Dans un pays blessé par des années de crises, l’arrivée du pape Léon XIV a provoqué un élan populaire rare. Des rues de Kaslik à la messe célébrée au bord de la mer à Beyrouth, les volontaires de SOS Chrétiens d’Orient racontent ces instants où une terre meurtrie a retrouvé un souffle d’espérance.
En ce 1er décembre, Kaslik a pris un air de Journées mondiales de la Jeunesse ! C’est en effet dans cette petite ville de la baie de Jounieh, à une vingtaine de kilomètres au nord de Beyrouth, que la jeunesse libanaise s’est donnée rendez-vous avant de « monter » vers le patriarcat maronite de Bkerké, pour accueillir le pape Léon XIV. Pour l’occasion, le gouvernement libanais a même décrété deux jours fériés. Écoles et universités sont donc fermées, permettant à tous de faire le déplacement. Pour nous, volontaires de SOS Chrétiens d’Orient, il était hors de question de rater l’évènement.
Départ donc en début de matinée, direction Kaslik. La route est pavoisée aux couleurs du Liban et du Saint-Siège. Le rendez-vous est fixé sur un immense parking, au bord de la mer. Les cars arrivent par dizaines, de tout le Liban, déversant un flot ininterrompu de jeunes. 15 000 jeunes Libanais sont attendus.
Chaque aumônerie étudiante, chaque groupe scout, chaque mouvement est présent avec ses drapeaux et ses bannières. Juste à côté de nous, ce sont des guides et scouts qui assurent l’animation. Chemise rouge, verte ou bleue sur le dos, foulard autour du cou, ils dansent ! Un joyeux désordre à l’oriental, où les chants et les prières se mêlent dans la joie… C’est une jeunesse heureuse et fervente qui se prépare à monter vers le lieu de rassemblement.
Le trajet vers Bkerké se fait par un système de navettes. Chacun s’engouffre dans des bus. On rit, on chante, on se bouscule… Une étudiante, voyant que je suis française, me confie « nous sommes heureux d’accueillir le Pape. Au Liban, tout n’est pas rose. Léon XIV va nous donner un message d’espérance ». Difficile d’attendre autre chose du successeur de Pierre. Cela fait cinquante ans que le Liban souffre.
Le patriarcat est au bout d’une route sinueuse de montagne. Nous finissons à pied, avant de passer les contrôles de sécurité. Il est bientôt seize heures. Coup de pouce de la Providence, nous arrivons à nous placer à côté des barrières. Sur une immense scène plantée devant l’église, les chants se succèdent, en attendant le Pape.
À 17 h 45, la papamobile arrive enfin. Il fait déjà nuit noire. La chorale entonne alors « Jesus Christ, you are my life, Alleluia », mais les cris recouvrent le chant. On agite les drapeaux jaune et blanc du Vatican, qui nous ont été distribués, on monte sur les chaises pour apercevoir le successeur de Pierre. Beaucoup de téléphones, aussi, pour immortaliser le moment. Nous y sommes : le Pape est là, au milieu des jeunes ! La cérémonie peut commencer.
Une pierre d’une église détruite du sud Liban offerte au pape

© SOS Chrétiens d’Orient
Des cadeaux sont offerts au Pape : quelques poignées de terre libanaise, pour incarner l’enracinement et le refus de l’émigration, des fragments de bois d’habitations détruites par la guerre mais aussi une pierre de l’église Saint-Georges de Yaroun, un petit village du sud du Liban, à la frontière avec Israël.
Chez SOS Chrétiens d’Orient, nous connaissons bien ce village, rasé l’an passé par les bombes puis les bulldozers israéliens. Au printemps, notre association y a installé des panneaux solaires, afin d’offrir un peu d’électricité aux quatorze courageuses familles qui sont revenues vivre au milieu des ruines.
« Aujourd’hui, le Liban vous accueille, non pas avec l’éclat des palais, mais avec la tendresse de ses plaies. Il vous offre ce qu’il a de plus pur : ses larmes devenues perles d’espérance, ses montagnes transformées en autels de supplication » commence le patriarche maronite Béchara Raï.
Et de continuer : « La jeunesse du Liban vous aime, Très Saint-Père. Elle vous attend avec un cœur ardent, avide d’entendre de votre bouche une parole d’espérance au milieu des temps éprouvants qu’elle traverse ».
Avant qu’il prenne la parole, Léon XIV – et nous avec lui – écoute quatre témoignages de jeunes Libanais, entrecoupés de jeux scéniques. C’est en arabe. Ma voisine me traduit : « Ils évoquent les souffrances du Liban : l’explosion du port, la guerre, la crise économique. »
Enfin, le Pape s’approche du micro. La foule se tait. Erwan, lui aussi volontaire de SOS Chrétiens d’Orient, me souffle : « il est ému ». C’est vrai, le Pape semble ému. Une dame d’une quarantaine d’année se retourne vers moi, et désignant Léon XIV, me dit « il a le visage d’un saint ».
« Vous m’avez demandé où trouver le point d’ancrage pour persévérer dans l’engagement en faveur de la paix » explique-t-il. « Ce point d’ancrage ne peut être une idée, un contrat ou un principe moral. Le véritable principe d’une vie nouvelle c’est l’espérance qui vient d’en haut : c’est le Christ Lui-même ! » « Le Seigneur sera toujours avec vous » termine-t-il. « Soyez assurés du soutien de toute l’Église dans les défis décisifs de votre vie et dans l’histoire de votre cher pays. […] Jeunes Libanais, grandissez vigoureux comme les cèdres et faites fleurir le monde d’espérance ! »

Léon XIV a offert au sanctuaire de Harissa la Rose d’or, un ornement béni par le pape, destiné à honorer les souverains ou les sanctuaires. © Yannick6900, CC BY-SA 4.0
La messe à Beyrouth
Le retour vers Beyrouth est plus calme. Il est onze heures passées quand nous arrivons à la mission de SOS Chrétiens d’Orient. La nuit sera courte. Le départ est prévu à quatre heures du matin. Il s’agit d’arriver à l’heure à la messe que Léon XIV va célébrer devant le front de mer de Beyrouth.
Cette fois, nous partons à pied. Dans les rues, la foule est déjà nombreuse : des jeunes, des vieux, des familles, des religieuses, encore des groupes de jeunes… Nous arrivons donc très tôt sur place. Mais, nous sommes cantonnés très loin de l’autel. Qu’importe ! Qu’importe aussi que le temps soit gris.
En attendant l’arrivée du Saint-Père, nous naviguons dans la foule. Nous en profitons pour saluer des amis : frère Charbel, du monastère Maronite Notre-Dame de Tamich, qui s’apprête à servir la messe du Pape et que nous connaissons bien. Et pour cause, nous travaillons avec lui chaque semaine. Nous croisons aussi les novices du monastère Saint-Cyprien-et-Sainte-Justine de Kfifan, à qui les volontaires de Tripoli viennent donner des cours de français. Parmi eux, frère Tony. Il invite certains d’entre nous à s’assoir plus près de l’autel.
Comme la veille, la foule éclate de joie en voyant le Pape arriver. Une joie sans doute plus sereine et moins explosive que celle des jeunes, la veille au soir. Après avoir visité les patients de l’hôpital psychiatrique de la Croix de Beyrouth, où nous nous rendons aussi toutes les semaines, Léon XIV s’est recueilli sur le port. Il y a rencontré certaines familles de victimes de l’explosion. Cinq ans après, le Liban ne s’en remet pas… Mais aujourd’hui – et cela se lit sur les visages – la simple présence du Pape semble apporter un peu de paix, de sérénité.
La messe commence dans un silence recueilli, chose assez rare, il faut bien le reconnaître, au Liban. Dans son sermon, prononcé sous une grande croix dorée, le Pape nous appelle « à ne pas nous décourager, à ne pas céder à la logique de la violence et à l’idolâtrie de l’argent, à ne pas nous résigner face au mal qui se répand. Chacun doit faire sa part et nous devons tous unir nos efforts pour que cette terre retrouve sa splendeur ». Et de conclure : « Liban, relève-toi ! Sois une maison de justice et de fraternité ! Sois une prophétie de paix pour tout le Levant ! »
Autour de moi, certains prient les yeux fermés, d’autres regardent avec attention vers l’autel, d’autres, enfin, essuient une larme. L’émotion est palpable, l’espoir est presque sensible.
Dans son intervention à la fin de la cérémonie, le Pape se fait encore plus clair.
« Je demande une fois encore à la communauté internationale de ne ménager aucun effort pour promouvoir les processus de dialogue et de réconciliation. Je lance un appel pressant à tous ceux qui détiennent une autorité politique et sociale, ici et dans tous les pays en proie à la guerre et à la violence : écoutez le cri de vos peuples qui implorent la paix ! »
« Heureux les artisans de paix. » Le voyage du pape Léon XIV était placé sous cette béatitude. Pendant deux jours, le Liban a connu la paix. Prions pour que cette paix se poursuive.
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