Nous voudrions chanter et porter beau. Publier de l’enthousiasme, toujours. Distribuer de la joie de vivre, partout. Partager un feu sacré, résolument. Nous souhaiterions clamer aux hommes combien nous sommes comblés d’être chrétiens. Heureux à ras bord de notre saint baptême. Ravis d’être réceptacle de ce Christ qui est la voie, la vérité et la vie.
Nous rêverions de distribuer des sourires angéliques aux angles des rues ou sur les quais des gares, de ces sourires qui réchauffent les âmes et adoucissent les cœurs. Nous désirerions donner le goût, l’envie, l’exemple. Nous aimerions surtout transmettre Jésus. Que notre prochain nous écoute certes, mais plus encore qu’il le suive. Que des multitudes se placent à son école et participent à leur tour à la grande communication des biens divins.
Hélas, le principe de réalité nous rattrape, à l’image de la voix sévère du Bouillon rappelant en classe – et à l’austérité de son tableau noir – le petit Nicolas évadé avec Alceste, Rufus et Clotaire dans leurs jeux de récréation. Il faut nous rendre à l’évidence : oui, le monde dans lequel nous vivons semble vouloir mettre en retenue nos âmes et leur ordonner de rester au coin. Il nous empêche de regarder par la fenêtre et d’enfouir notre regard dans le ciel.
Un monde à part
D’une part, semblables à des collés du mercredi, nous nous sentons isolés, perdus dans un univers de plus en plus hermétique à l’enseignement du Christ – quand il lui arrive encore d’en avoir cure… D’autre part, nous avons honte de le dire, il en vient aussi que ce monde nous fatigue, que sa laideur nous effraie, que ses mœurs nous lèvent le cœur, que ses figures médiatiques nous débectent, que ce qui sort de ses écrans nous apparaisse profondément méprisable.
Nous découvrons, gênés et confus, que trop souvent nous n’avons ni le goût du partage, ni celui de la diffusion. Que nous sommes bien dans nos communautés paroissiales, certes. Mais surtout, que nous voulons rester sans eux, au point de garder l’Évangile pour nous…
Dans La vie aux champs, le vers de Victor Hugo, « le poète en tout lieu/Se sent chez lui, sentant qu’il est partout chez Dieu », indique justement ce à quoi tout catholique devrait aspirer pour lui-même : se sentir partout chez Dieu ! Ah, que donnerions-nous pour vivre sous le règne de l’Évangile, bénéficier d’une harmonie d’esprit, éprouver une identité de principes, jouir d’une unité de vie, le tout dans une société où enfin nous serions compris, puisque enfin nous serions en famille !
Bien sûr, nous partageons avec Guy de Larigaudie le sentiment que le monde où nous vivons n’est pas à notre taille et, comme lui, nous avons « le cœur gros parfois de toute la nostalgie du ciel ». Évidemment qu’il nous tarde de savourer l’enchantement du Ciel.
Néanmoins, avant toute chose, notre tristesse mérite d’être remise à sa place. La Foi nous rappelle en effet que nous ne sommes pas faits pour ce monde, mais pour l’autre. Cette conviction intime, jaillissant du cœur de Dieu, doit fonder dans nos âmes une joie sereine et imperturbable.
Stimulé, plutôt que bercé, par l’enseignement du Christ, chaque baptisé se trouve donc invité à sortir de lui-même, à contribuer humblement à faire de l’atmosphère terrestre l’antichambre du Ciel. Inlassablement, l’esprit du monde pourra s’illusionner de parvenir à bâtir un énième paradis ici-bas – sans barrière, sans prière, sans frontière –, sa « sagesse » sentira quand même toujours l’arnaque et la farce. « Dieu n’a-t-il pas convaincu de folie la sagesse du monde ? » (1 Co, 1, 20)
Antichambre du Ciel
La doxa actuelle offre des chaussons et un devenir aseptisé, égocentré, quand le message de l’Évangile propose des bottes de saut et l’aventure de l’éternité, de l’altruisme. Le discours dominant embourgeoise et installe, quand les Béatitudes aiguillonnent et bousculent.
Déjà, en son temps, saint Paul invitait les chrétiens de Corinthe à se méfier de l’esprit du siècle « qui aveugle les intelligences et agit sur elles afin que la splendeur de l’Évangile leur reste voilée » (2 Co 4, 4). Aujourd’hui encore, la gangrène du superficiel, de l’immédiateté et de l’éphémère continue de rider les âmes et d’étouffer tout appétit de transcendance et de permanence.
Que faire alors ? Pour Chesterton, « Le plus heureux des destins humains est de trouver quelque chose à aimer ; mais le deuxième sort le plus heureux est certainement de trouver quelque chose à combattre. » Le bonheur d’aimer nettement notre bon Seigneur, l’honneur de combattre opiniâtrement le mensonge vont certainement à rebours du monde. Eux seuls permettront pourtant d’en construire un meilleur. Celui d’un homme nouveau se sachant fait pour l’éternel.
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