La récente interview télévisée du prince Harry et de sa femme Meghan par Oprah Winfrey a déjà été longuement commenté tant cet « événement » médiatique révèle l’état d’un monde où les « élites » se plaignent en direct de leurs « malheurs ». Dans Valeurs actuelles (13 mars 2021) Jean-Marc Albert revient sur ce dernier épisode de la « société du spectacle ».
C’est le feuilleton futile que personne ne prétend avoir suivi mais que tout le monde a regardé. Rien ne manquait à ce nouvel épisode de Santa Barbara : décor kitsch, larmes sur commande de Meghan, sidération et silence surjoués d’Oprah Winfrey, grande gagnante financière de cette opération de com’, et surtout une attaque en règle de l’ancienne puissance coloniale. Le scénario est creux et les ridicules accusations masquent mal le projet du couple princier de sortir de l’anonymat dans lequel le silence indulgent de la reine d’Angleterre les avait laissés depuis leur exil vers les États-Unis. On ne parlait plus d’eux… sauf en mal. Il fallait donc qu’ils se mettent de nouveau sous la lumière médiatique qu’ils prétendaient fuir à Londres. Mais en guise de drame shakespearien, on a subi l’exhibition victimaire et infantilisante des états d’âme d’une actrice qui tentait d’imiter Diana jusqu’à porter son bracelet. Au cours de cet entretien « intime », digne de la société du spectacle, rien ne fut épargné à la couronne britannique – absence de compassion, mépris et surtout racisme dont l’accusation avait déjà effleuré le New York Times en 2020 — au moment même où la reine s’adressait au Commonwealth. De quoi faire vaciller la couronne ? C’est oublier que sa longue histoire, avec ses gloires mais aussi ces vicissitudes, est aussi le gage de sa pérennité. (…)
Élisabeth incarne l’histoire de la monarchie en laquelle les deux exilés américains refusent de se reconnaitre. Eux n’y voient qu’une « firme », détournant ainsi le sens que lui donnait Georges VI — la répartition des fonctions protocolaires au sein de la famille royale — en un système quasi complotiste. Revendiquant le droit à la continuité historique de leur peuple, les Anglais ne peuvent qu’être furieux de voir les Sussex s’affranchir de ce passé commun au moment où une nouvelle page s’ouvre avec le Brexit. Megan et Harry auraient pu effectuer leur retraite dans l’arrière-pays de leur apanage du Sussex. Mais en choisissant les États-Unis, un pays sans passé féodal, ils renoncent à la force symbolique de leur titre ducal qui les enracinait dans ce territoire. À la verticalité monarchique, ils choisissent l’horizontalité du nouveau monde américain. Délestés du poids de la tradition britannique, ils peuvent vivre de leur seule renommée, comme les stars américaines dont il partage le goût pour la vie fastueuse et l’impérieuse obligation morale pour les causes à la mode, de préférence caritative et écologique mais sans renoncer au plaisir des jets privés. Malgré l’éloignement géographique, des affaires de harcèlement sur le personnel se rappellent au souvenir de la duchesse qui a du mal à se défaire de la capricieuse réputation qu’elle a laissée au palais. Surnommée « Me-Gain », on lui reproche aussi le coût astronomique de la réfection eco-friendly de son cottage.
Ce n’est pas seulement pour échapper à la pression médiatique qu’ils ont quitté l’enfer de Buckingham mais parce qu’ils se sentaient privés de liberté comme les Anglais l’ont été avec le confinement. Ils apprécieront. Meghan partage la pénibilité de sa vie palatiale au frais du contribuable. En réalité, ils voulaient s’affranchir des contraintes de la royauté tout en en gardant les privilèges comme si l’on pouvait choisir des menus à la carte. Les rumeurs d’abdication, devenue signe de modernité parmi les princes européens, cadrent mal avec la conception victorienne qu’Elizabeth se fait de la notion de devoir. Convaincue que le pouvoir s’incarne dans un corps sacré, la reine se sent investie d’une mission divine qu’elle doit mener jusqu’au terme de sa vie. Ni le précédent édouardien, ni les affres de sa famille ne devraient l’inciter à abdiquer en faveur de son aîné.