Dictature du relativisme… Voilà une des expressions employées à plusieurs reprises par le défunt Benoît XVI et qui a fait florès. Mais que signifie-t-elle ? Un certain nombre d’observateurs, extérieurs ou non à l’Eglise la rejettent comme excessive. En effet, qu’on s’en félicite ou qu’on s’en désole, le relativisme des sociétés occidentales est-il vraiment une dictature ?
Certes, la pression du wokisme se fait plus forte d’année en année. Montent un refus de la discussion et une diabolisation des opposants, voire une négation assumée de la liberté d’expression – comme un retour du slogan révolutionnaire : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! ». Il faudrait protéger toutes les minorités, leur assurer un espace de sécurité, à l’écart des oppressions et des oppresseurs…
Mettre au jour la logique profonde du relativisme
Mais pointer seulement cet excès-là (et quelques autres), ce n’est pas honorer l’ampleur et la radicalité de la critique. Cette manière contestable de voir les choses ne peut, non plus, être réduite à une outrance maladroite du langage, ni à une réponse polémique aux accusations de dictat moral lancées contre l’Eglise : qui, sans ridicule, suggérera que Joseph Ratzinger se soit laissé aller à l’une ou l’autre pente ?
Il faut donc faire l’effort de comprendre ce qu’est le relativisme et comment il y a, dans sa logique propre, et non pas seulement en des excroissances éventuelles, une dynamique qui peut être qualifiée de dictature.
Bien qu’il s’appuie sur elles, le relativisme n’est pas fondamentalement équivalent à la pluralité des opinions, des valeurs, des mœurs, ni à la démocratie et à son régime de délibération, ni encore à la laïcité, si on entend par là une distinction des ordres et des pouvoirs – Dieu et César, l’Eglise et l’Etat.
Il est, ce relativisme, dans la pluralité mentionnée, le refus a priori de la moindre hiérarchie ; dans les mœurs et les règles démocratiques, il se signale comme la possibilité et la prétention à soumettre tout à la discussion ; dans la laïcité, il découle d’une réfutation résolue et systématique du sacré.
Le règne de la volonté
Constater, cependant, ne saurait suffire. Il faut encore remonter à la source de la modernité, c’est-à-dire au primat absolu de la volonté, à son règne, à son omniprésence, l’homme ayant perdu (ou refusé) tout lien consubstantiel avec la raison, le logos.
Il faut ici relire attentivement le discours de Ratisbonne et ne pas négliger que, parallèlement à la critique d’une volonté absolue et arbitraire de la divinité islamique, il y était déployé une critique aussi sévère du volontarisme de la modernité occidentale, qui aboutit aussi à l’absorption de tout par la volonté : la volonté générale du peuple souverain, la volonté des individus (depuis l’existentialisme de Sartre jusqu’à l’hédoniste finalement triste des consommateurs).
Ce sont d’autres volontés, dira-t-on, assurant un régime plus libéral. Voilà justement la pétition de principe à ne pas poser ! Si paradoxal que cela puisse paraître, la croyance islamique (mais aussi certaines formes du protestantisme) est sœur du relativisme occidental : tous deux sont des « pathologies de la raison et de la foi », selon une autre formule de Benoît XVI. Car la volonté, quelle qu’elle soit, y exerce un empire qui ne lui revient pas.
La symphonie du logos
A contrario, regardons les linéaments de la doctrine et de la vie catholiques : les deux livres de la Parole divine que sont la création et la révélation, l’âme raisonnable de l’homme capable de Dieu, la loi morale naturelle inscrite dans les cœurs, la participation à la vie divine par la grâce baptismale, la prière et le culte comme action de Jésus-Christ Verbe divin en son Corps mystique, le magistère infaillible dévoilant le mystère divin… Tout invite à l’accueil et à la contemplation de la splendeur de la vérité.
Ainsi, la radicalité et la subtilité de la pensée catholique sur le relativisme nous apparaissent : le relativisme est une contrainte exercée sur le réel, un pouvoir indu, celui de la volonté, non pas seulement sur la raison humaine, mais sur cette « symphonie » du logos – parole, raison, vérité – par lequel Dieu se manifeste, se communique, se donne. La dictature du relativisme (et celle de ses demi-frères que sont tous les fondamentalismes) est à placer à ce niveau premier.
Qu’ensuite, tant dans l’histoire et l’actualité des fondamentalismes religieux que, aujourd’hui, dans l’exacerbation de la modernité, cela rejaillisse en contraintes sur les hommes et les sociétés, ne saurait nous surprendre. Et comme on le sous-entend ce qui précède, notre réponse ne pourra pas être une affirmation contraire, autoritaire et extérieure, de principes et de vérités. Ce ne serait qu’un jeu de miroir, toujours insatisfaisant lorsqu’il s’agit de faire face à l’erreur. Et mieux, de la corriger.
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