> Enquête Quas Primas
Dans le cadre de son enquête sur le Christ-Roi, cent ans après l’encyclique Quas Primas du pape Pie XI, L’Homme Nouveau remercie la Très révérende Mère abbesse de Notre-Dame de l’Annonciation du Barroux de nous avoir confié cette belle méditation, donnée aux moniales pendant le dernier Avent et consacrée à l’attente du vrai Roi.
Le monde cherche un Roi
À quoi aspirent les gens autour de nous, mornes souvent, si tristes parfois ? Pauvres gens ! S’ils pouvaient voir clair en eux-mêmes, ils verraient qu’ils désirent un roi. Ils voudraient un roi. Un roi qui veillerait sur leurs intérêts, qui aurait souci de leur bien véritable, qui les conduirait en chemin, eux qui errent ou qui restent assis, découragés, dans les ténèbres et à l’ombre de la mort.
Au début de son Traité sur le Gouvernement des Princes, saint Thomas d’Aquin enseigne que toutes les choses sujettes aux fluctuations, tous les êtres qui ne vont pas nécessairement à leur fin, exigent, pour atteindre cette fin, quelqu’un qui les gouverne, qui les régisse – à la lettre, un « roi », rector, rex – comme « il faut un pilote au navire pour le conduire au port ».
Que faut-il comprendre par ces « choses sujettes aux fluctuations, ces êtres qui ne vont pas nécessairement à leur fin » ? Tous les êtres sortis des mains de Dieu ont été créés dans un but déterminé. Chacun a son rôle à jouer dans la réalisation du plan conçu par le Créateur, c’est là sa « fin ».
Mais si tous ont une fin, tous n’atteignent pas cette fin de la même façon. Les pierres, les plantes, les animaux vont à leur fin « nécessairement ». Les autres êtres – les anges, les hommes – vont à leur fin « librement ». De ce fait, ils ont le pouvoir de se dérober au plan divin et de manquer volontairement le but que Dieu leur a fixé.
Notre fin, c’est la vie éternelle. Hélas, en chemin nous pouvons nous perdre, c’est même assez facile. Pour nous diriger, il nous faut un guide, un chef, un « roi », comme « il faut un pilote au navire pour le conduire au port ».
Qui sera ce Roi ?
Avez-vous pris garde à la déclaration de l’archange Gabriel à la Vierge Marie ? « Voici que vous concevrez dans votre sein et vous enfanterez un fils, et vous l’appellerez du nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé le Fils du Très-Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père, et il régnera éternellement sur la maison de Jacob. Et son règne n’aura pas de fin. »
« Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père. » Jésus-Christ était de race royale : il appartenait à la famille de David. David avait été choisi directement par Dieu, sacré sur son ordre exprès, désigné par lui comme étant le roi selon son cœur. Notre-Seigneur a aimé son titre de « fils de David ». Les aveugles qui l’ont appelé de ce nom furent aussitôt exaucés, remarque saint Ambroise. Jésus, le prêtre par excellence, n’est pas né dans la tribu de Lévi, qui fournissait les prêtres, mais dans celle de Juda, où se recrutaient les rois.
La généalogie du Christ donnée par saint Matthieu et retenue pour les Matines de Noël dans le rite monastique marque solennellement que le sang qui coule dans les veines du Messie est du vrai sang de roi. Cette pensée a inspiré aux architectes du Moyen Âge les magnifiques galeries de rois qui ornent la façade des cathédrales, par exemple à Paris, à Amiens, à Chartres.
« Tu Bethlehem, terra Juda, non eris minima : ex te enim exiet Dux, qui regat populum meum Israel. Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu ne seras pas la plus petite : de toi, en effet, sortira le Chef qui régira mon peuple Israël. » (Ant. Benedictus, F. III après le IIIᵉ dimanche de l’Avent)
Le Fils de Dieu ne pouvait pas être notre roi tant que la naissance selon la chair n’avait pas établi, entre lui et nous, la solidarité de nature et de race que requiert une royauté véritable. Ayant assumé pleinement la fragilité de notre nature humaine, dans le sein de la Vierge Marie, Jésus peut véritablement régner sur les hommes.
Quel sera ce Roi ?
Mais cette ascendance royale selon la chair serait insuffisante pour fonder le droit du Christ à une royauté universelle. Car l’annonce de l’ange : « il régnera éternellement sur la maison de Jacob. Et son règne n’aura pas de fin » évoque beaucoup plus qu’un roi des Juifs. « Il régnera éternellement sur la maison de Jacob » s’éclaire de la tradition prophétique : du prophète Osée au prophète Ezéchiel, en passant par Isaïe et Jérémie, la tradition avait annoncé un nouvel Israël selon l’esprit, se substituant peu à peu à l’Israël selon la chair. Le règne du « Fils du Très-Haut », contrairement à celui de ses ancêtres, « n’aura pas de fin ».
Ce qui fonde la royauté universelle de Jésus, c’est que le Christ est non seulement le fils de David, mais « le Fils du Très-Haut », du fait de l’union hypostatique d’une nature humaine avec la Personne du Verbe. « L’âme du Christ est une âme de roi, écrit saint Thomas, elle régit tous les êtres, parce que l’union hypostatique la place au-dessus de toute créature. » Les anges et les hommes doivent adorer le Christ non pas seulement en tant qu’il est Dieu, ils « doivent obéir à son autorité et lui être soumis en tant qu’il est homme, car au seul titre de l’union hypostatique le Christ a pouvoir sur toutes les créatures. » (Quas primas)
Aujourd’hui s’accomplit ce grand mystère de l’Incarnation, par lequel entre dans le monde le Roi que toute la liturgie de l’Avent annonce. En effet, si nous y prêtons attention, nous remarquons qu’à toutes les pages, c’est bien un Roi que nous attendons :
Chaque matin des premières semaines, l’invitatoire nous exhortait : « Regem venturum Dominum… Le Roi qui va venir, le Seigneur, venez, adorons-le. »
« Ecce dies veniunt… Voici que des jours viennent, dit le Seigneur, où je susciterai à David un germe juste ; et regnabit rex, et sapiens erit… il régnera en roi sage, et il pratiquera le droit et la justice dans le pays. Dans ses jours Juda sera sauvé, et Israël habitera en assurance ». (Jer. 23, 5-6 ; capitules de Tierce et de Sexte)
« Veniet ecce Rex excelsus… Voici que viendra le Roi très haut, avec grande puissance, pour sauver les nations, alléluia. » (Ant. 1, Matines du dimanche en Avent)
« Rex noster adveniet Christus, quem Joannes prædicavit Agnum esse venturum. Notre Roi, le Christ, va venir, lui que Jean a désigné comme étant l’Agneau qui devait venir. » (Ant. 2 du IIe nocturne, dimanches d’Avent)
On pourrait multiplier à l’envi les citations.
Il faut qu’Il règne
Le 24 décembre prochain, le Saint-Père ouvrira la porte de l’année sainte 2025, qui marquera le 17ᵉ centenaire du concile de Nicée (325). Le concile œcuménique de Nicée a défini et proposé comme un dogme de la foi catholique la consubstantialité du Fils avec le Père. Il préparait ainsi l’affirmation de la dignité royale du Christ, en 381 au Concile de Constantinople, où furent ajoutées dans la Profession de foi les paroles : « et son règne [du Seigneur Jésus-Christ] n’aura pas de fin ».
Cette année 2025 marquera en outre le centenaire de l’encyclique Quas primas de Pie XI, signée le 11 décembre 1925. Pie XI nous y rappelle « que le Christ règne sur nous non seulement par droit natif, mais également par droit acquis, c’est-à-dire parce qu’il nous a rachetés. […] Il faut croire de foi catholique que le Christ Jésus a été donné aux hommes comme le Rédempteur à qui ils doivent donner foi, et en même temps comme le législateur à qui ils doivent obéir. »
Seigneur Jésus, vous êtes le Roi des intelligences humaines, l’unique Maître. Seul, vous pouvez sans erreur conduire les hommes vers Dieu. Vous connaissez la route, vous l’avez faite. Vous connaissez le terme, Dieu, que vous êtes le seul à avoir jamais vu, et dont vous êtes chargé de révéler aux hommes les mystères. Donnez-nous une foi vive et humble, nourrie par l’étude et l’oraison, irradiant dans toutes les puissances qui nous servent à connaître Dieu, à nous connaître nous-mêmes et à connaître les créatures.
Seigneur Jésus, vous êtes le Roi des volontés humaines. Que vos inspirations suggèrent à notre libre arbitre les sentiments qui nous enflamment aux plus nobles actions. Vous êtes le Roi des cœurs, en raison de votre charité qui dépasse toute appréciation. Nous, nous ignorons souvent ce qu’il y a dans nos cœurs, mais vous, vous en connaissez tous les ressorts et les faiblesses. Daignez prendre le gouvernement de nos cœurs chancelants. Affermissez-les dans le bon chemin. Nous vous donnons nos cœurs, nous voulons porter vers vous toute notre puissance d’aimer.
Seigneur Jésus, nous sommes vos familiers ! Nous sommes entrés dans la vie monastique pour militer sous votre étendard, ô Christ-Roi, et à cette fin nous reprenons chaque matin les fortes et nobles armes de l’obéissance. Faites « que nous portions ce joug non avec accablement, mais avec passion, avec amour, avec sainteté. » (Quas primas) Faites que les âmes éloignées de vous trouvent en vous leur Roi, leur pilote. Car « il faut un pilote au navire pour le conduire au port ».
Pèlerins de l’espérance à la suite du Saint-Père, nous affirmons que notre bienheureuse, notre grande espérance, c’est vous, vous le « Roi pacifique que la terre entière désire contempler » ! Nous relevons la tête, sachant que notre rédemption approche ! « Ô Emmanuel, Rex et legifer noster… Ô Emmanuel, notre Roi, notre Législateur, l’attente des nations et leur Sauveur : venez nous sauver, Seigneur notre Dieu. »
Tournons-nous à présent vers la très sainte Mère de Dieu. Dans quelques jours nous chanterons :
« Cum ortus fuerit sol de cælo… Lorsque le soleil se sera levé dans le ciel, vous verrez le Roi des rois, qui procède du Père ; vous le verrez semblable à l’époux qui sort de la chambre nuptiale. » (Ant. Magnificat, lres Vêpres de Noël)
Et puis encore : « Genuit puerpera Regem… La jeune mère a enfanté le Roi dont le nom est éternel : elle a les joies de la maternité avec l’honneur de la virginité. » (Ant. 2 des Laudes de Noël)
Ô Notre-Dame, soyez remerciée éternellement de nous donner le Roi que nous attendions. Chez nous, soyez Reine !
Missus est, 18 décembre 2024
>>à lire également : La fête du Christ-Roi, un appel à reconnaître sa souveraineté :







