« 300 millions de photographies diffusées chaque jour sur les réseaux sociaux ; publication en ligne de 1300 photographies en moyenne d’un enfant avant l’âge de 13 ans, sur ses comptes propres[1], ceux de ses parents ou de ses proches ; 50% des photographies qui s’échangent sur les forums pédopornographiques avaient été initialement publiées par les parents sur les réseaux sociaux[2] » : tels sont les chiffres donnés dans l’exposé des motifs de la proposition de loi « visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants »[3] en cours d’examen au Parlement.
Sous ce titre, la proposition de loi[4] pointe du doigt l’exposition des enfants sur les réseaux sociaux par leurs parents : « Vlogs familiaux » consistant en la mise en scène sur une chaîne Youtube, un compte Instagram, Facebook etc dédié, du quotidien d’une famille sous la forme de vidéos (en général dénuées d’intérêt et de piètre qualité) ; publication sur les comptes de réseaux sociaux des parents de contenus relatifs à leurs enfants ; et parfois pratiques humiliantes ou dégradantes filmées et mises en ligne par les parents eux-mêmes…
Ce sont ces faits qui ont conduit à l’initiative parlementaire. Les auteurs de la proposition de loi rappellent que « Titulaires de l’autorité parentale et à ce titre, du droit à l’image de l’enfant, les parents en sont à la fois les protecteurs et les gestionnaires ». Malheureusement les chiffres et les pratiques relatés ci-dessus montrent qu’un nombre non négligeable de parents comprennent mal leur responsabilité parentale. Incapables de résister à la mode actuelle d’exposer leur vie privée – comme si celle-ci n’avait de valeur qu’étalée – ils utilisent l’image de leurs enfants pour s’assurer des « like » supplémentaires.
La proposition de loi veut donc lutter contre ces excès avec des mesures annoncées comme « pédagogiques » plus que « répressives ou sanctionnatrices ». La proposition est, à ce jour, assez succincte et pourra faire l’objet de modifications en cours d’examen par le jeu des amendements. Le texte actuel veut compléter l’article 371-1 du Code civil relatif à l’autorité parentale, en précisant que le respect dû par les parents à la personne de l’enfant comprend notamment le respect dû à la vie privée de l’enfant.
Il suggère également que soit précisé, toujours dans le Code civil, que le droit à l’image est exercé en commun par les parents. C’est la position déjà adoptée par la jurisprudence qui a notamment jugé à plusieurs reprises que « la publication de photographies de l’enfant et de commentaires relatifs à celui-ci sur le site Facebook ne constitue pas un acte usuel, mais nécessite l’accord des deux parents ». [5]
N’échappant pas aux défauts des textes législatifs actuels, la proposition de loi voudrait introduire une redite dans le Code en précisant que « les parents associent l’enfant à l’exercice de son droit à l’image selon son âge et son degré de maturité ». Il s’agit d’un ajout inutile puisque cette mention figure déjà de manière générale à l’article 371-1 al 4, du Code civil relatif à l’autorité parentale : « Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. »
Et la répétition de la loi contribue à l’affaiblir puisqu’elle démontre son incapacité à être respectée. Mais sans doute les députés espèrent-ils prévenir les situations « constituant des atteintes à la vie privée de l’enfant » et entraînant « une multiplication des contentieux entre parents et jeunes majeurs dont les photos d’enfance et les détails privés de leur vie ont été publiés sans qu’ils aient pu y consentir »[6].
En cas de désaccord entre les parents, les députés proposent que le juge aux affaires familiales puisse interdire la publication ou la diffusion de contenu.
Enfin, ils souhaitent que la diffusion de l’image de l’enfant portant gravement atteinte à sa dignité ou son intégrité morale puissent constituer un motif de délégation totale ou partielle de l’autorité parentale.
Bien sûr, on ne peut que souscrire à l’appréciation des parlementaires : « à la tentation de la viralité, il faut privilégier l’impératif de l’intimité ». La morale de la fable du Grillon de Jean-Pierre Claris de Florian « Pour vivre heureux, vivons caché » semble aujourd’hui communément oubliée. Mais il est regrettable de devoir en passer par la loi pour rappeler aux parents la sagesse de cette maxime ainsi que leurs devoirs et leurs responsabilités vis-à-vis de leurs enfants.
Les comportements relatés montrent l’urgence d’éduquer les parents à leur rôle de parent. Beaucoup d’entre eux croient bien faire ou plutôt ne savent pas comment agir, dans ce domaine, comme dans bien d’autres. L’arsenal législatif est un pis-aller. Notre société a besoin avant tout de retrouver un lien social qui soutienne et enseigne les jeunes générations dans leur mission de parents.
L’utilisation des enfants – via leur image – par leurs parents dans les réseaux sociaux interrogent également les motifs profonds d’une telle attitude. La manière dont aujourd’hui on considère l’enfant n’y est sans doute pas étrangère. Dans notre société contemporaine, l’enfant n’est plus reçu, il n’est plus accueilli à l’improviste. Pour advenir au monde, il doit faire l’objet d’un projet parental, et parfois même il est considéré comme un dû réclamé à la technique ou à une société commerciale via la GPA… Cette chosification en germe dans la manière d’appréhender l’enfant façonne insidieusement les attitudes futures des parents envers l’enfant. Là encore, il y a urgence à transmettre une parole aux parents comme aux jeunes générations qui souhaiteront demain être parents.
[1] Pourtant, sur la plupart des réseaux sociaux, il faut avoir 13 ans au moins pour créer un compte
[2] Souvent il s’agissait de photos « anodines » publiées par les parents : enfants en maillot de bain ou tenue de gymnastique, bébés nus ou en couche-culotte
[3] dite proposition de loi Studer du nom du député rapporteur de cette proposition
[4] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/alt/garantir_respect_droit_image
[5] 4 Cour d’appel de Versailles, 25 juin 2015, n° 13/08349 et Cour d’appel de Paris, 9 février 2017, n° 15/13956
[6] « la vie privée : un droit pour l’enfant », Rapport 2022 du Défenseur des droits
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