Comme les apôtres, saint Benoît laisse tout pour se mettre résolument à l’école de Jésus, Agneau qu’il veut « suivre partout où Il va ». Sa recherche exclusive de Dieu lui fait quitter Rome et sa famille. Par la suite, la grotte où l’ermite pensait stabiliser sa quête de Dieu s’est ouverte à des périphéries inattendues, quand des âmes se groupèrent autour de lui pour être initiées à la vie commune, passant « de la logique animale à la grâce de la piété », explique saint Grégoire, son biographe (Vie 1, 8).
La Providence « le mit sur le chandelier », dit encore ce dernier, gouvernant douze petites communautés à Subiaco (Vie 3,12). Mais l’hostilité ambiante obligea saint Benoît à partir de nouveau, pour fonder le grand signe qu’est le Mont Cassin (Vie 8, 10) : encore un changement, mais l’idéal restait le même, « tout quitter pour Jésus » (cf. Mt 19, 29), « chercher Dieu » (Règle de saint Benoît chap. 58). Ce rayonnement non recherché était conduit par la seule main divine.
La vie bénédictine, à la structure si lourde en apparence, s’adapte sous la main de Dieu. Notre temps, encombré par le faux idéal de la consommation effrénée, sécrète hélas de terrifiantes barbaries, pires que celles qu’affronta saint Benoît au VIe siècle. Ses fils doivent continuer sa Vie et ouvrir les périphéries du moment aux chrétiens conséquents. Le Père de Foucauld, qui milita un temps sous sa Règle, s’enfonça ensuite en une démarche apparemment inverse à celle de saint Benoît, passant de la vie commune à une solitude croissante. Puis à sa suite, le Père Peyriguère, ermite comme lui en terre d’islam, se disait en état de pré-mission, la mission directe auprès des Berbères étant impossible, tout comme autour de nous maintes situations confuses semblent inaccessibles à l’Évangile.
Au-delà des banlieues explosives, les périphéries ce sont, d’une part, les masses musulmanes avides de prière mais séparées de Jésus le Grand Priant, d’autre part la foule également, à laquelle on impose un athéisme vulgaire et salissant : voilà le champ proche et lointain à évangéliser. Solitude et pauvreté avec Jésus sont bien souvent le seul rayonnement possible de l’Église devant Dieu, le plus beau aussi. Le Père Peyriguère dit sa joie de « taper » ainsi dans le mille : « Jamais je ne me sens autant missionnaire que lorsque la nuit, tout seul dans le grand silence de la montagne, tout seul je prie » (2 mai 1929). Et le futur cardinal Journet le visitant, a entendu son témoignage : « Je suis seul. Pourtant si je n’étais pas là, Jésus, Vous n’y seriez pas ! Et Il me répond : Toi non plus, si je n’étais pas là, tu n’y serais pas » (Nova & Vetera, 1959, III, p. 205). Les périphéries où nous veut le Pape François sont là, à la portée des grandes liturgies bénédictines comme des humbles liturgies d’âme, quand elles prient et chantent, tout en vivant avec ardeur le dépouillement intérieur pour suivre Jésus : tout autre succès serait illusoire.
Le cardinal Sarah, visitant notre pays de la part du Pape, encourage à ce témoignage missionnaire pur et dépouillé, plaidant à la fois pour nos manifestations non violentes et décidées en faveur des valeurs non négociables et pour la prière fervente, exempte de tout voyeurisme : « Il nous faut redécouvrir, dit-il, que l’essence de la liturgie restera éternellement marquée par le souci de la recherche filiale de Dieu ». (Dieu ou rien, p. 151) Bénédictin de cœur, il nous fait tous rejoindre le mot paradoxal du philosophe : « La vie monastique sera toujours l’avant-garde de l’avant-garde » (Fabrice Hadjadj), quand elle est pétrie d’humilité, de modestie et crainte de Dieu, de prière jointe à une vie de sobriété de langage et d’émotions. La vie dérisoire aux yeux des hommes est forte de sa seule humilité, avec et comme Notre Dame, « forte comme une armée rangée pour la bataille ».