Tarzan peut-il devenir un saint ?

Publié le 26 Fév 2019
Tarzan peut-il devenir un saint ? L'Homme Nouveau

Lettre à des éducateurs catholiques

Mes amis, Tarzan peut-il devenir un saint? Voilà une question importante pour tout éducateur chrétien. En effet, amis de Jésus-Christ, nous voulons tous travailler à peupler le Ciel et à rapprocher les âmes de Dieu. Mais comment le faire efficacement? Quel est notre rôle spécifique d’éducateurs, de professeurs? 

Pour répondre à cette question, il faut nous d’abord observer comment Dieu, dans sa grande sagesse, a organisé le monde. Il nous a, en effet, donné une intelligence pour reconnaitre, admirer et utiliser l’ordre qu’il a inscrit dans une nature qu’Il nous a commandé de dominer. Or, avant de dominer, il faut maitriser. Qui veut sculpter le bois aura avantage à étudier en détails les essences et leurs propriétés. Qui veut guérir les malades devra comprendre le fonctionnement du corps humain, de son système immunitaire et de l’impact des états d’âme sur le fonctionnement du corps.

Que devrait donc savoir l’éducateur chrétien? Quelle partie de la nature doit-il maitriser pour dominer les intelligences et les cœurs? Bref, que doit-il savoir pour répondre à notre question de départ à savoir si Tarzan peut-il devenir un saint.

Cette question ne manque pas de pertinence pour des éducateurs qui ont souvent l’impression d’enseigner à un groupe de petits primates… Blague à part, il y a une réponse à la question de Tarzan. En effet, s’il est vrai qu’on pourrait le baptiser et qu’on pourrait probablement en faire un chrétien, au sens large, et ainsi lui ouvrir les portes du Ciel, on ne pourrait certainement pas en faire un saint au sens strict. Pourquoi? Parce que Tarzan est déjà rendu à l’âge adulte et qu’il n’a développé aucune des vertus naturelles nécessaires à la vie humaine. Ses habitudes, toutes animales, n’ont ni tempérance, ni justice, ni volonté ferme, ni courage, ni droiture. Or, comme les vertus et les vices s’acquièrent par la pratique, et que les habitudes prisent dès l’enfance ont une conséquence pour toute la vie, il est à peu près impossible de réformer du tout au tout un adulte qui vient d’arriver à la Foi. 

À contrario, on pourrait beaucoup plus faire un Saint avec un moine bouddhiste ou un Samouraï. En effet, ces individus ont développé des vertus humaines (plus ou moins nombreuses) qui sont des conditions préalables au développement des vertus spirituelles du Saint. Le Moine bouddhiste trouvera facile le jeûne, la mortification. Le Samouraï trouvera tout à fait normales les idées de sacrifice, de combat, d’honneur. Conséquemment, ils seront, en quelque sorte, une terre meuble, propice à la semence de Foi. 

Est-ce à dire que les vertus chrétiennes, les vertus théologales auraient un préalable dans les vertus naturelles? Oui! La vie humaine est une construction structurée et ordonnée. La Foi et les vertus spirituelles ne remplacent pas les vertus humaines, elles les perfectionnent et les élève. Il s’agit du 2e étage d’une maison qui doit d’abord être construit sur un premier étage complet et fonctionnel.

Ce premier étage, tout fait de vertus naturelles, accessibles à tous les hommes, même les non-chrétiens, est composé de deux grandes pièces. La première, qu’on pourrait appeler la cuisine, est constituée des vertus morales cardinales (justice, tempérance, courage, prudence). Le siège de ces vertus, est dans la volonté. L’autre grande pièce, parlons du salon, est composée des vertus intellectuelles (Science ; Art ; Prudence ; Intelligence ; Sagesse). Le siège de ces vertus est dans l’intelligence. Rappelons encore une fois que ces vertus sont accessibles à tous les hommes, peu importe leur religion. Ici, le chrétien est en quelque sorte au même niveau que tous les hommes. Il doit faire les mêmes efforts, les mêmes démarches pour acquérir ces vertus humaines. Son avantage est de savoir que ces vertus ne sont pas un terme absolu, mais bien le socle sur lequel s’en grefferont d’autres, infiniment plus précieuses, puisqu’elles contiennent la vie même de Dieu. Mais dans la mesure où le Chrétien veut s’assurer que la grâce ait un effet maximum, il doit s’assurer de la présence des vertus naturelles.

Ces vertus ne sont pas pensum, œuvre crucifiante, carcan empêchant le bonheur. L’étymologie de vertu le montre bien. Vir. Mâle force ! Elle sont non seulement des forces, elles sont condition préalable au bonheur. Sans ces vertus, il est impossible d’être réellement heureux. Tarzan ne peut pas être heureux…. L’intempérant, le pusillanime non plus. Il n’est pas de bonheur naturel sans vertu. Il n’y a que triste imitation.

Oui, mais il y a le péché originel ! me direz-vous ! Le baptême lave du péché originel, il y a donc quelque chose de radicalement différent pour les Chrétiens. Oui et non. En effet, le péché originel a blessé la nature et cette blessure a de nombreuses conséquences. D’une part, elle diminue l’efficacité des vertus naturelles et rend plus difficile (pénible) leur acquisition. Le baptême aplanie une partie de ces difficultés mais ne remplacent pas la nature. Elle la purifie, sans la changer fondamentalement. 

Oui mais le Christ, me direz-vous alors, a mis fin à l’ancienne Alliance et a fait toute chose nouvelle. Sa grâce change complètement la face de la terre ! Oui, il est vrai qu’en un sens tout est changé depuis l’Incarnation. Mais cette nouveauté n’est pas une création nouvelle au sens strict, il s’agit de l’élévation d’une nature qui demeure ce qu’elle est. La preuve c’est que le Christ lui-même a pris le temps de développer les vertus humaines. Il a pris le temps d’apprendre, de choisir, de développer sa nature humaine pendant 30 ans, caché à Nazareth, avant de commencer sa mission de 3 ans. 90% de sa vie a été dans cet humble travail de la nature. Il a appris à lire, à compter, à parler… Lui, le VERBE, le LOGOS. Il a composé ses Paraboles en observant, notant et analysant les liens entre les choses. Il a appris, par cœur, la Torah. Quelle humilité. Quel exemple ! Quelle noblesse ! Pourtant, sa puissance aurait pu faire les choses autrement… Le Christ aurait pu prier pendant 30 ans. Il aurait pu ne s’occuper de choses spirituelles. Non. Il voulait suivre l’ordre de la nature. Son ordre. Sa vie divine ne remplaçât jamais sa vie humaine.

Que peut-on apprendre à cette école cachée de Nazareth ? Comme éducateur catholique, nous participons à la formation des natures humaines de nos élèves. Pour bien réussir notre travail, il faut donc éviter de deux erreurs qui menacent tout éducateur L’activisme et le quiétisme. 

D’une part, l’activisme est de croire que tout peut d’accomplir à force de bras. Par exemple, de penser que c’est à force d’efforts que nous allons créer des vocations à la prêtrise ou que nous allons faire naitre la vie spirituelle. Il y a une dimension spirituelle à la vie chrétienne qui dépasse la simple question des efforts humains. C’est la part de Dieu où l’homme est réceptacle. Aimé de Dieu d’abord. L’homme ne peut pas se tirer d’affaires seul. Il a besoin de Seigneur.

D’autre part, il y a un autre danger, tout aussi périlleux, c’est le quiétisme. C’est croire que tout s’obtient par la prière ou par des moyens spirituels. Que la solution aux problèmes de la nature réside dans le spirituel. Un enfant désordonné, ne trouvera pas l’ordre en disant le chapelet. Il va devenir ordonné en faisant des actes d’ordres. Un enfant turbulent ne verra pas d’amélioration à son état par sa première communion. C’est se tromper d’ordre. Dieu pourrait théoriquement agir ainsi, Deus ex Machina, mais il ne s’agit pas de sa méthode habituelle. Il ne l’a pas fait pour le Christ ! De manière habituelle, il respecte ses propres règles qui sont justes, sages et bonnes.

Aussi, jouer à plein notre rôle d’éducateur catholique, c’est poser un regard holistique, complet sur nos petits pupilles et comprendre où doit se situer notre action. Être éducateur c’est agir sur les vertus humaines, c’est sculpter les vertus morales et les vertus intellectuelles. Nous le faisons à titre de procurateur, puisque nous ne sommes pas les premiers éducateurs. Nous le faisons comme député par les parents qui nous demandent de compenser pour leur manque. Notre rôle est d’une importance capitale.

Un sculpteur doit avoir très clairement en tête ce qu’il veut sculpter s’il veut arriver à un beau résultat. Avons-nous bien en tête l’œuvre que nous tentons de sculpter dans l’esprit et la volonté de nos élèves. Pour former la volonté aux vertus morales, il faut discipliner les habitudes par la répétition des actes. Pour former l’intelligence aux vertus intellectuelles, il faut former la raison par la connaissance. 

En ce qui concerne les vertus morales, nous sommes très dépendants du milieu familial où grandissent nos élèves. Il faut travailler avec les parents mais souvent, il faut avouer que nous travaillons, contre eux, car certains ont de très grandes carences. C’est une situation délicate, mais il faut persévérer. Pour nous aider, il faut développer chez l’enfant un équilibre entre le corps et l’esprit. Équilibre en tout. In Medio Stat Virtus. Cet équilibre passe par un amour profond de la terre, de nos familles, de nos pays. Il faut apprendre aux enfants l’attachement à tout ce qui nous rattache à cette bonne vieille terre. Amour des traditions, amour des coutumes, des fêtes, des chants. Il faut qu’ils soient joyeux, qu’ils aiment le sport, les arts, le beau, le noble.

Pour ce qui est des vertus intellectuelles, nous sommes les premiers artisans. Nous avons en nous la science que nous devons transmettre. Ces vertus intellectuelles, premier objet de notre action d’éducateur, sont de deux types. Les vertus spéculatives et les vertus pratiques. Rappelons rapidement leur nature :

Vertus Spéculatives

L’Intelligence est ce par quoi nous saisissons les notions et les principes. Par exemple, ce qu’est un nombre pair.

La Science est l’habitus par lequel nous saisissons la vérité d’une conclusion à travers celle de ses principes. Par exemple, que six est un nombre pair, puisqu’un nombre pair est divisible en deux nombres entiers égaux, et que le nombre six répond à cette exigence.

La Sagesse, faite d’intelligence et de science, permet de connaître les notions et les conclusions les plus dignes et les plus difficiles. Par exemple, que le nombre exprimant la longueur du côté d’un carré dont l’aire est égale à deux n’est ni pair ni impair.

Vertus Pratiques

L’art est la création-invention, au niveau du mécanisme de la pensée et de l’imagination, d’une idée originale traduisible en effets perceptibles par nos sens. 

 La Prudence est un savoir-faire dans l’ordre de l’exercice de la liberté et de l’agir. Elle vise à édifier « l’Homme lui-même ». 

Et la vie spirituelle dans tout cela ? Avons-nous un rôle à jouer ? 

Premièrement, il faut rappeler que la vie spirituelle est un don gratuit de Dieu. Une perle rare qui ne s’obtient pas à coups de pioches. Elle est pure gratuité. Elle se cultive, certes. D’abord par notre exemple. Si nous prions, si nous avons une vie intérieure intense, nous rayonnons sans y penser. 

Il faut aussi, évidemment, prier pour nos ouailles. Priez comme si nos œuvres ne valaient rien. Mais aussi, agir, comme si nos prières étaient inefficaces.

Rappelons-nous cependant dans quel ordre doit d’abord se situer notre action. Travailler à former, développer, polir les vertus naturelles fondamentales de nos élèves pour permettre à la grâce de trouver un soc solide. Nous sommes d’humbles jardiniers préparant la terre pour le Semeur.

Nous le faisant en les préparant à devenir des héros, en les empêchant de devenir Tarzan, un acte à la fois. Les héros ne naissent pas du jour au lendemain. Les médiocres ne seront rien d’autres que des médiocres. Les héros sont toujours la résultante d’une longue chaine amoureuse de petites choses, de petites fidélités, de petites vertus obscures. Le Saints aura pris sa sainteté dans les vertus humaines de ses parents, de ses professeurs, de ses maitres.

Nos petits tarzans sont encore jeunes et malléables. Il est encore temps de les sortir de la jungle dans laquelle ils sont (plus ou moins) par la répétition d’actes de volonté (ordre, discipline, politesse, rigueur, droiture) et par l’intégration de la connaissance, par l’amour de la vérité. Il est encore possible d’en faire des Saints…. Mais pas sans la nature…

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