Il y a plus de 50 ans, le deuxième Concile du Vatican affirmait avec force que l’avortement était un crime abominable. On sait ce qu’il est advenu de cette affirmation, et cela apparaît d’autant plus grave que la technologie moderne permet actuellement des manipulations génétiques encore imprévisibles il y a quelques années. Pie XII en 1953, dans son message de Noël, donna et fixa des normes éthiques qui valent encore de nos jours, bien qu’elles ne soient nullement respectées. Ces normes se résument à ceci : la technique, bonne en soi, peut devenir un grave danger si disparaît la référence éthique s’appuyant sur la loi naturelle qui ne change et ne changera jamais. Le Pape François, en recevant l’Académie Pontificale pour la vie le 5 octobre dernier, vient de rappeler les dangers qui nous guettent et a appelé chacun de nous à prendre ses responsabilités en vue de tout faire pour dénoncer et remédier aux graves atteintes qui se répandent de nos jours contre la vie et mettent en péril l’humanité.
Lutter contre légoïsme
Pour cela, il est urgent avant tout de lutter contre le culte du moi. Refuser la vie est bien un acte égoïste par excellence. Même si l’Église parle à juste titre de paternité responsable et reconnaît un droit aux méthodes naturelles de régulation des naissances, elle rappelle l’importance du don pour l’autre qui est à l’opposé de la mentalité contemporaine centrée obsessionnellement sur la souveraineté de l’homme. Notre monde est devenu égolâtre à un point extrême. Dès lors, il devient incapable de tourner les yeux vers l’autre, ce qui engendre de nos jours un eugénisme jamais encore atteint. Ne regarder que soi entraîne des conséquences graves et imprévisibles sur la vie désormais perçue comme un péril. Le matérialisme technocratique enfonce nos contemporains dans des promesses illusoires qui augmentent le fossé entre riches et pauvres, par la création de nouveaux pauvres totalement oubliés, spécialement l’enfant à naître et le vieillard. La vie est hélas traitée comme un simple moyen au service du « je ». D’où les conflits, les rejets et les meurtres les plus abominables désormais reconnus comme des droits de l’individu.
Le deuxième danger est l’utopie du neutre. Le Pape en profite alors pour condamner la théorie du Genre qui refuse toute différence sexuelle. En supprimant la distinction entre un homme et une femme, cette théorie ne va pas simplement contre la pensée initiale du Créateur ; elle commet en outre au nom de la technique la pire des injustices. Elle ôte à l’homme et à la femme leur dignité fondamentale d’image de Dieu rachetée par le Christ et appelée dans l’Esprit à la sainteté et par là à la vie éternelle. L’homme et la femme ont une constitution sexuellement différente qui seule permet la transmission de la vie. En pratiquant toutes les manipulations génétiques que nous voyons sous nos yeux, l’homme ne reçoit plus la vie comme un don de son créateur, aliénant ainsi sa propre liberté. Tout chrétien doit donc relever le défi de cet avilissement de l’homme. Luttant à contre-courant, il doit en entraîner d’autres. Devant les murs infranchissables qui se dressent contre la vie, il n’y a de fait que deux possibilités qui doivent s’allier l’une l’autre : d’une part, le recours à Dieu par la prière et la lectio divina et, d’autre part, la sainteté du témoignage. Avec Marie, protégeons la vie depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle. Soyons des hommes vraiment libres et non anesthésiés par les médias ou paralysés par la peur de la confrontation.
Le discours du Pape
Excellence,
Mesdames et Messieurs,
C’est une joie pour moi de vous rencontrer à l’occasion de votre assemblée plénière et je remercie Mgr Paglia pour ses salutations et son introduction. Je vous suis reconnaissant pour la contribution que vous apportez et qui, au fil du temps, révèle de plus en plus sa valeur tant dans l’approfondissement des connaissances scientifiques, anthropologiques et éthiques, que dans le service à la vie, avec une attention toute particulière pour la vie humaine et la création, notre maison commune.
Le thème de votre session, « Accompagner la vie. Nouvelles responsabilités à l’ère de la technologie », est un thème à la fois exigeant et nécessaire. Il affronte cet enchevêtrement d’opportunités et de problèmes critiques qui interpelle l’humanisme planétaire, face aux récents développements technologiques des sciences de la vie. La puissance des biotechnologies, qui permet aujourd’hui déjà des manipulations de la vie jusqu’ici impensables, pose des questions redoutables.
Face aux effets d’une telle évolution technologique sur la société, il est urgent d’intensifier les études et la confrontation, pour arriver à une synthèse anthropologique qui soit à la hauteur de ce défi historique. Vos conseils d’experts ne sauraient donc se limiter à la solution de questions qui, au plan éthique, social et juridique, ne concernent que certaines situations spécifiques de conflit. L’inspiration de conduites cohérentes avec la dignité de la personne humaine concerne la théorie et la pratique de la science et de la technique dans leur approche globale par rapport à la vie, à son sens et à sa valeur. C’est précisément dans cette perspective que je souhaite aujourd’hui vous offrir ma réflexion.
Le sens de la vie
La créature humaine semble aujourd’hui se trouver à un passage marquant de son histoire dans laquelle se croisent, dans un contexte inédit, les vieilles et sempiternelle questions sur le sens de la vie humaine, sur son origine et sur son destin.
Le trait emblématique de ce passage peut se reconnaître brièvement dans la rapide diffusion d’une culture centrée obsessionnellement sur la souveraineté de l’homme – en tant qu’espèce et individu – par rapport à la réalité. Certaines personnes parlent même d’égolatrie, c’est-à-dire d’un véritable culte du moi, sur l’autel duquel toute chose est sacrifiée, y compris les personnes les plus chères. Cette perspective n’est pas anodine : elle façonne un sujet qui se regarde continuellement dans le miroir, jusqu’à devenir incapable de tourner son regard vers les autres et vers le monde. La diffusion d’une telle attitude a de très graves conséquences sur les proches et les liens de la vie (cf. Enc. Laudato si’, n. 48).
Il ne s’agit pas, naturellement, de nier ou de réduire la légitimité de l’aspiration individuelle à la qualité de la vie et l’importance des ressources économiques et des moyens techniques qui peuvent la favoriser. Toutefois, on ne saurait passer sous silence le matérialisme sans scrupule qui caractérise cette alliance entre l’économie et la technique, qui traite la vie comme une ressource à exploiter ou à rejeter en fonction du pouvoir et du profit.
Malheureusement, des hommes, des femmes et des enfants partout dans le monde expérimentent avec amertume et douleur les promesses illusoires de ce matérialisme technocratique. D’autant plus qu’en totale contradiction avec la propagande d’un bien-être qui se répandrait automatiquement avec l’élargissement du marché, les territoires de la pauvreté et du conflit, du rebut et de l’abandon, du ressentiment et du désespoir s’élargissent. Un authentique progrès scientifique et technologique devrait au contraire inspirer des politiques plus humaines.
La foi chrétienne nous pousse à reprendre l’initiative, en repoussant toute concession à la nostalgie et à la plainte. Du reste, l’Église a une vaste tradition d’esprits généreux et éclairés qui ont ouvert, à leur époque, des chemins pour la science et la conscience. Le monde a besoin de croyants qui, avec sérieux et joie, créent et proposent. Il a besoin de croyants humbles et courageux, déterminés à recomposer la fracture entre les générations. Cette fracture interrompt la transmission de la vie. On exalte les potentiels enthousiasmants de la jeunesse, mais qui guide ces jeunes tout au long de leur vie d’adulte ? La condition adulte est une vie capable de responsabilité et d’amour, envers la génération à venir comme envers celle du passé. La vie des pères et des mères, dans leur vieillesse, s’attend à être honorée pour ce qu’elle a donné généreusement, et non à être rejetée pour ce qu’elle n’a plus.
La source d’inspiration pour cette reprise d’initiative est encore une fois la Parole de Dieu, qui éclaire sur l’origine de la vie et son destin.
Une créature voulue et aimée par Dieu
Une théologie de la création et de la rédemption qui sache se traduire en paroles et en gestes d’amour pour toute vie et pour toute la vie, apparaît aujourd’hui plus nécessaire que jamais pour accompagner l’Église dans son cheminement actuel. L’encyclique Laudato si’ est comme un manifeste de cette reprise du regard de Dieu et de l’homme sur le monde, à partir d’un grand récit de révélation qui nous est offert dans les premiers chapitres du livre de la Genèse. Celui-ci dit que chacun de nous est une créature voulue et aimée par Dieu, et pas seulement un assemblage de cellules bien organisées et sélectionnées au cours de l’évolution de la vie. La création entière est comme inscrite dans l’amour spécial de Dieu pour la créature humaine, qui s’étend à toutes les générations des mères, des pères et de leurs enfants.
La bénédiction divine de l’origine et la promesse d’un destin éternel, qui sont le fondement de la dignité de toute vie, sont à tous et pour tous. Les hommes, les femmes, les enfants de la terre – dont les peuples sont faits – sont la vie du monde que Dieu aime et veut mettre à l’abri, sans exclure personne.
Le récit biblique de la création, doit être sans cesse relu, pour apprécier toute l’ampleur et la profondeur du geste d’amour de Dieu qui confie à l’alliance entre l’homme et la femme la création et l’histoire.
Cette alliance est, bien entendu, scellée par l’union d’amour, personnelle et féconde, qui marque le chemin de la transmission de la vie à travers le mariage et la famille. Mais celle-ci, va bien au-delà de ce sceau. Cette alliance entre l’homme et la femme est appelée à prendre en main le scénario de la société tout entière. Ceci est une invitation à la responsabilité pour le monde, dans la culture et dans la politique, dans le travail et dans l’économie ; dans l’Église aussi. Il ne s’agit pas simplement d’égalité des chances ou de reconnaissance mutuelle. Il s’agit surtout d’entente des hommes et des femmes sur le sens de la vie et sur la marche des peuples. L’homme et la femme ne sont pas appelés uniquement à se parler d’amour, mais à se parler, avec amour, de ce qu’ils doivent faire pour que le bon vivre ensemble humain se réalise à la lumière de l’amour de Dieu pour chaque créature. Se parler et s’allier, parce qu’aucun des deux – ni l’homme tout seul, ni la femme toute seule – n’est en mesure d’assumer cette responsabilité. Ils ont été créés ensemble, dans leur différence bénie ; ils ont péché ensemble, par prétention de se substituer à Dieu ; ensemble, avec la grâce de Dieu, ils retournent au chevet de Dieu pour honorer le monde et l’histoire qu’Il leur a confiée.
Bref, C’est une véritable révolution culturelle qui se profile à l’horizon de l’histoire de cette époque. Et l’Église, la première, doit apporter sa contribution.
Œuvrer pour une véritable dignité humaine
Dans cette perspective, il s’agit avant tout de reconnaître honnêtement les retards et les manques. Les formes de subordination qui ont tristement marqué l’histoire des femmes doivent être définitivement abolies. Un nouveau commencement doit être écrit dans l’ethos des peuples, et c’est une nouvelle culture de l’identité et de la différence qui peut le faire. L’hypothèse avancée récemment de rouvrir la voie de la dignité de la personne en neutralisant radicalement la différence sexuelle, donc l’entente entre l’homme et la femme, n’est pas juste. Au lieu d’aller contre les interprétations négatives de la différence sexuelle qui mortifient sa valeur inaliénable pour la dignité humaine, on veut de fait effacer cette différence, proposant des techniques et des pratiques qui la rendent insignifiante pour le développement de la personne et pour les relations humaines. Mais l’utopie du « neutre » supprime à la fois la dignité humaine de la constitution sexuelle et la qualité personnelle de la transmission génératrice de la vie. La manipulation biologique et psychique de la différence sexuelle, que la technologie biomédicale laisse entrevoir comme entièrement disponible au choix de la liberté – alors qu’elle ne l’est pas ! –, risque ainsi de démanteler la source d’énergie qui alimente l’alliance entre l’homme et la femme et la rend créative et féconde.
Les liens mystérieux qui unissent la création du monde et la génération du Fils, qui se révèle sous la forme humaine du Fils dans le sein de Marie – Mère de Jésus, Mère de Dieu – par amour pour nous, ne cessera jamais de nous surprendre et de nous émouvoir. Cette révélation éclaire définitivement le mystère de l’être et le sens de la vie. L’image de l’engendrement irradie, à partir de là, une sagesse profonde sur la vie. Reçue en don, la vie est exaltée dans le don : l’engendrer nous régénère, la dépenser nous enrichit.
Il nous faut relever le défi posé par l’intimidation exercée par rapport à l’engendrement de la vie humaine, comme si c’était une mortification de la femme et une menace pour le bien-être collectif.
L’alliance générationnelle entre l’homme et de la femme est une protection pour l’humanisme planétaire des hommes et des femmes, et non un handicap. Notre histoire ne pourra se renouveler si nous refusons cette vérité.
La passion pour l’accompagnement et le soin de la vie, tout au long de son histoire individuelle et sociale, demande la réhabilitation d’un ethos de la compassion ou de la tendresse pour la génération et la régénération de l’humain dans sa différence.
Il s’agit avant tout de retrouver de la sensibilité face au différents âges de la vie, en particulier ceux des enfants et des personnes âgées. Tout ce qui en eux est délicat et fragile, vulnérable et corruptible, ne saurait concerner exclusivement la médecine et le bien-être. Sont en jeu des parties de l’âme et de la sensibilité humaine qui demandent à être écoutées et reconnues, protégées et appréciées, par les individus comme par la communauté. Une société où tout cela ne peut être qu’acheté et vendu, réglé bureaucratiquement et techniquement établi, est une société qui a déjà perdu le sens de la vie. Elle ne le transmettra pas aux petits enfants, elle ne le reconnaîtra pas dans les parents âgés. Voilà pourquoi, presque sans nous en rendre compte, nous édifions désormais des villes toujours plus hostiles aux enfants et des communautés toujours plus inhospitalières pour les personnes âgées, avec des murs sans portes ni fenêtres : ils devraient protéger, en réalité ils étouffent.
Foi en la miséricorde de Dieu
Le témoignage de foi dans la miséricorde de Dieu, qui affine et accomplit toute justice, est une condition essentielle pour faire circuler la vraie compassion entre les différentes générations. Sans elle, la culture de la ville séculière n’a aucune possibilité de résister à l’anesthésie et à l’avilissement de l’humanisme.
C’est dans ce nouvel horizon que je vois la nouvelle mission de l’Académie pontificale pour la vie. Je comprends que c’est difficile, mais c’est passionnant. Je suis certain qu’il ne manque pas d’hommes et de femmes de bonne volonté, de chercheuses et chercheurs de divers bords en matière de religion et avec des visions anthropologiques et éthiques du monde différentes, qui partagent ce besoin de ramener les peuples à une vraie sagesse de la vie, en vue du bien commun. Un dialogue ouvert et fécond peut et doit être instauré avec tous ceux qui ont à cœur – et il y en a beaucoup – la recherche de raisons valables pour la vie de l’homme.
Le Pape et toute l’Église vous sont reconnaissants pour l’engagement que vous vous apprêtez à honorer.
L’accompagnement responsable de la vie humaine, depuis sa conception et tout au long de son parcours jusqu’à sa fin naturelle, est un travail de discernement et d’intelligence du cœur pour des hommes et des femmes libres et passionnés, et des pasteurs qui ne sont pas des mercenaires. Que Dieu bénisse vos intentions de les soutenir avec la science et la conscience dont vous êtes capables. Merci, et n’oubliez pas de prier pour moi.