Abbé Gordien : ceux qui l’ont connu témoignent

Publié le 27 Mar 2023
abbé Gordien
L’abbé Gordien, curé de la paroisse saint-Dominique à Paris, est décédé d’un cancer ce mardi 14 mars. Nous avons recueilli les témoignages de ceux qui l’ont connu.

 

Le rappel à Dieu de l’abbé Cyril Gordien, du diocèse de Paris, « pas prêtre pour de faux »

 

Le mardi 14 mars, Mgr Ulrich, archevêque de Paris, interrompait le repas des curés de Paris qu’il présidait : « Nous allons prier pour Cyril Gordien, qui vient d’entrer en agonie ».

Cyril Gordien, était né en 1974, d’une famille originaire des Charentes Maritimes, avec cinq enfants, tous des garçons, famille installée dans les Landes. Son père, chirurgien, mourut relativement jeune, en 1996. Cyril entra au séminaire de Paris deux ans plus tard. Il avait un tempérament de fer dans une physionomie de velours. Une force tranquille. Ordonné en juin 2005, c’était un « nouveau prêtre » typique, mais un peu plus que la moyenne si on ose dire, qui accueillit avec enthousiasme l’élection de Benoît XVI, et portait soutane, comme désormais un petit nombre de ses confrères.

Il fut d’abord envoyé au Liban, puis nommé vicaire à Sainte-Jeanne de Chantal : grand succès auprès des jeunes, mais pas auprès du curé, soixante-huitard classique. Puis on l’affecta à la chapelle Notre Dame du Saint Sacrement, 20 rue Cortambert dans le XVIe arrondissement, des Sœurs Servantes du Très Saint-Sacrement, où il commença à donner sa mesure, spécialement comme aumônier de lycées.

Mais en liturgie, les sœurs bloquaient systématiquement ses tentatives de traditionalisation des cérémonies. Aumônier à Gerson il vécut péniblement l’« affaire Gerson » fomentée par des parents d’élèves et des professeurs, soutenus en sous-main par la direction diocésaine de l’enseignement catholique, un monde catho-bourgeois du XVIe qu’exaspérait l’aumônerie catho-identitaire.

En revanche, vicaire à Notre Dame de l’Assomption depuis 2013, il se trouva  parfaitement en phase avec le curé, le Père Guillaume de Menthière, qui devint dès lors pour lui un soutien indéfectible. Avec d’autres « jeunes prêtres » parisiens, il fréquentait les retraites, réunions et sessions organisées par la Prélature de l’Opus Dei à Paris, et, comme quelques-uns d’entre eux, il devint membre de la Société sacerdotale de la Sainte-Croix, bénéficiant ainsi de soutien, direction spirituelle.

En septembre 2019, il devint curé de la petite paroisse saint-Dominique, dans le XIVe arrondissement, sa première et sa dernière paroisse, où il remplaçait un jeune curé polonais de sensibilité opposée.

Très rapidement, il organisa une adoration (presque) permanente du Saint-Sacrement. La paroisse changeait. Paris n’est pas le désert sacerdotal des provinces : les catholiques y sont des « riches », qui ont la possibilité de pratiquer à la carte en se rendant dans la paroisse qui leur correspond. Saint-Dominique, du coup, perdit une partie de ses paroissiens – et même un diacre marié, qui démissionna pour émigrer à Saint-Jacques-du-Haut-Pas –, mais bénéficia d’un gros apport de familles jeunes, enfants chez les scouts, communion sur la langue.

Les statues réapparaissaient dans l’église, six chandeliers se rangeaient à l’ancienne sur l’autel revêtu d’un antependium à la romaine. Le nouveau curé, qui disait volontiers la messe face au Seigneur dans la chapelle de la Sainte Vierge, préparait l’établissement d’une messe tridentine, spécialement destinée aux jeunes, le mercredi soir. Mais survint Traditionis custodes.

Ce sont spécialement les jeunes vers lesquels se dirigeait l’apostolat de l’abbé Gordien, déjà aumônier national des Scouts et Guides d’Europe, qui assurait dès lors, l’aumônerie de ND-de-France, près de Saint-Dominique, que son jeune directeur maintient fermement dans la ligne marquée par son prédécesseur François-Xavier Clément (dont on se souvient des déboires lors de l’ « affaire Saint-Jean de Passy », assez semblable à l’« affaire Gerson »).

En outre, l’abbé Gordien avait aussi été nommé, en 2019, délégué diocésain aux vocations. Il y réussit trop bien, car dès après la départ de Mgr Aupetit, en 2022, Mgr Philippe Marsset le licencia sans motif, avec l’aval de Mgr Pontier, administrateur du diocèse.

Survint la crise du Covid : le dimanche messe « privée » à ND-de-France ; en semaine, l’abbé Gordien ouvrait son église tous les après-midi, exposait le Saint-Sacrement, confessait, disait la messe dans la chapelle de la Sainte Vierge, que pouvaient suivre ses paroissiens censés venir faire une visite que leur permettait le ministre de l’Intérieur. Certains de ces « visiteurs », horresco referens, ne portaient pas de masque : dénonciation à l’archevêché, convocation, réprimandes (encore l’évêque auxiliaire ignorait-il que l’abbé Gordien continuait à baptiser et à marier…)

L’épreuve du retrait de sa charge auprès des vocations précéda de peu l’annonce qui lui fut faite : il était atteint d’un cancer déjà avancé. Durant un an, une immense chaîne de prière s’organisa autour de lui. Chimio à l’établissement Montsouris, retour à la paroisse, opérations en catastrophe, séjour chez des amis pour tenter de se refaire, et ainsi de suite, le chemin de Croix continuant ainsi durant un an.

Dans le très émouvant testament spirituel qu’il a laissé, la description de cette fin de pèlerinage, où il avoue combien il a souffert, est bouleversante, surtout pour ceux qui l’ont connu et qui l’ont vu, épuisé, dire une dernière messe publique un samedi soir.

Ses obsèques ont eu lieu le 20 mars, jour de la fête de saint Joseph cette année. Son cercueil, resté depuis plusieurs jours au pied de l’autel de Saint-Dominique, fut porté à l’église proche de Saint-Pierre-de-Montrouge, plus vaste. Les amis, les jeunes, les fidèles étaient venus de partout, la foule remplissant l’église, les allées, les seuils d’entrée.

Six évêques participaient à la célébration. Comme tous les autres assistants, ils ont pu lire le testament spirituel que les organisateurs avaient fait imprimer et déposer à chaque place : « A l’intérieur de l’Eglise, des loups se sont introduits. Ce sont des prêtres, et même parfois des évêques, qui ne cherchent pas le bien et le salut des âmes, mais qui désirent d’abord la réalisation de leurs propres intérêts, comme la réussite d’une « pseudo-carrière ». Alors ils sont prêts à tout : céder à la pensée dominante, pactiser avec certains lobbies comme les LGBT, renoncer à la doctrine de la vraie foi pour s’adapter à l’air du temps, mentir pour parvenir à leurs fins. J’ai rencontré ce genre de loups déguisés en bons pasteurs, et j’ai souffert par l’Église. »

L’abbé Gordien, infatigable confesseur à l’imitation du Curé d’Ars, avait été déposé dans le cercueil en soutane, surplis, étole violette, comme lorsqu’il entendait ses pénitents. « Ce n’est pas par les habits seulement que Cyril ressemblait à Jean-Marie Vianney, disait le P. de Menthière dans le sermon des funérailles, ni même principalement par une certaine assimilation physique, chevelure en moins, mais d’abord et avant tout par cette volonté d’être prêtre intégralement. Pas prêtre pour de faux, comme un fonctionnaire ecclésiastique, mais viscéralement prêtre, c’est-à-dire avide d’être pleinement à Dieu et aux âmes. »

 

Abbé Claude Barthe


Monsieur l’abbé,

Nous partageons en commun cette promesse scoute, qu’au cours de votre vie, vous avez choisi inlassablement de servir. En témoigne, entre autres choses, votre homélie sur le sacerdoce, faite au cours de la messe du jeudi saint 2021. Vous étiez alors, responsable des vocations sacerdotales pour le diocèse de Paris. Vous parliez du don de soi et de la beauté de servir Notre Seigneur, à travers une vie offerte.

On dit que l’esprit ne fait pas de bruit, que toute grande chose se passe dans le silence. Vous fûtes un éloquent signe de l’Esprit pour beaucoup de jeunes, à travers votre douceur et votre humilité. Vous fûtes pour moi le porte-voix de ce même Esprit ; Esprit de sagesse et d’intelligence, Esprit de conseil et de force.

En dépit du fait que nous ayons partagé la même expérience du scoutisme, que nous nous sommes réunis en patrouille, en troupe, ou en groupe, pour prier le chapelet, pour rencontrer jeunes et moins jeunes, autour d’un feu et pour offrir notre temps, pour servir nos frères scouts, ce n’est pas dans ces moments privilégiés, de grandes joies et de fraternité, que nous sommes rencontrés l’un l’autre.

C’était – permettez-moi l’expression – dans un contexte plus personnel, intérieur pourrait-on dire. Des chaises du confessionnal de l’église Saint-Dominique, où vous étiez curé et où vous me receviez avec délicatesse, nous sommes passés au fauteuil d’une petite salle paroissiale ; vous étiez alors devenu mon père spirituel.

Je garde de vous ce prêtre, fidèle à son sacerdoce et à son amour de Jésus. Je garde de vous ce prédicateur à l’ambon et votre âme à l’écoute, au confessionnal. Je garde de vous ce scout, gardien des promesses faites et votre cœur, témoin des promesses faites.

C’est un grand homme que nous rendons au Père. Oui ! Mais combien plus avez-vous offert au Père, des jeunes, prêt à s’engager dans leur vocation ?

 

Augustin, 24 ans, fils spirituel de l’abbé Gordien


L’abbé Gordien a voulu être présent au maximum pour la paroisse, en fonction de ses forces. Le dimanche comme en semaine, il restait à la fin de la messe au fond de l’église pour nous saluer, en s’efforçant de retenir nos prénoms. Petit à petit, il a dû arrêter de le faire. Les dernières semaines, il concélébrait simplement ou servait la messe. Il célébrait quand il avait un peu plus de forces. Mais jusqu’au bout, il était là.

Il était aussi présent pour le groupe des étudiants, « Christus Vivit », dont je fais partie. Il a même remplacé son confrère malade à deux ou trois reprises. Je me souviens d’une fois où, malgré sa maladie, il nous a fait un topo de trois quarts d’heure sur la mission. Je me souviens aussi du repas de Noël : il était très fatigué et il voulait tout de même nous aider à ranger. Jusqu’au bout, il était dans le service.

Au soutien scolaire, il lui est arrivé de passer voir comment se passait le travail des enfants, et vérifier que tout allait bien.

Ce qui m’a particulièrement marqué, c’était son sens du sacré : il prenait le temps de soigner la consécration et l’élévation.

 

Odile, 23 ans, paroissienne de saint-Dominique

 

 

La Rédaction

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