Faut-il être vertueux pour faire de la politique ?

Publié le 09 Fév 2018
Faut-il être vertueux pour faire de la politique ? L'Homme Nouveau

Dans le cadre de sa mission de formation du laïcat chrétien, Ichtus publie un petit essai sur l’importance des vertus en politique. Les auteurs du Collectif Jean Ousset, à l’origine de cette publication, entendent traiter des qualités humaines des gouvernants ou, plus largement, de ceux qui sont engagés en politique. Il ne s’agit donc pas de nier aux institutions, dès lors qu’elles sont bonnes, une influence bénéfique, mais d’insister sur les qualités morales des gouvernants et sur les vertus plus proprement politiques que requiert l’exercice du gouvernement.

Très classiquement, l’ouvrage se divise en deux parties. Dans la première, les auteurs s’emploient à montrer la nécessité des vertus en politique, en tentant une sorte d’état des lieux, oscillant entre les tentations propres à notre époque (le poids de la technique, le culte de l’instantanéité et de l’éphémère, etc.) et les invitations du magistère récent (principalement depuis le concile Vatican II jusqu’au pape François) à une action politique des laïcs. Dans la seconde partie, le lecteur entre dans le vif du sujet, avec une présentation de chacune des vertus politiques et de leur nécessaire connexion.

Au cœur du sujet

Cette seconde partie fait largement appel aux grands auteurs depuis l’Antiquité païenne et chrétienne, jusqu’à la philosophie classique ainsi qu’au Magistère de l’Église. C’est de loin la partie la plus intéressante, la mieux construite et la plus percutante de ce petit volume de formation. N’aurait-il pas d’ailleurs fallu s’en contenter puisqu’elle a le mérite d’être au cœur de la problématique posée par les auteurs dans l’introduction générale à leur ouvrage ? Bien que ne se voulant pas « un petit traité sur les vertus », le but clairement affiché est bien « de rouvrir un horizon de réflexion sur le politique totalement oublié depuis trop longtemps ». Dès lors, n’y a-t-il pas le risque que le lecteur s’impatiente trop en découvrant la première partie qui tarde, malgré des considérations intéressantes, à entrer dans le vif du sujet.

Au chapitre des précisions qui auraient été bienvenues, une définition plus claire de ce que les auteurs entendent par entrer en politique ou faire de la politique permettrait certainement de saisir mieux l’adéquation de l’homme vertueux avec la fin de la politique, à savoir le bien commun. Mais dans ce cas, il est vrai qu’il aurait fallu aborder la question complexe du système démocratique moderne, de l’aliénation qu’il entraîne et plus largement évoquer également des épisodes historiques déterminants comme le fut, par exemple, le Ralliement, lequel a conduit finalement à une paralysie politique des forces catholiques et à leur repliement dans le domaine de la morale ou de la charité sociale. Les auteurs auraient eu alors à creuser les effets de la crise de l’Église sur l’engagement politique des chrétiens.

Quid de « l’opération en trois temps » ?

Au titre des étonnements, on remarquera aussi qu’il n’est nullement fait allusion à la réflexion de Jean Ousset sur le lien « institutions-individus ». Rappelons juste en passant que celui-ci avait notamment bâti son œuvre sur l’« opération en trois temps » : 

« 1. Travailler d’abord à l’intense formation, à la rigoureuse préparation d’un certain nombre d’hommes rayonnants suffisamment répandus dans le corps social ; 2. C’est ce petit nombre, cette “minorité agissante” qui, se servant des institutions comme d’un levier, peut travailler à l’instauration du système social convenable (compte tenu des circonstances de temps et de lieux) ; 3. Système social qui permet alors cette influence générale, cette action durable sur l’ensemble des hommes, que seule la Société (avec un grand S) est capable d’exercer. »1

Acquérir un habitus vertueux

Au terme de ce petit parcours de base dans le monde des vertus, les auteurs soulignent la nécessité de l’unité de vie, celle de la formation puisqu’il faut connaître le bien qu’il faut atteindre et, enfin, celle de l’action, qui permet d’acquérir l’habitus vertueux qui repose sur une disposition constante obtenue par répétition d’actes.

Dans leur ensemble, les chrétiens ont depuis longtemps perdu ce rapport des vertus à la politique, réduisant celle-ci à une pure technicité ou, au contraire, en se réfugiant dans un moralisme humanitariste, sans rapport à la finalité politique. À juste titre, les auteurs en font remonter l’origine à la Renaissance : « Dès le XVIe siècle, on observe que les préceptes moraux et la religion sont parfois relégués au second plan et laissent place à un prétendu pragmatisme politique préconisé par Machiavel dans son traité intitulé Le Prince. » C’est dire s’il est temps de remettre les choses à plat…

les vertus en politique

Les vertus en politique, sens et actualité, Collectif Jean Ousset, Ichtus, 200 p., 13 €.

1. Fondements de la cité, Jean-Marie Vaissière (pseudonyme de Jean Ousset), Cercle canadien de formation civique, 1963, p. 154.

;

Ce contenu pourrait vous intéresser

A la uneCultureLectures

Un dernier livre sur Hans et Sophie Scholl, aux racines de leur héroïsme

Recension | Dans un ouvrage paru récemment, Henri Peter expose l’évolution de la réflexion intellectuelle et spirituelle de protagonistes de la Rose blanche, Hans et Sophie Scholl. Dans Sa vie pour la mienne, Julie Grand témoigne six ans après l'attentat islamiste de Trèbes, où le Colonel Arnaud Beltrame a trouvé la mort. La Rédaction de L'Homme Nouveau vous propose une page culture, avec un choix de quelques livres religieux, essais ou CD. Des idées de lecture à retrouver dans le n°1806.

+

livre lecture
A la uneCultureLectures

Un deuxième et dernier tome au « Royaume perdu d’Erin »

Recension jeunesse | La rédaction de L’Homme Nouveau vous propose une page recension de lectures jeunesse pour ces vacances de printemps, avec un choix éclairé de quelques histoires à lire ou faire lire, et autres activités. La saga du Royaume perdu d’Erin d'Anne-Élisabeth d’Orange s'achève sur un deuxième tome intitulé L’Imposteur. À retrouver dans le n°1806.

+

lecture famille tome
CultureLectures

Augusto Del Noce, un penseur pour notre temps

Culture | "Analyse de la déraison", qui vient de paraître en français, permettra-t-il enfin à Augusto Del Noce (1910-1989) d’être reconnu chez nous, comme il l’est en Italie ? Que le lecteur potentiel ne soit pas rebuté par la longueur de cet ouvrage. Il en sera récompensé en découvrant un des penseurs les plus originaux de ce temps.

+

del noce
Culture

L’exposition : Des samouraïs aux mangas. L’épopée chrétienne au Japon

Les Missions étrangères de Paris proposent jusqu'en juillet une rétrospective de l'évangélisation du Japon depuis le XVIe siècle jusqu'à aujourd'hui. L’histoire de cette « épopée » est présentée de façon chronologique. Soulignant les aspects contrastés de cette évangélisation, le parcours montre dans ces premiers siècles des périodes d’« expansion rapide aux effets bénéfiques » auxquelles succèdent de terribles répressions.

+

japon