Commentaire musical
Ce premier Agnus Dei de la série des messes grégoriennes est aussi l’un des plus beaux et peut-être le plus mystique de tous. Il est référencé en 4ème mode, un mode transposé puisque ses cadences, au lieu de se situer sur le Mi, sont en fait placées sur le Si, à la quinte supérieure. Il est daté du Xe siècle et c’est aussi un des plus anciens Agnus grégoriens que l’on possède.
Il est composé d’une seule mélodie reprise trois fois à l’identique. L’intonation part directement de la tonique transposée, le Si, descend jusqu’au Sol après un beau balancement entre le La et le Si, puis, du Sol, monte en deux tierces successives, d’abord vers le Si puis jusqu’au Ré. Cette intonation met en lumière les deux accents de Agnus et de Dei qui sont tous deux pris au levé, traités au moyen d’un seul petit punctum, tandis que la mélodie s’attarde davantage sur les finales de ces deux mots. Tout cela doit être chanté avec beaucoup de douceur et de legato, y compris cette finale qui s’épanouit dans les hauteurs et qui produit un si bel effet.
C’est à partir du Ré qu’on vient d’atteindre sur la finale de Dei, que la mélodie suit son chemin avec un récitatif qui module autour de cette corde, mettant en lumière les accents de tollis vers l’aigu (Ré-Mi) puis de peccátavers le grave (Ré-Do). La finale de ce dernier mot reproduit le petit podatus Ré-Mi entendu sur l’accent de tollis, et offre ainsi un beau balancement autour du Ré. Puis, sur mundi, la mélodie descend du Ré vers le Si où elle se fixe en mode de Mi transposé comme on l’a dit plus haut.
La formule finale, sur miserére nobis ou dona nobis pacem pour la dernière invocation, est de toute beauté : elle part du Sol (reliquat du mode de Sol utilisé en alternance avec le mode de Mi tout au long de cette messe Lux et origo), monte jusqu’au Do, puis s’enroule autour du Si sur l’accent de miserére, montant jusqu’au Do et redescendant jusqu’au Sol, avant de s’envoler vers le Ré et le Mi, déjà entendu à deux reprises sur qui tollis peccáta. Le Si qui précède ce sommet, doté d’un point dans les éditions avec signes rythmiques, doit être bien plein : c’est lui qui doit conduire sans à coup vers le Ré suivant. Il y a beaucoup de legato dans cette belle formule qui enveloppe les mots miserére nobis. Et la phrase mélodique s’achève comme sur mundi par une descente du Ré vers le Si, très calme, très douce. Dom Gajard parle de tendresse et le mot est bien choisi. Cet Agnus est ample, chaud, velouté, aimant, il est tout plein de confiance amoureuse.
Pour écouter cet Agnus :