Comment répondre à « la demande des personnes transsexuelles qui souhaitent procéder à une autoconservation de leurs gamètes pour éventuellement pouvoir les réutiliser après leur transition dans un projet de parentalité de couple » ? C’est la question qu’avait posée le Défenseur des droits à l’Académie de médecine, le 23 juillet 2013. Concrètement le problème concerne entre 100 et 200 personnes transsexuelles chaque année en France, que les opérations chirurgicales subies rendent définitivement stériles mais qui désirent pouvoir, à terme, avoir un enfant.
Une réponse floue
L’Académie de médecine a planché pendant plusieurs mois avant de rendre, le 21 mars dernier, une réponse plutôt hésitante et finalement assez vague : « En cas de demande de cryopréservation de gamètes ou de tissus germinaux, le type de projet parental envisagé devrait être évoqué avec les intéressés sans ignorer les incohérences pouvant se manifester entre identité de la personne, identité parentale et identité procréative. (…) Ce projet ne saurait ignorer ces conséquences pour le bien-être de l’enfant. (…) La conservation éventuelle de gamètes ou de tissus germinaux ne peut être entreprise sans considérer leur utilisation potentielle en fonction des possibilités médicales et légales existantes. » Embarrassée, l’Académie conclut ainsi que « Dans tous les cas, c’est au médecin d’en assurer ou non la mise en œuvre au cas par cas en fonction des situations des personnes qui le sollicitent et de leurs projets parentaux potentiels. »
Que dit la loi ?
La loi de bioéthique de juillet 2011 autorise l’autoconservation d’ovocytes pour raisons médicales lorsque la fertilité d’un patient est menacée par un traitement stérilisant administré dans le cas de certaines maladies graves comme le cancer. Néanmoins, les femmes ne peuvent conserver leurs gamètes au-delà de 43 ans, considéré comme âge limite pour la procréation. Les hommes, eux, bénéficient du droit à l’autoconservation dite « de convenance », c’est-à-dire sans limite d’âge, en raison de leur capacité à procréer beaucoup plus tard. Au-delà de la question de fond sur la légitimité de telles pratiques, la loi telle qu’elle existe actuellement suscite de vives polémiques au sein du corps médical : pourquoi les femmes n’auraient-elles pas le droit de conserver leurs gamètes aussi longtemps que les hommes ? Pourquoi faudrait-il limiter l’accès à l’autoconservation des gamètes aux personnes devenues stériles pour des raisons pathologiques ? Certains estiment en effet que cette pratique, comme d’ailleurs tous les procédés d’assistance médicale à la procréation en général, devraient être élargis aux demandes dites « sociales » et non plus seulement « médicales ». Auquel cas, une personne choisissant volontairement de se faire opérer pour changer de sexe, et choisissant par conséquent d’être rendue stérile, pourrait bénéficier du droit à conserver ses gamètes afin de se laisser la possibilité de concevoir un enfant.
L’évolution du rôle de la médecine
De la médecine qui soigne, on passe progressivement à la médecine qui satisfait les caprices : n’importe qui devrait pouvoir avoir un enfant n’importe quand et avec n’importe qui. D’ailleurs, la « réassignation sexuelle », qui désigne les opérations de changements de sexe, est déjà remboursée par la Sécurité sociale, de même que toutes les pratiques d’assistance médicale à la procréation auxquelles de plus en plus de couples dont la stérilité n’est pas avérée ont recours en dépit de la loi…
Le médecin doit-il user de son art pour répondre à n’importe quel mal-être ? Et la Sécurité sociale, et par conséquent les contribuables eux-mêmes, sont-ils légitimement solvables pour assurer à un transsexuel la capacité d’enfanter dont il s’est volontairement privé ? C’est à croire que la Sécurité sociale remboursera un jour les teintures de cheveux pour les filles complexées par leur couleur naturelle.
Risque zéro ?
D’aucuns se réjouissent de la première naissance en France en 2011 de deux jumelles décongelées. Le terme est cru mais il est vrai. Deux jumelles conçues in vitro, congelées au tout début du développement embryonnaire, puis décongelées et implantées plus tard dans l’utérus de la mère au moment où celle-ci a estimé qu’elle avait envie d’enfanter. Quel sera l’avenir de ces enfants décongelés ? Pire encore, ce qui pourrait advenir d’enfants de personnes transsexuelles : un homme, qui a conservé ses gamètes, puis devenu femme, qui se fait implanter un embryon décongelé issu des gamètes mâles du père devenue mère et de l’ovule de sa compagne ou, le cas échéant, d’une donneuse anonyme.
Naître de l’amour d’un homme et d’une femme va devenir un luxe. Sur le plan purement politique, la révolution de la procréation qui se dessine sous nos yeux encouragée par le gouvernement relève du manque de prudence le plus total. Car nul n’est en mesure de prédire quelles seront les conséquences psychologiques sur ces enfants délibérément privés du droit à une filiation normale. Le risque zéro, oui, mais pas pour les enfants.