La participation active aux saints mystères, c’est la grande et exigeante « idée-force qui traverse toute la Constitution sur la liturgie et la porte », a-t-on écrit. Oui, cela se dit souvent : l’expression en souligne le grand enjeu, mais la définir et en préciser la portée est plus difficile.
Pour cela, le mieux est d’écouter saint Pierre nous parlant de notre « participation à la nature divine ». Prenons l’expression dans son contexte : nous sont assurées « ces grandes et si précieuses promesses à nous données, afin que nous devenions ainsi participants de la nature divine, soustrait à la corruption qui est dans le monde, dans la convoitise » (II P 1, 4). Notre participation aux saints mystères, pour parler avec le sérieux de nos maîtres dans la foi, c’est alors quelque chose d’immense, mais aussi une réalité simple de la redoutable simplicité divine, face à nos multiples complications intimes. C’est pourquoi notre raisonnement restera toujours en-deçà d’un tel trésor. Il n’en demeure pas moins qu’il faut le recevoir de façon ordonnée et en grand respect, car cette haute réalité touche l’indicible jardin secret où règne le Bon Dieu de par notre baptême qui nous fait enfant de Dieu.
Saint Benoît a forgé un adage qui dicte l’attitude exacte en matière liturgique : « Que l’esprit soit d’accord avec la voix » (Règle c. XIX). Une telle adéquation ne s’improvise pas, mais notre vie de foi nous y donne accès. Dans son maître-livre associant vie spirituelle et liturgie, Mère Cécile Bruyère, la première abbesse des moniales de Solesmes, use volontiers de cette notion de participation pour l’appliquer à notre âme. Elle remarque, à ce sujet, que l’Église dit sa pensée, surtout dans les postcommunions de la messe. Et elle cite saint Denis, replaçant la participation active en la rattachant à sa source, à savoir l’Incarnation par laquelle Dieu Lui-même prend part à notre aventure humaine : « Le Seigneur, sortant du secret de sa divinité, s’est amoureusement fait semblable à nous, en prenant, mais sans l’absorber, notre humanité entière ; il revêt notre nature composée, sans altération de son essentielle unité et, par un effet de cette même charité, il convie le genre humain à la participation de son essence et de ses propres richesses, pourvu que nous nous unissions à lui, en nous appliquant à imiter sa vie divine, car ainsi nous serons véritablement associés à la divinité, et nous partagerons ses biens » (La Vie Spirituelle et l’Oraison, ch. V).
Une notion qui remonte à saint Pie X
Cette notion de participation active dans la liturgie est apparue dans les textes du magistère depuis saint Pie X : le premier acte de ce pape fut de redonner à l’Église son répertoire de chant sacré, en réhabilitant le grégorien restauré par les moines de Solesmes. Son Motu proprio, rédigé en italien (Tra le sollecitudini), parle de « partecipazione attiva » là où l’édition officielle en latin dit « accomodatio actuosa ». Un peu flou par conséquent, le vocabulaire fut précisé lors du concile Vatican II (sessions de 1962 et 1963) : et c’est donc à bon escient que la Constitution Sacrosanctum Concilium a choisi en latin la formule « participatio actuosa ».
La rédaction du chapitre du texte officiel sur la Musique Sacrée (ch. VI) a été confiée à un prélat allemand, nommé à cette fin expert au Concile par saint Jean XXIII. Ce dernier est donc bien placé pour préciser la portée exacte du vocabulaire retenu. Pour lui, réduire le débat, comme on le fait souvent, à une simple participation gestuelle ou vocale, cela « méconnaît la nature spirituelle de l’homme ». L’ACTIO à laquelle renvoie l’expression est l’action la plus haute puisqu’elle a son origine en Dieu. Ce prélat prend un exemple suggestif, à savoir le Benedictus de Bruckner, chanté après la consécration : ce chant saisit l’auditeur pour élever son âme vers Dieu et l’introduire au cœur du mystère eucharistique. La grande réalité qui s’accomplit alors en tous et en chacun relève du cor unum et anima una des origines : les premiers fidèles n’avaient qu’un seul cœur et une seule âme.
Le risque de contresens
Du coup, pour ce témoin des assises conciliaires, traduire actuosa participatio simplement par participation active, c’est donner manifestement à la coopération extérieure un accent trop fort : et voilà un contresens qui a la vie dure. Ainsi, Jungmann, le très érudit liturgiste allemand, estime à juste titre que la musique d’Église est le lieu crucial, le plus sensible et le plus concerné par la réforme liturgique. Mais, hélas, pour lui, la simple présence d’une chorale (à la tribune ou placée à part) met en péril la liturgie en tant qu’elle supprime la participation « active » que devrait y prendre le peuple.
Le magistère ne cesse de dénoncer ce contresens ; le cardinal Sarah y est revenu souvent. À diverses reprises, spécialement dans l’Esprit de la Liturgie, le futur Benoît XVI insistait déjà sur ce point essentiel : dans la dernière partie, son analyse hisse le niveau à l’Opus Dei, formulation antique pour désigner la liturgie ou les saints mystères : l’Opus Dei est à la fois « ACTIO » et « ORATIO » de Dieu à notre endroit, surtout lors de la Prière eucharistique (ou Canon de la messe, texte fixé). Dieu vient à nous par la communion à laquelle nous prenons part en proportion de notre ouverture aux dons divins.