À l’évidence, il n’était pas un enfant de chœur. De l’alcool et de la drogue, il avait plus qu’abusé. Avec ses multiples mariages, divorces, remariages et séparations, il était le contraire du mari modèle. Nul ne songera donc à faire de Johnny Hallyday, tout baptisé qu’il était, le paroissien qu’il n’a jamais prétendu être. Il n’empêche. Personne ne le forçait à porter un petit crucifix autour du cou, ni à s’être fait tatouer sur le torse, il y a quelques années, un Christ en croix. Quarante ans plus tôt, après le scandale déclenché par sa chanson Jésus-Christ, niaiserie typée années 70 (« Jésus, Jésus-Christ, Jésus-Christ est un hippie »…), il s’était justifié ainsi : « On peut me faire ce qu’on voudra, je resterai chrétien. Je suis sûr que Jésus, lui, ne m’en veut pas. Il sait que je n’ai pas voulu l’insulter ni le tourner en dérision, et cela seul compte pour moi. »
Il ne nous appartient pas de sonder les reins et les cœurs : gardons-nous d’émettre une appréciation sur la foi du rockeur, dorénavant saisi par le divin mystère. Il importe de souligner, en revanche, ce qui s’est passé, le 9 décembre, lors de la cérémonie d’adieu à « Johnny ». Bien sûr, ce n’était pas une messe, mais une simple bénédiction. Bien sûr, la succession de mélodies profanes jouées à la guitare électrique et de cantiques entonnés par la chorale de la Madeleine (« Le Seigneur est mon berger ») a fait crisser les oreilles de ceux – dont je suis – qui n’aiment pas le mélange des genres. Bien sûr, comme pour tous les enterrements du show-biz, il y avait quelque chose d’irritant à voir une église envahie par une cohorte de people et de politiques manifestement étrangers au caractère sacré de l’édifice. Toutefois les centaines de milliers de fans venus rendre hommage à leur idole et 14 millions de téléspectateurs ont pu écouter en silence une épître de saint Paul (lue par l’actrice Marion Cotillard), une prière de sainte Mère Teresa (récitée par la comédienne Sandrine Kiberlain) et l’homélie de Mgr Benoist de Sinety, vicaire général du diocèse de Paris, qui expliquait que « comme Jean-Philippe, devenu Johnny Hallyday, nous sommes tous appelés à laisser percer en nous cette lumière divine qui fait de nous des icônes de l’amour de Dieu plutôt que des idoles dont la vie s’épuise ». Ainsi la star aux cent millions de disques a-t-elle permis au petit peuple de la France périphérique de pénétrer, par écran interposé, dans une église. À l’occasion de sa mort, une foule vraisemblablement éloignée de l’Église s’est tenue avec le chanteur au pied de l’autel. Quelques fruits sortiront bien de cette rencontre inattendue.