Sous le lierre de l’indifférence, la petite Espérance de France

Publié le 02 Déc 2025
calvaire croix espérance

© David Dvoracek/Unsplash

 

« Il ne faut point craindre d’aimer trop, il faut craindre d’aimer mal. » Saint François de Sales

Elles sont là, mes amis, au détour des champs, au croisement des routes, ces humbles sentinelles de pierre ou de bois, ces croix de chemins qui ne se plaignent pas et qui ne réclament rien.

Elles veillent.

Elles gardent le silence des siècles.

Chaque croix plantée dans nos campagnes fut un acte d’amour, la prière de nos anciens incarnée dans le paysage.

Nos pères les ont érigées comme on scelle une alliance : entre le ciel et la terre, entre Dieu et l’homme, entre la peine et la consolation.

Elles furent dressées pour remercier d’une moisson, pour implorer la pluie, pour pleurer un fils ou bénir un retour, pour préserver de la maladie ou célébrer le retour du Christ.

Et trop souvent, elles se meurent étouffées sous le lierre de l’indifférence.

Le patrimoine, ce n’est pas ce que l’on contemple derrière la vitre d’un musée, c’est ce que l’on reçoit. C’est ce que l’on doit transmettre. 

Nous avons trop longtemps confondu le progrès et la capitulation. 

Il n’y a pas d’avenir pour un peuple sans passé. 

La jeunesse d’aujourd’hui n’a pas besoin de déboulonner ce que ses aînés ont bâti ; elle a besoin d’apprendre à rebâtir, avec la même ardeur, la même espérance, la même humilité pour aimer plus encore. 

Nos anciens plantaient des croix ; à nous d’en planter d’autres, non par nostalgie, ou comme un acte politique et réactionnaire mais simplement par fidélité : voilà la seule modernité qui vaille. 

Car la vraie modernité n’est pas de rejeter ce qui fut mais c’est de redonner vie à ce qui demeure.

Mais qui se souvient encore de ces croix ?

La plupart se sont effacées dans le décor, encerclées par les ronces de l’oubli, penchées sous le poids des années.

Elles s’effacent, oui, mais en fait, c’est nous qui oublions.

Car quand une croix tombe, ce n’est pas le bois qui se brise : c’est toute l’histoire des hommes, d’un village, d’une région, d’un pays. 

Autrefois, chaque village, chaque carrefour portait son signe de bénédiction.

Aujourd’hui, les routes se sont élargies, mais les regards se sont rétrécis.

On ne lève plus les yeux vers la croix : on baisse la tête vers nos écrans.

Les pouces s’agitent, les âmes s’enlisent dans la boue de notre médiocrité et le désert aride du « à quoi bon ».

Les hommes s’enorgueillissent de réussir, mais oublient qu’il faut d’abord être sauvés.

Leur vie se gonfle d’activités mais se vide de sens. Leur vie se gorge de bruit mais oublie le silence d’un homme à genoux au pied de Celui qui l’a aimé jusqu’à donner sa vie. 

« Le monde moderne est décidément plein de vieilles vertus chrétiennes devenues folles »  disait Chesterton 

Nous voulons aimer, mais sans nous donner.

Croire, mais sans nous convertir.

Être libres, mais sans nous incliner.

La croix de chemin, elle, demeure. Elle se dresse, au milieu du vent, comme le signe de sa miséricorde silencieuse et comme une promesse éternelle. Elle regarde passer les voitures, les visages distraits, et semble nous murmurer :

« Souviens-toi d’où tu viens, souviens-toi de Qui t’attend. »

Saint François de Sales, ce doux docteur des âmes, écrivait dans ses Maximes :

« On demande des secrets pour s’avancer à la perfection : pour moi, je n’en sais point d’autre que celui-ci, savoir : d’aimer Dieu de tout son cœur, et son prochain comme soi-même. »  

« Dieu ayant créé l’homme à son image et ressemblance, veut que, comme en Lui, tout y soit ordonné par l’amour et pour l’amour. »  

Peuvent nos cœurs, souvent, s’agiter sans agir, parler sans prier, vivre sans espérer.

Mais les croix demeurent, droites, patientes, fidèles. Elles nous appellent. Les pierres chantent à nouveau lorsque cesse le bruit du monde. 

J’ai entendu leurs chants. 

Les croix éclairent nos routes ; 

Elles sont comme les phares d’un rivage oublié, signalant encore la direction du port.

Elles attendent que nous nous arrêtions, que nous sortions de nos torpeurs et de nos ineptes concepts, et que nous laissions la grâce, une fois encore, nous atteindre.

« Quand la foi s’éteint, ce n’est pas la lumière qui disparaît, c’est la vue. »

Oui, certes, notre époque est aveugle. 

Elle confond l’éclat des écrans et la clarté des étoiles. 

Mais un jour, au détour d’un sentier, un homme s’arrête, un enfant s’interroge, un vieil homme se souvient, une femme pleure.

Et là, dans le souffle du vent, dans le craquement d’un vieux bois sanctifié, quelque chose s’éveille.

C’est ainsi que naissent les conversions : dans le secret, dans le simple, dans le silence. Dieu ne s’est pas retiré de nos chemins, c’est nous qui avons cessé de marcher vers Lui.

La croix, elle, attend.

Et elle attendra, immobile, jusqu’à ce que nos pas reviennent, jusqu’à ce que nos cœurs réapprennent à se souvenir, et que nos mains, enfin, recommencent à bâtir.

C’est de cela dont je veux vous parler. 

Je suis venu vous parler de la petite espérance de France : celle qui bâtit toute éternité. 

La petite espérance de France est là. 

Au milieu de ce siècle de fer et de verre, Dieu rallume ses petites flammes.

Les croix que l’on croyait perdues reprennent vie, redressées par des mains calleuses, des cœurs neufs, des âmes que le monde disait « finies », mais que la grâce, patiemment, relevait de la poussière.

Ils reviennent, ces bâtisseurs du silence et du signe. Ce sont des jeunes à genoux dans les champs, des pères de famille qui plantent un calvaire avec leurs enfants, des moines, des anciens, des artisans, des pèlerins, des inconnus.

Ils savent, eux, que la croix n’est pas un drapeau d’un quelconque royaume du monde mais bien la direction à suivre. Ce n’est pas un souvenir d’antan, mais un cap au milieu de la tempête du temps.

Et chaque fois qu’ils plantent un morceau de bois dans la terre, ils plantent aussi l’espérance dans le cœur du monde.

Le monde a besoin de ces âmes simples qui recommencent tout, sans rien renier, sans rien maudire.

Dieu renouvelle toutes choses, Il aime recommencer avec peu.

Il a bâti son Église avec douze hommes.

Il rebâtira ses chemins avec quelques mains.

Toi qui te dis « ami de la croix » désormais viens la porter. Accepte la tienne et aide ton frère à porter la sienne. On ne connaît la croix que lorsqu’on l’a portée. 

Les anciens et les jeunes, les croyants fervents et les chercheurs hésitants, ceux qui doutent et ceux qui savent, qui que tu sois, la croix est la clé. 

Mais attention, le monde ne sera pas sauvé par des théologiens de canapés ou des philosophes sur Facebook, des docteurs de l’Église des parvis ou des « ravis » du Metaverse. 

La formation ? Bien sûr ! Notre volonté de nous former toujours est essentielle mais il faut savoir aussi parfois rester à sa place. 

Et notre place est à genoux, en silence, au pied de la Sainte Croix après l’avoir relevée. 

Le monde ne sera pas sauvé par nos avis sur Vatican I, Vatican II, Vatican III, « Vatican au Congo », « Vatican en Amérique », « On a marché sur le Vatican »…

Le monde ne sera pas non plus sauvé par un homme qui a connu l’éveil bouddhiste ou le plus grand érudit, médaillé d’or de la discipline olympique du « faites ce que je dis pas ce que je fais ».

Il nous faut être petitement, humblement, exemplaire. 

« Nous ne pouvons pas tous faire de grandes choses, mais nous pouvons faire de petites choses avec un grand amour » disait Mère Teresa. 

Voilà ce qui sauvera ce monde : 

Le monde sera sauvé par des saints. Vous le savez, les saints ne sont pas toujours affichés sur le parvis de la place Saint-Pierre. Multitude de saints restent inconnus. 

Commençons ici en lisant ces lignes. Prenons la ferme résolution d’en faire partie. 

Et alors, la France, ce vieux pays de baptême et de mission, choisie par Dieu, pourra redevenir cette terre où Jésus passe entre deux haies, où les calvaires montrent la route du ciel.

Ce jour-là, on ne parlera plus d’un « retour du religieux » mais d’une résurrection du cœur de France : le retour de la fille prodigue. 

Et sous le lierre de l’indifférence, les ronces du laïcisme, sous les pierres du vandalisme, sous les lois étroites des petits hommes en gris et des bureaux de verres, 

Dieu prépare encore son printemps.

On a voulu faire de la foi une affaire privée,

on a voulu enfermer le Bon Dieu dans les marges du Code civil, plier le sacré sous la loi de 1905,

Mais Dieu, voyez-vous, ne se range pas dans une case. Dieu n’est pas non plus une date dans l’agenda, Dieu n’est pas là que le dimanche et les jours de fêtes. Dieu est sur le bord de nos routes tous les jours. Il devance nos pas, ou nous porte plus loin. 

Dans le grand cahier administratif de ce monde mortifère, où tout s’achète, tout se consomme, le Nom de Dieu n’entre pas, mes amis : 

Parce qu’Il est trop grand, trop vaste.

Trop libre.

Trop vivant.

Ne nous cachons pas derrière nos petits doigts…

On a voulu d’un monde sans croix, et l’on s’étonne qu’il soit devenu sans repères.

On a voulu d’une humanité sans Dieu, et l’on s’étonne qu’elle soit devenue sans âme.

Mais voilà que la terre elle-même proteste, que les pierres s’éveillent et nous parlent, voilà que les croix se redressent !

Voilà que des mains de jeunes reprennent le maillet, que des prêtres sortent des sacristies, que des familles entières se lèvent à l’aube pour bénir un calvaire, que des grands-parents égrènent des chapelets devant une croix qui se lève et voilà que, dans le vent du matin, la France respire encore !

Car l’homme peut bien s’éloigner, Dieu, Lui, ne part pas.

L’homme assoiffé revient à la source. 

Il revient de son errance, de ses vitrines et de ses écrans, il revient du désert intérieur qu’il a lui-même creusé. 

Et il s’arrête, un matin, devant un vieux bois redressé. Il touche la croix. Elle est rugueuse, le soleil de ce matin d’hiver la réchauffe déjà.

Et dans ce simple contact, il comprend qu’il n’est pas seul ; Qu’il y a Quelqu’un qui l’attendait depuis toujours.

Ce peuple de bâtisseurs d’éternité, ces chercheurs de Ciel, ce sont vous et moi, ce sont des jeunes qui marchent vers Chartres, des artisans du ciel qui redressent la terre, des hommes et des femmes qui savent que bâtir un calvaire, c’est rebâtir un monde.

Ils savent que le patrimoine ce n’est pas ce qui passe, mais c’est ce qui ne passe pas. 

Ils refusent que la foi se taise, que la croix se cache, ils refusent le matérialisme, le relativisme et le naturalisme, ils se forment, ils bâtissent, ils aiment, ils s’agenouillent et aiment plus encore. 

Ils refusent le diktat de ce monde qui encense le vide, où l’homme est réduit à produire, consommer, disparaître, où l’homme est poussé à croire que l’argent n’est pas un moyen mais une fin. 

Car l’homme, voyez-vous, n’est pas fait pour les bilans comptables : il est fait pour l’Éternité.

Et toute la ruse du monde moderne, c’est d’avoir voulu le faire oublier.

Mais l’homme, l’homme libre, ne s’y laisse plus prendre.

Il redresse la tête.

Il redit un grand « oui » je m’abandonne à Toi, Cœur Sacré de Jésus : 

Et voilà l’espérance qui s’avance, disait Péguy, cette petite fille têtue qui se lève chaque matin et qui croit que Dieu fera jour.

Elle est là, aujourd’hui, cette petite fille de France.

Elle a vingt ans, elle a soixante ans, elle a quatre-vingts ans.

Elle a les genoux terreux, le cœur ardent, les yeux pleins de ciel.

Elle marche sur les routes, entre les calvaires relevés, tenant d’une main le chapelet, de l’autre une brosse à chiendent, elle murmure en travaillant: « Relevez-vous. Dieu n’a pas fini de vous aimer. »

Oui, tout recommence chers amis,

Tout recommence par les cœurs, par les mains qui bâtissent, par les larmes qui deviennent sources.

Et quand ces croix renaissent dans les campagnes, c’est la France qui se souvient.

C’est la France qui comprend enfin que l’on ne construit rien de durable sans poser d’abord le signe du Salut.

Alors, qu’ils viennent, les lois trop étroites, les mots trop tièdes, les doctrines qui promettent la liberté sans la Vérité.

Nous, nous savons qui est la Vérité et la Vie.

Nous savons qu’il n’y a pas de liberté sans le Christ,

« Rien n’est plus fort qu’une idée dont l’heure est venue. »

Et si le monde nous appelle les fous, qu’il se souvienne : ce sont toujours les fous d’espérance qui sauvent les civilisations qui se meurent.

Et lorsque le vent du soir passera sur les champs, et qu’il fera plier les herbes autour des croix relevées, alors on entendra peut-être la petite fille Espérance, dans le murmure du vent, réciter cette parole d’amour, cette parole éternelle : 

« Cœur sacré de Jésus, j’ai confiance en vous. » 

 Et Dieu de lui répondre : 

« Je suis avec vous, jusqu’à la fin du monde. »

 

>> à lire également : Paris au rythme du chant grégorien

 

Loïc Baudin, un bâtisseur

Ce contenu pourrait vous intéresser

À la uneÉgliseLiturgie

Paris au rythme du chant grégorien

À l’occasion de l’entrée dans l’Avent, se sont déroulées, à Paris, les 29 et 30 novembre derniers, les 7ᵉ Rencontres grégoriennes. Associant notamment le Chœur grégorien de Paris, l’association Una Voce, la Schola Saint-Grégoire, cet événement annuel – le plus important dans le monde du chant grégorien, avec plus de 150 participants – vise à rassembler les amoureux du chant propre de l’Église

+

grégorien louis-marie vigne
À la uneÉglise

Vatican : vers une évolution liturgique sous Léon XIV ?

Plusieurs décisions récentes pourraient laisser penser que Léon XIV s’oriente vers une approche plus souple du rite traditionnel. Le pape, qui s’est référé à Sacrosanctum Concilium dans ses dernières interventions, n’a toutefois pas formulé de position globale. Les observateurs y voient des indications possibles, mais encore limitées, d’un repositionnement liturgique.

+

Pape Léon XIV Roberto de Mattei réforme liturgique
À la uneCultureSpiritualité

Une Bible pour écrire, méditer, prier : l’intuition d’Anne-Sophie Chauvet

Entretien | Éditrice jeunesse depuis cinq ans aux Éditions de l’Emmanuel et maman solo de quatre enfants, Anne-Sophie Chauvet est à l’origine de la première Bible catholique à annoter. Entre intuition personnelle, redécouverte d’une tradition ancienne et inspiration venue du « Bible journaling », elle raconte comment est né cet ouvrage pensé pour prier, méditer et laisser la Parole irriguer le quotidien.

+

bible journaling
ÉgliseTribune libre

Comment vivre l’unité dans l’Église ?

Tribune libre du père Michel Viot | Dans L’Église au risque de la foi, le père Michel Viot revient sur les tensions qui traversent l’Église de France. Abus, liturgie, pastorale : il propose une réflexion théologique rigoureuse et à une réconciliation fondée sur la vérité de la foi.

+

livres jeunesse église