Du haut de ses presque deux mètres, recouvert d’un parka kaki et d’un pantalon de camouflage tombant sur des gros rangers, le frère Marie-Angel Carré n’a, vous l’aurez compris, rien d’un « petit gris » ordinaire. Entré dans la communauté en 1992, le frère de Saint-Jean s’explique : « Mon expérience de pompier m’a poursuivi toute ma vie. »
Après un service militaire chez les sapeurs-pompiers de Paris, il fut nommé aumônier adjoint de cette unité de la capitale le jour même de son ordination. Dès lors sa vocation sacerdotale s’ancra toujours plus dans l’accompagnement des forces françaises. Génie, transmission, gendarmerie mobile, et le GIGN, ce prêtre originaire du Sud-Ouest a cumulé les casques, cagoules et autres casquettes afin de porter le Christ auprès de ces hommes d’action.
Droit dans ses bottes, frère Marie-Angel n’a toutefois rien du vieux briscard taiseux et pourtant il en a vu, comme on dit dans le métier. D’un sourire bienfaisant barrant une frimousse enfantine, cet homme libère une bonhomie rassurante comme si toutes les années à lutter contre les misères humaines l’avaient conforté dans son engagement et dans sa foi. Cette expérience de l’intervention, ce moine-pompier l’a d’abord partagée dans un livre Du feu de Dieu (1) avant de passer le flambeau du témoignage à ses camarades et amis dans un nouveau recueil, touchant et profond, Gyrophare éthique pour soldats de crise (2).
Au fil de ces pages orchestrées par le frère de Saint-Jean, des hommes, croyants et non-croyants, dévoilent avec pudeur la réalité de leur engagement. Quand il parle de ses amis qui s’expriment dans le livre, l’aumônier de 42 ans garde un visage plein d’espérance alors que ses grands yeux trahissent une émouvante gravité. Ces soldats de crise sont ses frères d’armes. Ensemble ils ont rencontré la peur, l’adversité et la misère, ensemble ils ont essuyé des tempêtes et connu des drames ; et c’est ensemble qu’ils s’en sont relevés, blessés.
« La crise (…), toujours dans l’effort, parfois dans la douleur, jamais dans la plainte ». Le frère Marie-Angel insiste, ces hommes ne sont pas des héros invincibles. Dans la faiblesse des victimes ils découvrent leur propre vulnérabilité et c’est parce qu’ils ont accepté d’être fragiles, de prendre des risques avec humilité, qu’alors ils sont forts. « Avec certains, j’ai connu la douleur de perdre des frères d’armes sur intervention », rajoute le prêtre. Prise d’otages, forcenés, incendies, émeutes de banlieue, contre-terrorisme, tremblement de terre, crise sanitaire sont la matière première de ces métiers de l’urgentisme.
La présence du père Carré n’y était pas anodine, et n’avait rien de superflu dans des situations où l’humain apparaît mis à nu, sans masque ni fioriture. « Un jour, confie-t-il, lors d’une intervention grave, alors que j’étais en uniforme de pompier et affairé à intervenir avec mes camarades, un jeune garçon m’a pointé du doigt et a crié de toutes ses forces : “Jésus !” ». Dans un tel instant, le frère de Saint-Jean a ressenti intensément l’importance de son ministère. « Dieu a promis qu’Il serait là dans la détresse », assure-t-il. Si les soldats de crise portent en eux ce fardeau de la souffrance, le frère Marie-Angel les a aidés à tenir car pour lui, seule une vie intérieure peut apaiser cette douleur. Sans elle, ces hommes couverts de blessures invisibles recherchent une compensation dans une conduite à risque ou un comportement déréglé, explique l’aumônier qui s’attriste devant tant de pompiers morts à moto ou en voiture.
« Ces professions relèvent d’un appel, certains l’ignorent, mais c’est une vocation. » Désireux de préparer les futurs engagés, le moine en kaki a créé et dirige depuis 1999 la Compagnie Secouriste Sainte-Barbe, un mouvement éducatif chrétien qui a formé plus de 500 jeunes sapeurs-pompiers. Avec le métier, la passion part très vite, explique-t-il, le soldat de crise doit alors savoir en vue de quoi et pour qui il œuvre. Il doit être porté par la compassion, seule garante de la fidélité dans l’engagement. C’est cette compassion qui conduit au don, parfois même jusqu’à offrir sa vie librement comme le Christ sur la croix. « Ma vie, nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne » (Jn 10, 18).
Dans ces métiers à hauts risques, la question de la mort revient sans cesse et l’interrogation éthique y est inévitable puisqu’il s’agit de sauver l’homme et de protéger sa dignité. « Face à la mort, raconte le frère de Saint-Jean, nous sommes comme des embryons dans le ventre de leur mère, s’interrogeant et ne sachant pas encore ce qui nous attend dans notre vie future… mais réelle. » Telle est cette réalité qui guide le frère Marie-Angel, au service de l’homme et dans les pas de Dieu.
1. Frère Marie-Angel Carré, Du feu de Dieu, Témoignage d’un moine-pompier, Presses de la Renaissance, coll. « Spiritualité », 230 p., 17 euros.
2. Frère Marie-Angel et Samuel Rouvillois, Gyrophare éthique pour soldats de crise, Éd. Economica, coll. « Guerres et guerriers », 188 p., 19 euros.
Cet article est extrait du dernier numéro de L’Homme Nouveau
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