 2003, l’opinion publique saluait le « courage » de la mère de Vincent Humbert, jeune homme tétraplégique suite à un accident de la route. Marie Humbert avait réclamé pour lui l’euthanasie, qu’elle considérait comme un acte d’amour, et lui avait finalement donné la mort par injection létale avec la complicité d’un médecin en 2003. Quoique cette pratique soit interdite en France, la justice avait conclu à un non-lieu en 2006 tandis que la grande presse s’émouvait de l’acte de Marie Humbert et estimait que, comme mère, elle était décidément bien mieux placée que l’État pour savoir si son fils devait vivre ou non. Onze ans plus tard, l’avis de la mère de Vincent Lambert n’intéresse personne et cette femme qui s’est battue pour que son fils puisse vivre a été classée dans la catégorie « catholique traditionaliste », ce qui a suffi à rendre son avis parfaitement insignifiant. Le philosophe Fabrice Hadjadj commentait ainsi dans Le Figaro du 23 juin le poids de l’émotion dans la société moderne : « Nous assistons à un intéressant développement du meurtre par compassion: jadis, on éliminait bravement, sans merci ; maintenant, c’est au nom de la pitié, parce qu’il faut se justifier devant une conscience devenue historiquement chrétienne. Nous avons de plus en plus, selon le mot de Bernanos, “la tripe sensible et le cœur dur”, si bien que vont se multiplier des homicides larmoyants. »

Une loi ambiguë

Derrière l’aspect très médiatique de la question, c’est bien la loi Leonetti sur la fin de vie votée en 2005, qui constitue le nœud du problème. Telle qu’elle avait été présentée au moment du vote, cette loi devait à la fois condamner l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie pour faire valoir la nécessité de développer les soins palliatifs. Mais le texte est suffisamment ambigu pour laisser la place à une lecture « euthanasique » comme le montrent plusieurs décisions juridiques de l’affaire Vincent Lambert.

Le tribunal administratif de Reims considérait ainsi, dans son jugement du 16 janvier 2014 demandant de suspendre la décision d’arrêter la nutrition artificielle, que « l’alimentation et l’hydratation artificielles… nécessitent en l’espèce le recours à des techniques invasives en vue de leur administration » et donc « consistent en des traitements ». Traitements auxquels un patient pourrait donc s’opposer ou que l’équipe médicale pourrait suspendre selon les termes de la loi Leonetti de 2005. De même, le Conseil d’État, dans sa décision du 14 février 2014, considérait que « l’alimentation et l’hydratation par voie artificielle constituaient bien un traitement pouvant être suspendu dans les conditions posées par la loi. » Toute la question est donc de savoir – et cela fera partie des questions discutées à l’automne prochain – si l’alimentation et l’hydratation sont un soin dû à toute personne ou un traitement susceptible d’être interrompu en vertu du refus de l’acharnement thérapeutique. Ce sont pourtant des actes qui répondent à un besoin de base de tout être humain sans prétendre à une visée thérapeutique.

Le critère mis en avant par la justice étant le caractère « invasif » des méthodes d’alimentation, pourra-t-on cesser de nourrir n’importe quel malade alimenté par sonde ? Dans le cas précis de Vincent Lambert, il semble même que désormais, le droit à être nourri et hydraté dépend de la capacité à communiquer…

Fin de vie ?

Autre ambiguïté par rapport à la loi Leonetti : son application abusive à des cas qui ne relève pas formellement de son champ d’extension. Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune, note ainsi dans La Croix du 24 juin 2014 : « Il est important de dissocier cette affaire de la question de la fin de vie. Vincent Lambert n’est pas en fin de vie: il vit une vie à la mesure de son handicap, une vie diminuée, mais une vie qu’on nous proposera peut-être demain de tuer. Mais la société est tellement bousculée qu’on ne réagit plus. Les responsables politiques sont dans une dimension très compassionnelle, très consensuelle, mais nous sommes dans la trahison du réel. On est bien dans l’acte homicide, mais, comme on répugne à utiliser le mot tuer, on nous dit que ce n’est pas vraiment une vie et que, par conséquent, y attenter ce n’est pas tuer… ». De fait, le Conseil d’État, dans sa décision du 14 février 2014, considérait que même si Vincent Lambert n’était pas en fin de vie, la loi de 2005 lui était applicable. Lourdement handicapé et dépendant, il n’est pas pour autant atteint d’une maladie particulière évolutive ou en phase terminale. Vincent Lambert n’est donc pas condamné à mort par la maladie mais par la justice française. En sera-t-il ainsi pour les 1 500 patients français actuellement en état pauci-relationnel ?

Philippe Pozzo di Borgo est cet homme devenu tétraplégique après un accident de parapente et qui a inspiré le film Intouchables. Il déclarait le 23 juin dernier, bien conscient d’entrer, comme Vincent Lambert, dans la catégorie de ceux dont certains pensent que leur vie ne mérite pas d’être vécue : « Qu’il est surprenant d’adhérer à la lutte pour la survie des espèces menacées et de me la refuser ! “C’est un droit qu’on vous propose” me dit-on ; “c’est une option, mais qui ne vous concerne pas”, rajoute-t-on puisque vous ne demandez plus à mourir. Est-ce donc réservé aux plus humiliés, anormaux, dérangeants, inquiétants, silencieux, douloureux ? ».

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