Je me suis réjoui quand on m’a dit : nous irons dans la maison du Seigneur.

Publié le 07 Déc 2019
Je me suis réjoui quand on m'a dit : nous irons dans la maison du Seigneur. L'Homme Nouveau

« Alléluia ! Je me suis réjoui quand on m’a dit : nous irons dans la maison du Seigneur. » (Psaume 121, 1)

Commentaire spirituel

Le temps de l’Avent est tout entier un temps de joie. La joie est le sentiment qui monte dans notre âme quand un être, aimé de nous, se rend présent ou nous est rendu présent, d’une manière ou d’une autre, car il y a bien des façons d’être présent : par la proximité physique ou spirituelle, par le simple souvenir, par le désir. Or durant la période liturgique de l’Avent, Dieu se rend présent à nous de ces diverses façons. En tant que l’Avent célèbre l’avènement passé du Christ selon la chair, notre joie est celle du souvenir, du mémorial. En tant que cet avènement se renouvelle chaque année dans nos âmes, le Seigneur se rend présent par son Esprit qui agit sur nous en contemporain de notre existence. C’est la vie spirituelle, et cette présence présente à tout instant se vérifie au suprême degré durant la célébration de l’Eucharistie, où le Christ se rend présent réellement, physiquement et en même temps spirituellement. Enfin, en tant que l’Avent tourne nos regards vers la venue future du Christ dans la gloire, la présence du Seigneur est celle de l’espérance et du désir. Mais voilà pourquoi tout est joie durant l’Avent. C’est par excellence, avec le temps de Noël bien sûr dont il est inséparable, le temps liturgique de la présence du Seigneur. Dans l’Apocalypse, Jésus se nomme Celui qui vient. Et notre vie est comme un grand Avent, une grande attente animée par un grand désir, celui de l’éternité. Mais notre attente est déjà comblée, un peu comme l’attente d’une maman, quand son petit d’homme est déjà présent dans son sein. Tant que l’enfant n’est pas là, on ne dit pas qu’elle attend un enfant, et pourtant cela peut être un manque très douloureux. Et puis dès qu’il est conçu et qu’il lui fait savoir sa présence, alors on dit qu’elle attend un bébé. C’est que cette attente est fondée sur la certitude d’une présence, déjà comblée par la présence de ce petit être. C’est la même chose pour nos âmes vis à vis de Dieu. Durant l’Avent, celui de chaque année liturgique comme celui de notre existence, nous attendons le Seigneur. Mais nous ne l’attendons que parce qu’il habite déjà en nous d’une certaine manière, que parce qu’il s’est révélé à nous comme le bien-aimé.

Donc l’Avent et la joie font bon ménage. Et ici, notre alléluia chante cette joie, une joie très riche. C’est une joie de l’espérance, une joie de la foi, une joie sociale, la joie d’un pèlerinage, une joie ecclésiale liée au temple du Seigneur, une joie mariale enfin, comme on va le voir.

Joie de l’espérance : bien que le psalmiste décline sa joie au présent et même au passé simple : « je me suis réjoui quand on m’a dit », cette joie relève plus formellement d’une promesse : celle d’aller vers la maison du Seigneur. Le vrai motif de la joie, plus encore que la maison, c’est-à-dire le temple, c’est le Seigneur lui-même qui habite en cette maison. La joie c’est d’aller vers le Seigneur en sa maison.

Cette joie de l’espérance est aussi une joie de la foi : car c’est sur le témoignage qu’elle est fondée : « je me suis réjoui quand on m’a dit ». Joie de l’obéissance, joie de la tradition, joie de la transmission d’une expérience : aller vers la maison du Seigneur est source de joie, de génération en génération, alors même que cette joie est encore inconnue de l’âme quand elle se rend pour la première fois dans la maison du Seigneur.

La joie de notre alléluia est une joie sociale. Même si elle est exprimée au singulier, sa réalité est partagée, elle est communautaire : nous irons dans la maison du Seigneur. C’est une joie de pèlerinage, la joie de l’effort commun vers un même but, aimé et désiré. Il est aisé de se souvenir de la joie très particulière de nos pèlerinages, quand on parvient au but en chantant, quand l’amour fraternel devient aisé et fécond après la longue épreuve de la route interminable.

Au bout de notre joie, il y a le temple, le lieu de la présence du Seigneur, le lieu de la rencontre. Au bout de notre joie, il y a l’église. Quand la liturgie évoque Sion, Jérusalem, le temple, il s’agit pour nous à la fois de l’Église notre mère, du ciel, notre patrie définitive, de Marie enfin. Voilà pourquoi, la joie de l’Avent est mariale. Aller vers le temple du Seigneur, c’est marcher, courir vers Marie qui nous montre son Fils et nous le donne.

Il y a tout cela dans le texte de notre alléluia, et c’est parce qu’il y a tout cela que notre joie est immense. Mais la source la plus intime de cette joie, c’est l’amour, celui que nous éprouvons pour le Seigneur et qui nous pousse vers sont temple où il réside, et plus encore l’amour que le Seigneur éprouve pour nous et qui nous attire à lui irrésistiblement.

Commentaire musical

Laetatus sum

La mélodie de l’alléluia du 2ème dimanche de l’Avent est originale et particulièrement bien adaptée à la période liturgique si discrète que nous traversons. La joie qui vient d’être évoquée pourrait aisément se revêtir d’enthousiasme. Mais l’Avent est plutôt une période de profond recueillement et la joie qui la caractérise est discrète et douce. Cet alléluia du 1er mode est simple et lumineux, sans éclat, mais joyeux pourtant dans sa délicatesse et sa pureté. Je dirais qu’il est très marial, justement, et qu’il se met  et nous met au diapason de la joie de l’attente que la jeune Vierge Marie a vécue durant neuf mois, cette joie qu’elle a su communiquer à l’Église et que nous sommes invités à imiter pour recevoir avec fruit le Fils de Dieu dans nos âmes et dans nos communautés familiales, paroissiales ou religieuses.

L’alléluia se compose d’un jubilus sobre en longueur mais pourtant très beau et très expressif, et de deux phrases mélodiques, dont la première est plus légère et élancée, la seconde plus ramassée et chaude. Voyons cela en détail.

L’intonation est vive. Cette vivacité lui vient de sa brièveté et de l’ampleur de ses intervalles. Brièveté : chaque syllabe est affectée d’une à trois notes maximum (trois pour l’accent, deux pour l’accent secondaire, une seule pour les deux syllabes faibles). Ampleur : deux intervalles de quarte propulsent très rapidement le chant de la tonique Ré à la dominante La, en passant par la sous-tonique Do et le Sib aigu qui confère à cette belle formule une grâce de douceur très expressive. Il faut donc donner cette intonation avec élan, de façon légère, en épanouissant bien l’accent puis le Sib qui précède la retombée délicate sur la cadence en La. Dès la fin de cette intonation, le jubilus se prolonge dans un grand legato, d’abord par degrés conjoints, puis en ménageant bon nombres d’intervalles de tierce, ce qui permet d’allier la douceur et l’élan, la joie et la paix. C’est ainsi que la mélodie navigue avec grande légèreté entre le Do aigu et le Do grave, dans la lumière des tierces majeures (Fa-La ; Mi-Do) et la douceur intime des tierce mineures (Si-Sol ; La-Do ; Sol-Mi). La finale évoque, par sa montée sobre mais ardente, jusqu’au double Sol, le grand désir qui soulève l’âme chantant son Dieu et se réjouissant d’aller le visiter dans son temple. Au total, un très beau jubilus, très pur, très chaleureux, très lumineux et en même temps très intérieur, très délicat.

La première phrase reproduit l’élan de l’intonation, entre le Ré et le La, avec l’emploi des mêmes cordes, élan qui convient très bien au verbe lætatus qui exprime la joie. Il faut donner beaucoup de légèreté à ce verbe comme au bref récitatif sur le La de in his quæ, en goûtant bien pour finir l’accent de dicta, dont la finale est très originale et mérite d’être analysée. Une fois le Do atteint à partir du La, on revient sur le La, puis on descend par degrés conjoints, très régulièrement, avec retenue, très sagement, je dirais, jusqu’au Mi. Puis, à partir de ce Mi, une remontée jusqu’au La précède une curieuse mais charmante cascade de tierces entrecroisées de secondes remontantes qui produit un très bel effet, et qu’il faudrait se garder surtout de précipiter. (La-Fa ; Sol-Mi ; Fa-Ré). La phrase mélodique se conclut sur mihi, c’est-à-dire sur la mention de l’âme, en un mouvement d’intériorisation que la mélodie rend très bien. On saisit là sur le vif la grâce propre du chant grégorien, capable d’allier très rapidement la légèreté presque sautillante et la profondeur calme et douce d’un retour à la tonique du mode. Tout cela est très beau, très priant, plein d’enseignements sur la joie chrétienne qui peut être très pure mais qui, pour être vraiment féconde doit toujours s’achever dans l’intime de l’âme et non demeurer et se disperser dans l’extériorité, au risque de se perdre et de s’évanouir.

La deuxième phrase, on l’a dit déjà, est plus ramassée, elle commence au grave, piano, dans l’intériorité acquise à la fin de la dernière phrase. Le thème de la maison qui est chanté invite d’ailleurs au recueillement. Les trois petits mots, in domum Domini sont donc revêtus d’une mélodie chaleureuse et plutôt grave, ce qui n’empêche pas de beaux élans, comme celui de la finale de domum, car enfin, cette perspective d’aller visiter le Seigneur en son Temple a bien de quoi faire tressaillir l’âme fidèle. On doit donc sentir beaucoup de ferveur et de désir dans cette montée de domum si expressive. Mais sur Domini, la mélodie se resserre à nouveau. C’est comme si la porte de la maison se refermait sur l’intimité de l’époux et de l’épouse. La mélodie traite avec pudeur ce nom du Bien-aimé qui comblera de délices l’âme parvenue jusqu’à lui. Un élément mérite d’être relevé dans cette mélodie de Domini : le motif central, à partir du Fa pointé jusqu’au pressus sur le La, reprend exactement celui du jubilus de l’alléluia, dans la dernière incise, mais un degré plus haut, ce qui amène une cadence en Mi, très contemplative, qui donne à ce passage quelque chose d’inachevé, d’illimité, d’infini, comme le bonheur de l’intimité qui sera vécue au ciel, dans l’accomplissement de l’alliance, pour chacune de nos âmes.

Mais tout cela n’est encore qu’une promesse, et la mélodie reprend le thème joyeux du jubilus sur le verbe au futur ibimus, en ménageant, grâce à la note longue sur le Fa, dotée d’un crescendo plutôt doux, une sorte de transition très heureuse entre la douceur contemplative et amoureuse de Domini et la joie délicate du motif du jubilus qui ne reprend totalement ses droits qu’avec l’intervalle Sib-La, juste avant l’envolée paisible déjà commentée plus haut. Cette joie de la promesse contenue dans le verbe ibimus (nous irons), joie qui unit toutes nos âmes dans une grande confiance correspond si bien à la joie de la louange chantée sur le mot alléluia !

Cet alléluia grégorien cache en lui des trésors de vie spirituelle. Il associe de façon très profonde la joie sociale du pèlerinage vers le temple aux délices intimes de la vie contemplative, en présence du Seigneur, Époux des âmes. La mélodie suggère cette interprétation qui n’est pas explicite dans le texte, et c’est en cela que l’Église dans sa liturgie et le chant grégorien en particulier, composé par des auteurs mystiques autant qu’artistes, on en a ici la preuve, se révèle une incomparable maîtresse de vie spirituelle. J’ajoute pour finir, que ce chant, à cause de tout ce qui a été dit, est aussi profondément marial : la Vierge Marie, dont le sein est devenu le temple de la nouvelle alliance, la chambre nuptiale en laquelle s’est réalisé le mariage entre Dieu et l’homme par l’incarnation, est bien ce paradis spirituel vers lequel l’Église marche en chantant sa joie. Aller à Marie, c’est aller vers la maison du Seigneur, c’est aller avec assurance vers la joie de la rencontre éternelle.

Vous pouvez écouter l’Alleluia ici.

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