| Traduction | N’est-ce pas toi qui reviendras nous faire vivre et qui seras la joie de ton peuple ? Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut.
(Psaume 84, 7-8) |
Commentaire spirituel
Le psaume 84 qui fournit le texte de notre offertoire est daté du retour de l’exil. Le Peuple de Dieu vient de rentrer à Jérusalem mais sa situation est encore très précaire, et il implore le secours du Seigneur. Le compositeur a retenu deux versets de ce psaume qui s’appliquent particulièrement à la période liturgique de l’Avent.
Ce temps liturgique est dominé par l’idée du désir de Dieu, désir qui se fonde sur la promesse faite par le Seigneur de venir visiter et prendre possession de son héritage. Pour nous, Dieu est celui qui vient et nous, nous l’attendons comme l’épouse attend son époux, l’amour de sa vie. Ce texte fait écho à de multiples expressions de l’Ancien Testament, comme aussi du Nouveau. Que l’on pense simplement aux dernières paroles du livre de l’Apocalypse :
« L’Esprit et l’Épouse disent : “Viens !” Celui qui entend, qu’il dise : “Viens !” Celui qui a soif, qu’il vienne. Celui qui le désire, qu’il reçoive l’eau de la vie, gratuitement… Et celui qui donne ce témoignage déclare : “Oui, je viens sans tarder.” – Amen ! Viens, Seigneur Jésus ! »
Les thèmes de cet offertoire sont essentiels : il est question de la venue de Dieu, il est question de vie, de joie, d’amour, de salut. C’est vraiment un chant de l’Avent. Tous ces thèmes se conjuguent et s’unissent pour fusionner finalement dans la personne du Christ, Verbe Incarné, Fils de Dieu venu nous sauver, nous dire l’amour du Père, nous appeler au bonheur dans la participation à la vie divine. Jésus est notre vie, notre joie, notre salut, notre amour. Nous sommes faits pour l’unique joie qui ne déçoit ni ne déchoit, la joie qui est en Dieu.
Écoutons saint Augustin nous décrire la fausse et la vraie joie, celle que le Peuple de Dieu doit choisir pour accéder à la vie :
« Pour son malheur, il prenait sa joie en lui-même ; pour son bonheur, il la prendra en toi (Seigneur). Quand il a voulu trouver en lui la joie, il n’a trouvé que des sujets de larmes. Maintenant que Dieu est toute notre joie, que celui qui veut se réjouir en toute sécurité, se réjouisse en Celui qui ne peut périr. À quoi bon, mes frères, mettre votre joie dans l’argent ? Cet argent périra, ou toi-même ; et nul ne sait qui des deux périra le premier ; ce qui est certain, c’est que l’un et l’autre périront, l’incertitude ne plane que sur le premier.
Car l’homme ne peut demeurer toujours ici-bas, non plus que son argent ; il en est de même de l’or, des vêtements, d’un palais, des richesses, des grands domaines et enfin de cette lumière elle-même. Loin de toi donc d’y mettre ta joie ; mais réjouis-toi de cette lumière qui n’a point de couchant, réjouis-toi dans ce jour qui n’a ni hier, ni lendemain, Quelle est cette lumière ? “Je suis”, dit le Sauveur, “la lumière du monde”. Celui qui te dit : “Je suis la lumière du monde”, est celui-là même qui t’appelle à lui (1). »
Le second verset de cet offertoire sert de refrain au temps liturgique de l’Avent. « Montre-nous, Seigneur, ton amour (ou ta miséricorde), et donne-nous ton salut ». Et saint Augustin commente :
« Donnez-nous votre Christ, c’est en lui qu’est votre miséricorde. Disons-lui, nous aussi : Donnez-nous votre Christ. Il nous l’a déjà donné, il est vrai ; disons-lui néanmoins : Donnez-nous votre Christ, puisque nous lui disons : “Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien”. Et quel est notre pain, sinon celui qui a dit : “Je suis le pain vivant descendu du ciel ?” Disons-lui donc : Donnez-nous votre Christ (2). »
Commentaire musical
Cet offertoire apparaît musicalement comme une grande et longue supplique. C’est visible sur la partition : on voit très clairement l’omniprésence de la dominante Do, à l’aigu de ce 3e mode qui ne monte guère plus haut, à quelques reprises et seulement en passant sur le Ré. Mais le Do, lui, est constant, il arrive de suite et la mélodie s’y maintient longuement.
La première incise est déjà impressionnante à elle seule : sur les 19 notes qu’elle contient, 12 sont des Do. On compte 3 Si, 2 La, 1 Sol et 1 Ré. On a ainsi vraiment l’impression, d’emblée, d’une prière sans relâche qui se déroule au fil du texte, et se maintient du début jusqu’à la fin dans l’ardeur de la demande. L’offertoire est composé de quatre phrases musicales qui dédoublent les deux versets du Psaume 84 :
- N’est-ce pas toi qui reviendras nous faire vivre : première phrase.
- Et qui seras la joie de ton peuple ? : deuxième phrase.
- Fais-nous voir, Seigneur, ton amour : troisième phrase.
- Et donne-nous ton salut : quatrième phrase.
Voyons ceci en détail.
L’intonation est tout en élan. Elle part du Sol mais rejoint très vite le Do en passant par le La. Ce premier Deus est déjà un cri. Et une interrogation. Car le texte hébreu interroge le Seigneur : « N’est-ce pas toi… ? » On a l’impression que cette intonation traduit l’interrogatif de l’hébreu.
La suite est très ferme, c’est une affirmation, une véritable confession. Le pronom personnel, tu, est très affirmatif, très soutenu. De même, le participe présent convértens qui se meut presque uniquement sur le Do, avant de se poser sur une cadence provisoire en Si naturel. Tout cela apparaît déjà plein de certitude, tout cela est dit de façon très pleine, très sûre.
Le second membre de phrase (vivificábis nos) se maintient avec intensité dans la même atmosphère, le Do étant toujours très présent. Simplement, la mélodie module et se creuse davantage en s’appuyant régulièrement sur le Sol.
La finale de cette première phrase fait apparaître pour la première fois le Mi, et il arrive à point nommé, apportant sa belle nuance d’intériorité sur le pronom personnel nos qui est ainsi bien mis en valeur. La vie passe dans cette première phrase, elle circule de Dieu en nous qui sommes les heureux bénéficiaires de la grâce.
La seconde phrase ne tarde pas à jaillir pour aller retrouver le Do dès le troisième mot, tua. Il y a certainement une nuance de joie, et même d’enthousiasme dans cette montée allègre et cet intervalle de quarte Sol-Do qui va établir la mélodie sur la dominante du mode. On retrouve ce même intervalle et cette même joie justement sur le verbe qui la traduit, laetábitur, très goûté. La phrase s’achève sur le pronom personnel te, traité musicalement fort différemment que le nos de la première phrase. Ici, c’est net et ferme et cela conclut très bien une première partie très joyeuse de cet offertoire.
La seconde partie n’est plus une affirmation mais une prière, une intense prière. Et cela se remarque. La progression de osténde est très belle, très significative de ce changement de forme. Ici, quoique brièvement, ce n’est plus le Do mais le Ré qui est dominant, et les longues tenues sur le Do ont disparu. Il reste un mouvement plus ample et plus accidenté qui ne nuit pas à la joie ni à la confiance, mais qui exprime cependant l’intensité de la demande avec cette nuance presque imperceptible d’inquiétude qui accompagne toute supplication.
L’ardeur pénètre cette belle vocalise et on ne sait pas très bien si cette ardeur est celle de la confiance ou celle de la crainte de ne pas être exaucé. C’est celle de l’amour en tout cas, et d’un immense désir. Là encore, nous sommes privilégiés par la mélodie : nobis, comme nos, tout à l’heure, est très développé mélodiquement, en comparaison du petit te de la seconde phrase.
Par contre, et c’est très beau, le nom du Seigneur, Dómine, est plein d’une majesté souveraine. C’est une réponse mélodique à l’incertitude soulevée plus haut. La confiance l’emporte évidemment dans cette magnifique descente qui unit le Do au Mi grave, le ciel et la terre, la miséricorde et la misère. Justement, c’est bien de miséricorde qu’il s’agit, et le mot suivant est plein de douceur, il s’attarde sur le Mi qui est notre corde à nous, alors que le Do est la corde du Seigneur, touchée, mais en passant seulement, dans la belle montée de ce long mot.
La phrase s’achève avec l’adjectif tuam, non pas sur le Mi mais sur le Ré, dans un immense acte de confiance paisible. On s’attendrait presque à ce que ce soit la fin de la pièce.
Mais non, la mélodie rebondit soudainement et nous fait retrouver le Do, dans l’atmosphère du début de la pièce. On peut noter la beauté intense de tuum qui conduit vers la plénitude du dernier verbe, da, le verbe par excellence de la demande, tellement intense, tellement puissant, tellement joyeux, tellement sûr de la miséricorde qui vient d’être chantée. Comme elle est belle cette vocalise finale qui ne descend que pour remonter avec plus de plénitude, et qui s’achève sur le dernier mot de la pièce, nobis, si humble en contraste, si petit, si irrésistible et si attirant pour l’Amour qui ne sait regarder et s’abaisser que vers l’humilité.
C’est peut-être une signature mariale de cet offertoire de l’Avent, la Sainte Vierge étant si discrètement présente dans le répertoire de cette période liturgique qui la concerne au plus haut point. En nous mettant à son école, nous sommes sûrs, absolument, de recevoir à flots la miséricorde, le salut, la vie, la joie du Seigneur.
1. Commentaire sur le Psaume 84, n° 8.
2. Ibid., n° 9.
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