La pause liturgie | “Ne derelinquas me” du 31ème dimanche per annum

Publié le 24 Oct 2020
La pause liturgie | Introït Hodie scietis (Vigile de Noël) L'Homme Nouveau

« Ne m’abandonne pas, Seigneur mon Dieu, ne t’éloigne pas de moi. Viens à mon secours, Seigneur, force de mon salut. Seigneur ne me reprends pas dans ta fureur, ne me corrige pas dans ta colère. » (Psaume 37, 22, 23, 2)

Commentaire spirituel

Le psaume 37 (38 selon l’hébreu) est un des sept psaumes dits de la pénitence. C’est une supplication ardente qui monte vers Dieu d’une âme atteinte profondément dans sa vie par le double danger d’une maladie et d’ennemis qui la menacent de toutes parts. Le compositeur a retenu deux versets qui constituent le corps de l’introït : l’un est une prière sous forme négative, l’autre une demande positive. Mais ces deux formules sont ponctuées par une invocation très touchante adressée au Seigneur, qui montre bien la foi profonde de cette âme éprouvée. Elle dit « Seigneur mon Dieu » dans le premier verset, puis « Seigneur, force de mon salut » dans le second. Notons au passage que le texte latin de notre introït présente trois légères variantes par rapport au texte de la Vulgate : ne discédas a me au lieu de ne discésseris, d’une part ; ensuite, Intende in auxílium au lieu de in adjutórium ; et enfin, Dómine virtus salútis meæ au lieu de Deus salútis meæ. Ces variantes témoignent sans doute de l’antiquité de cette composition qui a sans doute emprunté son texte à une version plus ancienne que celle que nous utilisons, soit celle des toutes premières versions latines, groupées sous le nom de  Vetus Itala (datant des tout premiers siècles du Christianisme) soit de la première révision par saint Jérôme des ces antiques versions, version appelée Psautier romain car Rome l’adopta très rapidement. Saint Jérôme fit par la suite une seconde révision de psautier qui est devenue notre Vulgate, et même une troisième, directement réalisée sur l’hébreu, mais qui ne s’imposa pas dans l’Église latine. Quoiqu’il en soit de ces détails d’ordre philologique, ces différences de versions, jointes aux libertés que prenaient assez spontanément les compositeurs antiques par rapport à la littéralité du texte sacré, font que les pièces grégoriennes présentent parfois un texte chanté souvent un peu différent du texte écrit dans le Missel Romain.

Mais revenons à nos demandes implorantes. La première exprime la crainte de l’âme qui redoute de perdre son Dieu et avec lui, sa vie et toute raison d’être, tout support. « Ne m’abandonne pas, Seigneur mon Dieu, ne t’éloigne pas de moi. » Nous savons que Dieu ne saurait abandonner celui qui se confie en lui. C’est là une impossibilité qui tient à l’être même de Dieu qui est Amour. Si Dieu cessait un seul instant de nous aimer, s’il nous lâchait l’espace d’une fraction de seconde, le monde entier serait pulvérisé et réduit à néant. Le seul spectacle de la durée des êtres nous prouve l’amour de Dieu. Alors pourquoi cette demande qui a résonné tout au long des siècles et qui a même trouvé un écho si puissant dans le cœur de Jésus sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Il y a une double réponse : l’âme demande au Seigneur de ne pas l’abandonner, c’est-à-dire de ne pas se trouver elle-même en situation de lâcher le Seigneur, de refuser son aide et son amour. En faisant cette demande, on veut se garantir contre notre propre faiblesse, notre fragilité, notre infidélité. Mais aussi l’âme demande car elle ne voit pas l’œuvre de Dieu, sa présence à ses côtés, elle ne le sent pas. Alors, naturellement elle a peur et elle dit sa peur. C’est une prière profondément humaine et touchante. Non pas le cri d’un athée qui en viendrait à douter de la présence de Dieu, mais celle de l’enfant qui a conscience de tout perdre s’il perd sa maman ou son papa. C’est un cri d’amour : « ne me quitte pas », qui va si bien avec l’appellation affectueuse qui le suit : « Seigneur mon Dieu ». Oui, parfois, dans notre vie, nous ne sentons pas la présence de Dieu à nos côtés, nous ne voyons pas qu’il est là, spécialement quand nous souffrons ou quand ceux que nous aimons souffrent et pleurent. Mais quelle différence entre cette prière pleine d’amour et le refus, le rejet, qui jaillirait du cœur de celui qui ne veut plus y croire ! Dire à Dieu « Ne m’abandonne pas », c’est reconnaître qu’il est là et c’est lui dire qu’il est tout pour nous. C’est un langage amoureux, c’est beau !

Quant à la demande positive : « Viens à mon secours, Seigneur, force de mon salut », elle est plus simple à comprendre, évidemment, mais non moins essentielle : la Liturgie des Heures depuis les moines du désert jusqu’à nos jours, l’a placée au commencement de chaque office pour bien montrer que l’œuvre de Dieu, comme on dit, ne peut s’accomplir sans sa présence active, c’est-à-dire sans sa grâce. C’est une prière d’humilité et la parfaite disposition de l’âme à recevoir de Dieu le don de son amour. Appuyée non sur elle-même mais uniquement sur son bien-aimé, l’âme attend tout de lui avec une confiance qui ne sera pas déçue. Elle le sait et elle en use !

Commentaire musical

Gregorien 1721 1

Ce bref introït est emprunté au 7ème mode. Les grandes barres coupent la pièce de façon assez curieuse par rapport au texte. La première phrase mélodique correspond à Ne derelínquas me, Domine Deus meus. La seconde unit la fin de la prière négative au début de la prière positive : Ne discédas a me, inténde in adjutórium meum. Et enfin, la troisième phrase mélodique concerne seulement les mots Dómine virtus salútis meæ. On peut être surpris par cet agencement, et on est bien obligé de reconnaître qu’il ne coïncide pas parfaitement non plus avec la ligne mélodique et le jeu de ses cadences.

L’intonation unit de façon assez classique la finale du 7ème mode, le Sol à la dominante, le Ré, en une formule assez élancée, mais où perce déjà néanmoins une certaine anxiété correspondant bien au texte. Il ne s’agit donc pas d’un élan joyeux mais plutôt d’un cri lancé vers le ciel. L’accent du verbe derelínquas doit être bien mis en valeur et le bref récitatif sur la corde Ré ne doit pas être trop précipité, de façon à faire sentir, au-delà de l’élan mélodique initial, le poids de l’âme qui implore son Dieu. Il en va de même au début de l’incise suivante : Dómine est un premier sommet de la pièce, mais il s’agit d’un sommet poignant plutôt que joyeux. Reconnaissons pourtant que l’emprunt au 7ème mode corrige forcément l’impression d’accablement, comme si le compositeur avait voulu encourager l’âme par une mélodie aérienne qui, de soit, ne colle pas très bien avec le texte. En tout cas, il n’est quand même pas question de fanfaronner, c’est sûr ! Mais il y a moyen de rendre, dans l’union du texte et de la mélodie, la grande confiance qui anime l’âme éprouvée et inspire sa prière de supplication. La formule de Dóminedoit être très fluide, très legato, et elle se déploie toute à partir de l’accent bien lancé, sans qu’on sente ensuite aucunement le note à note ni les ictus successifs : tout doit être très uni dans cette vocalise.

La mélodie de Deus meus, à partir du Sol où nous a ramenés la fin de Dómine, s’élève de façon très poignante, surtout sur meus qui culmine à nouveau jusqu’au Fa, le demi-ton Mi-Fa donnant à cet adjectif possessif un caractère très expressif, nuancé d’une forte tendresse. Et c’est sur la cadence en Ré, tout là-haut, que s’achève la première phrase. On peut penser toutefois que la grande barre, ici, n’a pas une valeur très décisive. On sent bien que la mélodie, comme le texte, continue vers la suite sans qu’il y ait rupture.

Cette deuxième phrase unit, comme on l’a dit, la fin de la prière sous forme négative au début de la prière positive. Cette jonction se fait sur la corde Do, à l’aigu, sur un passage très léger, presque entièrement syllabique, de sorte qu’il n’y a pas moyen de séparer ces deux demandes. C’est habile de la part du compositeur qui unit ainsi, en un seule et même acte de confiance la crainte de voir le Seigneur s’éloigner et l’appel au secours. Toute cette deuxième phrase se meut à l’intérieur de la tierce Do-Mi, à l’exception du Si initial sur la clivis de ne et de la formule mélodique conclusive de meum. Il y a pourtant une intensité certaine dans ce récitatif qui va, d’accent en accent (discédasinténde, tous deux marqués par un podatus), vers celui de adjutórium qui représente le sommet de cette brève deuxième phrase. Tout est léger, bien sûr, mais non précipité et le courant intensif se fait très sensible jusqu’à la fin du mot adjutórium. Le dernier mot, meum, ramène la mélodie à une formule classique de cadence, plus large, mais très heureuse aussi sur l’adjectif possessif meum, qui répond, dans la confiance, à celui, plus poignant de la fin de la première phrase. Là encore, la grande barre n’a qu’une importance relative. Il ne convient pas de s’arrêter trop longtemps, car la prière est une et se poursuit naturellement sur Dómine.

Cette troisième et dernière phrase est plus chargée en neumes et se différencie nettement de la précédente, l’adjectif meum ayant fait la jonction, comme on l’a remarqué. Le nom du Seigneur, Dómine, est très enveloppé sur chacune de ses syllabes et la finale en grande descente exprime la confiance et l’ardeur de l’amour de l’âme. Ce passage est donc plus large, plus appuyé, plein de complaisance et un crescendo se fait sentir dans la descente vers le Sol, crescendo qui conduit vers l’accent très ferme de virtus. La syllabe finale de ce même mot permet de redonner du mouvement, un mouvement qui se nuance d’enthousiasme sur le mot salútis, très ferme et en montée vers le tout dernier mot, très enveloppé lui aussi, qui reproduit de façon très belle et très expressive la mélodie de la syllabe finale de Dómine. C’est comme si l’âme s’identifiait avec le Seigneur dont elle reçoit le salut et la force. La cadence finale de la pièce est ferme et pleine de certitude, comme toute cette dernière phrase.

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