Force de la douceur ou douceur de la force ?

Publié le 31 Jan 2023
douceur

« Cette âme n’était pas une Colombe de douceur ; non, c’était une Aigle de douceur », a écrit Sainte-Beuve de François de Sales (Port-Royal). La forme française du génitif est suffisamment ambiguë pour que la jolie formule « Aigle de douceur » permette qu’on se pose la question du titre. Loin d’éclairer seulement la personnalité du saint évêque de Genève, elle touche aussi nos choix éducatifs, nos rapports interpersonnels et sociaux. Seul un détour par l’amour divin résout le face-à-face de la douceur et de la force.

 

La force n’a pas bonne presse ; la douceur davantage, bien que ses excès soient, eux aussi, regardés d’un mauvais œil. Un alliage des deux conviendrait mieux, pense-t-on. Mais alors, dans quelles proportions ? Comme dans les alliages à base d’aluminium, l’alchimie se réalisera selon l’usage prévu, ustensile de cuisine ou pièce pour l’aéronautique ; force et douceur connaîtront en effet des dosages variables, selon les tempéraments et les circonstances. En tout cas, une primauté paraît établie – sans être cependant justifiée –, car si l’on parle volontiers de la force de la douceur, qui oserait évoquer la douceur de la force ?

Formulé ainsi, le problème souffre, au moins, du défaut que voici : le cadre implicite en est le moi et son histoire. Or, à ce niveau n’apparaîtront sans doute que des solutions accommodatrices, palliant le trop de l’un ou le défaut de l’autre.

Saint François de Sales, dans le Traité de l’amour de Dieu, nous propose une voie plus radicale : « J’ai seulement pensé à représenter simplement et naïvement, sans art et encore plus sans fard l’histoire de la naissance, du progrès, de la décadence, des opérations, propriétés, avantages et excellences de l’amour divin » (Préface).

« Dieu est Amour », source de toute vertu

L’adjectif « naïf », encore proche au XVIIe siècle de son étymologie latine « nativus, natif », a aussi acquis son sens actuel. Dès lors, le projet salésien, éclairé par cette ambivalence assumée, consiste à remonter jusqu’à la naissance de l’amour par notre propre naissance dans la grâce, d’entrer par l’amour théologal dans l’amour divin, d’aller avec la simplicité de l’enfant ou de l’amoureux à la source simple et parfaite de tout : Dieu qui est Amour. Là où est l’Amour, là se trouve le centre d’unité de l’être et de l’agir.

De cette histoire de l’amour, la première étape est « la génération et naissance céleste du divin amour » (livre II), où « les perfections diverses ne sont qu’une seule, mais infinie perfection » (chap. 1). Du fait que notre naissance et notre vie sont, par la grâce, participation de la vie divine, cette unité se trouve aussi en nous : « en somme la très sainte dilection est une vertu, un don, un fruit et une béatitude » (XI, 19), comprenant la force comme vertu morale et don du Saint-Esprit, la douceur comme don de ce même Esprit et béatitude.

Cela ne saurait rester théorique. Le Traité de l’amour de Dieu indique alors, au terme, quel est le moyen pour demeurer et progresser en l’amour divin : comme dans un emboîtement de poupées russes, revenir continuellement à cette source. En effet, nous avons, un jour, résolument choisi Jésus-Christ et son amour. Nous lui avons dédié notre existence et voulu que nos actes, paroles et pensées soient sous son influence et tendent vers lui.

Toutefois, l’expérience nous apprend qu’il est bon de renouveler cet élan premier en recueillant, une fois l’an, lors d’une retraite spirituelle, ce qui s’est quelque peu dispersé, le raffermir, redresser, réordonner. Puis, chaque jour, se présente l’oraison, car « il faut non seulement au commencement de notre conversion, et puis tous les ans destiner notre vie et toutes nos actions à Dieu ; mais aussi il les lui faut offrir tous les jours » (XII, 10).

Une force et une douceur enracinées dans la nature même de Dieu

Cela ne suffit pas encore : alors, au plus proche de cette pensée-ci, de cet acte-là – que dirons-nous ou ferons-nous, et selon quelle intention ? -, « appliquons cent et cent fois le jour notre vie au divin amour par la pratique des oraisons jaculatoires, élévations de cœur et retraites spirituelles ; car ces saints exercices lançant et jetant continuellement nos esprits en Dieu, y portent ensuite toutes nos actions » (idem).

Dans cet exercice fidèlement accompli, de plus en plus facilement, « simplement et naïvement », nous nous tenons en ce lieu où naissent vertus et dons, en l’éternité bienheureuse de Dieu qui « est le Dieu du cœur humain » (I, 15). Et qu’y contemplons-nous ? L’amour tendre et le zèle ardent de Dieu pour nous.

La continuité de la force et de la douceur tient à l’éternité de Dieu et de son dessein d’amour envers les hommes. La permanence de l’amour tendre divin apprend au colérique à ne pas être brutal, à profiter du temps opportun, à patienter en présentant paisiblement au prochain les raisons de sa suggestion ou même de son opposition. La douceur de la charité est effectivement forte.

La permanence du zèle ardent divin enseigne au pusillanime, au peureux à ne pas retarder ce qui doit être accompli, car, dans le temps de l’inaction, le mal se répand, les faibles en sont troublés ou heurtés ; et l’action finissant par être posée, elle l’est de manière précipitée et heurtée, sans que tous en perçoivent les motifs, la cause étant oubliée. La force de la charité est, évitant cela, réellement douce.

 

A lire également : Saint François de Sales et la dévotion au Sacré-Cœur

Chanoine Laurent Jestin +

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