Nous sommes tous invités aux noces de l’Agneau

Publié le 29 Oct 2017
Nous sommes tous invités aux noces de l'Agneau L'Homme Nouveau

Depuis Pie XI, les papes ont beaucoup fait pour développer le culte des martyrs. Il est vrai que notre époque apostate favorise la haine de la foi, motif indispensable pour la reconnaissance du martyre. Et le sang ne cesse de couler. Les visions de l’Apocalypse enseignent que le sang des martyrs nous fait découvrir la beauté du mystère de la Croix et la grandeur du pardon chrétien. Les martyrs ont lavé leur robe nuptiale dans le sang de l’Agneau. Cette robe nuptiale, un des convives de la parabole du festin de noces (évangile du 15 octobre) ne la possédait pas. Elle est pourtant indispensable pour entrer dans le Royaume des cieux et participer avec le Fils l’Agneau sans tache, à son festin. Dieu de fait célèbre des noces avec toute l’humanité. C’est l’enseignement de toute la grande Révélation judéo-chrétienne et que l’on ne retrouve dans aucune autre religion. Et bien souvent, comme Israël, nous sommes adultères et infidèles à cette alliance divine. Mais Dieu riche en miséricorde invite toujours : il attend de nous une réponse et une réponse sponsale. Le serviteur fidèle n’est pas un simple écolier. Il est fils et doit aimer son Père, son Sauveur et son Époux. Qu’on relise ici le si beau livre d’Osée: le Seigneur nous aime d’un amour fou et il veut que nous l’aimions. L’observance stricte, pharisaïque et purement rituelle de la Loi, il l’a en horreur. Voilà pourquoi, selon le psaume 39, le Fils s’est incarné. Grâce au sang de l’Agneau et à son sacrifice Rédempteur nous sommes devenus fils dans le Fils et nous devons nous comporter comme tels.

Dieu prend toujours l’initiative et nous sommes tous invités au festin, car Dieu ne fait acception de personne. Toute vie chrétienne naît de cette gratuité dans l’amour de la part de Dieu. Le drame est que nous puissions refuser pour nous saccager nous-mêmes. Nous pouvons refuser de revêtir la robe nuptiale. Généralement cela ne se fait pas d’un coup. Mais sous la tentation du démon de midi déclenchant en nous l’acédie et la fascination des bagatelles, nous risquons d’encourir le reproche fait à l’Église d’Éphèse dans l’Apocalypse : « Tu as perdu ton amour d’antan ». Pour raviver en nous notre premier amour pour Dieu, il n’y a qu’une seule voie : redevenir un petit enfant. Seule l’enfance spirituelle peut nous permettre d’éviter le grand danger de la vie spirituelle : la routine, la normalité, l’accomplissement du « juste ce qu’il faut ». À la routine, il nous faut ajouter le danger de l’oubli. La mémoire, concept si biblique, s’avère d’une importance capitale dans la vie spirituelle car c’est elle qui nous permet de nous souvenir des bienfaits de Dieu et de dire : « Merci, s’il vous plaît et pardon », ces trois mots chers au Pape qui ne les cite pas ici explicitement mais en livre encore bien le contenu.

Soyons donc sur nos gardes car l’invitation peut être refusée. Et d’ailleurs l’Évangile commence par cela. C’est parce que beaucoup ont refusé que le roi a invité tout le monde. Nous pouvons hélas toujours prononcer la parole diabolique non, à l’inverse du oui prononcé par Celui qui n’est que oui et par Notre Dame. Comment expliquer ce refus ? Par la liberté bien sûr, mais aussi par l’égoïsme qui nous fait préférer nos propres sécurités et commodités en refusant l’autre à commencer par Dieu. Songeons à Sartre. Demandons donc par l’intercession des saints martyrs canonisés et de leur Reine de conserver le vêtement blanc ou de le retrouver par le sacrement de réconciliation. Lui seul nous ouvrira les portes des noces de l’Agneau.

Homélie du Pape

La parabole que nous avons entendue nous parle du Royaume de Dieu comme d’une fête de noces (cf. Mt 22, 1-14). Le protagoniste est le fils du roi, l’époux, dans lequel il est facile d’entrevoir Jésus. Dans la parabole, cependant, on ne parle jamais de l’épouse, mais des nombreux invités, désirés et attendus : ce sont eux qui revêtent l’habit nuptial. Ces invités, ce sont nous, nous tous, parce qu’avec chacun de nous le Seigneur désire « célébrer les noces ». Les noces inaugurent la communion de toute la vie : c’est tout ce que Dieu désire avec chacun de nous. Alors, notre relation avec lui ne peut être seulement celle des sujets dévoués au roi, des serviteurs fidèles au patron ou des écoliers appliqués avec le maître, mais c’est surtout celle de l’épouse aimée avec l’époux. En d’autres termes, le Seigneur nous désire, nous cherche et nous invite, et il ne se contente pas que nous accomplissions bien nos devoirs et observions ses lois, mais il veut avec nous une véritable communion de vie, une relation faite de dialogue, de confiance et de pardon.

Voilà la vie chrétienne, une histoire d’amour avec Dieu, où le Seigneur prend gratuitement l’initiative et où aucun de nous ne peut revendiquer l’exclusivité de l’invitation : personne n’est privilégié par rapport aux autres, mais chacun est privilégié devant Dieu. De cet amour gratuit, tendre et privilégié naît et renaît toujours la vie chrétienne. Nous pouvons nous demander si, au moins une fois par jour, nous confessons au Seigneur notre amour pour Lui ; si nous nous souvenons, parmi tant de paroles, de lui dire chaque jour : « Je t’aime Seigneur. Tu es ma vie ». Parce que, si l’amour se perd, la vie chrétienne devient stérile, devient un corps sans âme, une morale impossible, un ensemble de principes et de lois à faire cadrer sans raison. Au contraire, le Dieu de la vie attend une réponse de vie, le Seigneur de l’amour attend une réponse d’amour. S’adressant à une Église, dans le livre de l’Apocalypse, il fait un reproche précis : « Tu as abandonné ton premier amour » (2, 4). Voilà le danger : une vie chrétienne de routine, où on se contente de la « normalité », sans élan, sans enthousiasme, et avec la mémoire courte. Ravivons au contraire la mémoire du premier amour : nous sommes les bien-aimés, nous sommes les invités aux noces, et notre vie est un don, parce que chaque jour est l’occasion magnifique de répondre à l’invitation.

Tenir compte de l’invitation

Mais l’Évangile nous met en garde : l’invitation, toutefois, peut être refusée. Beaucoup d’invités ont dit non, parce qu’ils étaient pris par leurs intérêts : « Ils n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent, l’un à son champ l’autre à son commerce », dit le texte (Mt 22, 5). Une parole revient : son ; c’est la clé pour comprendre le motif du refus. Les invités, en effet, ne pensaient pas que les noces soient tristes ou ennuyeuses, mais simplement « ils n’en tinrent aucun compte » : ils étaient détournés par leurs intérêts, ils préféraient avoir quelque chose plutôt que de prendre des risques, comme l’amour le demande. Voilà comment se prennent les distances avec l’amour, non par méchanceté, mais parce qu’on préfère ce qui est à soi : les sécurités, l’auto-affirmation, les commodités… Alors on s’étend sur les fauteuils des gains, des plaisirs, de quelque hobby qui rend un peu joyeux, mais ainsi on vieillit vite et mal, parce qu’on vieillit à l’intérieur : quand le cœur ne se dilate pas, il se ferme, il vieillit. Et quand tout dépend du « moi » – de ce qui me va, de ce qui me sert, de ce que je veux – on devient également rigides et méchants, on réagit de mauvaise manière pour un rien, comme les invités de l’Évangile, qui arrivent à insulter et même à tuer (cf. v. 6) tous ceux qui portaient l’invitation, seulement parce qu’ils les incommodaient.

Alors l’Évangile nous demande de quel côté être : du côté du moi ou du côté de Dieu ? Parce que Dieu est le contraire de l’égoïsme, de l’auto-référentialité. Lui – nous dit l’Évangile – devant les refus continuels qu’il reçoit, devant les fermetures des regards de ses invités, continue, ne renvoie pas la fête. Il ne se résigne pas, mais il continue d’inviter. Devant les « non », il ne claque pas la porte, mais il inclut encore davantage. Devant les injustices subies, Dieu répond par un amour encore plus grand. Nous, quand nous sommes blessés par des torts et des refus, nous éprouvons souvent de l’insatisfaction et de la rancœur. Alors qu’il souffre à cause de nos « non », Dieu continue au contraire de relancer, il continue de préparer le bien même pour celui qui fait le mal. Parce qu’ainsi est l’amour, fait l’amour ; parce que seulement ainsi il vainc le mal. Aujourd’hui, ce Dieu, qui ne perd jamais l’espérance, nous entraîne à faire comme lui, à vivre selon l’amour véritable, à dépasser la résignation et les caprices de notre moi susceptible et paresseux.

L’habit de la charité

Il y a un dernier aspect que l’Évangile souligne : l’habit des invités est indispensable. Il ne suffit pas en effet de répondre une fois à l’invitation, de dire « oui » et puis c’est tout, mais il faut revêtir l’habit, il faut l’habitude de vivre l’amour chaque jour. Parce qu’on ne peut dire : « Seigneur, Seigneur » sans vivre et mettre en pratique la volonté de Dieu (cf. Mt 7, 21). Nous avons besoin de nous revêtir chaque jour de son amour, de renouveler chaque jour le choix de Dieu. Les saints canonisés aujourd’hui, les nombreux martyrs, surtout, indiquent cette voie. Ils n’ont pas dit « oui » à l’amour en paroles et pour un moment, mais par leur vie et jusqu’au bout. Leur habit quotidien a été l’amour de Jésus, cet amour fou qui nous a aimés jusqu’au bout, qui a laissé son pardon et son vêtement à ceux qui le crucifiaient. Nous aussi, nous avons reçu dans le baptême le vêtement blanc, l’habit nuptial de Dieu. Demandons-lui, par l’intercession de ces saints, nos frères et sœurs, la grâce de choisir et d’endosser cet habit chaque jour et de le maintenir propre. Comment faire ? Par-dessus tout en allant recevoir sans peur le pardon du Seigneur : c’est le pas décisif pour entrer dans la salle de noces afin de célébrer la fête de l’amour avec Lui.

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