La ligue vertueuse des nouveaux refus
À peine élus, les nouveaux maires écologistes de Lyon et de Bordeaux ont réussi à faire parler d’eux dans une sorte de tir groupé. Le premier, le maire de Lyon, Grégory Doucet, a refusé de participer à la traditionnelle cérémonie du renouvellement du vœu des Échevins à Fourvière. Depuis 1643, les édiles de la cité remettaient, en effet, un (faux) écu d’or à l’archevêque en souvenir des grandes épidémies de peste et de la protection accordée par la Vierge Marie. Pour Doucet, c’était trop : « le maire de Lyon n’a pas à participer ou à se soumettre à une cérémonie religieuse. » Le motif invoqué était bien sûr le respect de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État. Visiblement, personne n’a expliqué au maire qu’il s’agissait de la commémoration d’un événement historique, à la limite du folklore, et non d’un acte strictement religieux.
Mais dont acte ! Sauf que le 9 septembre, le même Grégory Doucet a posé la première pierre de la nouvelle mosquée de Gerland. Cette fois-ci, au nom de la liberté de conscience, le maire de Lyon arguant du motif que « l’autorité publique a le devoir de protéger les fidèles qui veulent pratiquer leur religion, comme elle doit protéger ceux qui ne veulent pas pratiquer. Ou qui ne veulent pas croire ». Au moins, les choses sont claires.
À Bordeaux, le nouveau maire, Pierre Hurmic, s’en est pris, lui, au sapin de Noël qu’il ne fera pas dresser cette année pour des questions de coût et parce qu’il s’agit d’un « arbre mort ». Tout à son agenda d’écologisme politique, il a visiblement oublié que la mort, dont celle des arbres, est un fait de nature et que les traditions sociales et culturelles, pour ne pas parler des traditions religieuses, relèvent de la nature de cet étrange animal qu’on appelle l’homme.
Le cœur atomique de la modernité politique
État révélateur du processus de sécularisation, la disparition du sapin de Noël bordelais a déclenché beaucoup plus de réactions que le refus lyonnais de participer au vœu des Échevins. Dans les deux cas, les zélotes de l’écologisme politique s’attaquent pourtant à nos traditions nationales et religieuses, faisant fi du patrimoine transmis et perpétué.
Faut-il s’en étonner ? Pour notre part, il est clair que nous préférerions que les autorités politiques du pays, jusqu’au sommet de l’État, reconnaissent explicitement la royauté sociale du Christ et celle de la Vierge Marie. Il est évident que nous aimerions plutôt voir dresser dans nos villes et villages « l’arbre de vie » et nos édiles à genoux devant l’Enfant-Jésus à Noël. Nous en sommes évidemment très loin.
La société écologique prend le pas aujourd’hui sur la société de consommation, non sur ses ruines ou sur le vide laissé par sa disparition, mais sur la nécessité de trouver un autre paradigme idéologique qui donne du sens, là où la consommation était d’un horizontalisme plat et désespérant. Mais la matrice est toujours idéologique, c’est-à-dire profondément moderne, égalitaire et matérialiste. Et comme sous la Révolution, ceux qui ne marchent pas au pas sont considérés comme des inciviques, non plus ennemis du genre humain, mais de la planète. Comme l’écrivait Jean Baudrillard, cette matrice idéologique toujours à l’œuvre s’appuie « sur les principes individualistes, fortifiés par la Table des Droits de l’Homme et du Citoyen, qui reconnaissent explicitement à chacun (à chaque individu) le droit au Bonheur »1. Plus que sur la suppression du sapin de Noël ou le refus du vœu des Échevins, c’est contre le cœur atomique de la modernité politique qu’il conviendrait d’agir.
Vive le vieux vin de vigne…
À la grisaille de l’idéologie, nous préférons décidément la joie réelle du catholicisme, fondé pourtant sur le sacrifice. Dans son célèbre poème, The Catholic Sun, l’écrivain et historien franco-anglais Hilaire Belloc écrivait très justement : « Partout où brille le soleil du catholicisme, on trouve l’amour, les rires et le bon vin. » Cette mention du vin n’a rien d’arbitraire de la part de ce grand amateur de la dive bouteille qu’était par ailleurs cet ami de Chesterton. Comme le montre le dossier de ce numéro, le vin est effectivement au cœur du christianisme et de la civilisation qui en est issue. Dans un livre qui vient de paraître, La Planète catholique2, Jean-Robert Pitte, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques, réaffirme le lien du vin avec l’orthodoxie doctrinale (la transsubstantiation) aussi bien qu’avec la réjouissance devant les biens de la Création. C’est aussi une autre façon, plus ancienne et plus traditionnelle, de relier le Ciel à la terre, sans passer par la case idéologie. N’hésitons donc pas en cette période de vendanges.
1. Jean Baudrillard, La Société de consommation, Folio/essais, 320 p., 9,10?€, p. 60.
2. Jean-Robert Pitte, La Planète catholique, Tallandier, 476 p., 25,90 €.