1- Un roman qui ne laisse pas indifférent
2 – Une volonté farouche de changer de paradigme
3 – La démarche synodale comme processus du changement
Tout d’abord, et en amont de l’élection, la volonté farouche de changement de ceux qui ont préparé le règne.
En 2007 paraissait un livre (1) très éclairant et remarquablement conçu dans la plus pure tradition de la manipulation de l’opinion. Œuvre de commande certainement passée par ce que l’on appelle communément la « Mafia de Saint Gall » (2) , bourrée d’anecdotes, cet entretien accordé par un cardinal anonyme rassemble probablement en un seul personnage plusieurs cardinaux et prélats comme l’abbé Barthe le pressentait à l’époque (3).
La thèse de ce livre-programme qui devait se révéler prophétique peut se résumer ainsi : l’Église, depuis Constantin et avec pertinacité, s’est éloignée du message évangélique. Ce phénomène s’accentue à partir de la Renaissance quand l’Église s’entête de plus en plus en s’opposant à la modernité. Constatant au XXe siècle que des génocides ont été perpétrés dans des pays chrétiens (Allemagne, Rwanda), il faut en tirer la conclusion que cette manière ancienne d’être chrétien était fausse et qu’il faut refuser les préoccupations dérisoires que sont la connaissance de la foi, le nombre d’entrées au séminaire ou de sacrements célébrés, car tout cela détourne de l’essentiel qui consiste à apporter davantage d’humanité.
Jean XXIII en convoquant le concile Vatican II a œuvré pour réconcilier l’Église et le monde. Il faut à présent transformer totalement la manière d’être chrétien car la restauration d’une chrétienté est non seulement illusoire face à l’évolution de l’humanité dont il faut prendre acte, mais nuisible au christianisme. Cette transformation, le pape Benoît XVI fraîchement élu au moment de la rédaction du livre, est incapable de l’accomplir car, bonne personne, il n’en est pas moins aveuglé par son approche théologique. Il s’agit donc de préparer sa succession pour faire apparaître un cardinal des périphéries, qui ne soit ni théologien, ni Européen, comme par exemple le cardinal Bergoglio est-il écrit dans le livre en 2007.
Cette nouvelle manière d’être chrétien qui devra être inventée se traduira concrètement par une présence dans le monde, sans jugement ni prosélytisme, consistant d’une certaine manière à tenir la main des hommes, à être simplement présent à leur côté. L’absence de clergé ne sera donc pas un problème car pour « tenir la main » il faudra simplement fonctionner différemment. Il faudra avec les autres religions parvenir à une reconnaissance mutuelle et à un partage des valeurs dans l’objectif d’humaniser une mondialisation qui déshumanise à tour de bras, à puiser dans notre foi l’énergie de créer un peu d’humanité autour de nous. Voilà pour la préparation du pontificat présent.
Corroborons à présent cette vision avec quelques porte-parole ou relais du souverain pontife. Ainsi de cette déclaration du cardinal Grech (4) :
« Ce serait un suicide si, après la pandémie, nous revenions aux mêmes modèles pastoraux que ceux que nous avons pratiqués jusqu’à présent. (…) Et le premier fruit de ce dialogue (entre les participants au synode) est que chacun s’ouvre à la nouveauté, au changement d’opinion, à se réjouir de ce que disent les autres. »
Ou ces réflexions de monseigneur Magliore (5) :
« Dès les tout premiers moments, paroles et actions de son pontificat, lorsqu’il est apparu au balcon des Bénédictions, le pape François nous a introduits dans une claire conscience que nous étions arrivés à un point de rupture du style de vie ecclésiale, ce qu’il exprime depuis par des formules ou mots d’ordre tels qu’Église en sortie, conversion pastorale, mystique de la fraternité. (…)
Nous devons nous insérer dans la culture contemporaine, en réhabilitant la créativité, la capacité d’interprétation de la vie de l’homme et la force opérante de la Parole de Dieu. (…)
Parcourir ce chemin vers une pastorale générative signifie justement convertir l’image de l’Église, abandonnant finalement l’ecclesio-centrisme pour aller vers une communauté ecclésiale qui se reconnaît décentralisée dans l’histoire ; une communauté ecclésiale consciente de se trouver immergée dans un changement continu, et par conséquent qui se sente appelée à être présente vraiment là où doit être engendrée la vie de l’Évangile. »
Le cardinal Jean-Claude Hollerich, rapporteur général du synode sur la synodalité, proposait l’analyse suivante dans une interview (6) :
« Il y avait déjà à l’époque, dans cette société, beaucoup de fissures et d’hypocrisie. Au fond, les gens ne croyaient pas plus qu’aujourd’hui, même s’ils allaient à l’église. Ils avaient une sorte de pratique dominicale culturelle (…). Mais cette époque doit finir. Nous devons maintenant bâtir une Église sur la foi. Nous savons désormais que nous sommes et que nous serons une minorité. Il ne faut ni s’en étonner ni s’en lamenter. J’ai la douce certitude que mon Seigneur est présent dans l’Europe actuelle. »
(1) Olivier Le Gendre, Confession d’un cardinal, Jean-Claude Lattès, 2007. ↩
(2) Nom donné par le cardinal Danneels, lui-même membre de ce groupe, dans une interview à la télévision flamande. Danneels : Zat in soort maffiaclub, VTM Nieuws, 24 September 2015. ↩
(3) http://eucharistiemisericor.free.fr/index.php?page=2101093_confession ↩
(4) Le cardinal Grech est secrétaire général du synode des évêques. « Pandémie, vie de l’Église, quelles leçons ? Cardinal Mario Grech : une interview avec le nouveau secrétaire du synode des évêques », Antonio Spadaro (sj) et Simone Sereni, La Civilta Cattolica, 23 Octobre 2020. ↩
(5) Monseigneur Celestino Migliore, nonce apostolique en France, « Évangélisation et promotion humaine. La conversion pastorale selon le pape François », Nouvelle Revue Théologique, 143 n°2 avril-juin 2021. ↩
(6) Cardinal Jean-Claude Hollerich, « Pour être entendue, l’Église doit changer de méthode », La Croix, 20 janvier 2022. ↩
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