Confronté aux malheurs de son temps, le pape Pie XI (1857-1939) avait le 8 mai 1928 ordonné la récitation d’un acte de réparation au Sacré-Cœur. Compréhensible à cette époque, cette pratique l’est-elle toujours aujourd’hui … Voici quelques réflexions pour chercher à répondre.
Pour un Jacques Brel, l’amour met dans nos mains le monde entier (chanson « Quand on a que l’amour » 1956) ; pour un Michel Sardou, il est une maladie (chanson « La maladie d’amour » 1973). Thème chéri des poètes et des chansonniers, ce cher amour semble bien humain et si peu divin. Aimer, de fait, c’est dépendre de la personne que l’on aime ; c’est une relation qui suppose une dépendance et qui, partant, génère tant la joie que la souffrance ; c’est une passion qui, comme son nom l’indique, rend passif, passible …
Une pratique illégitime ?
Un Dieu aimant, n’est-ce donc pas un Dieu faible ? Avant même de se poser la question de l’obsolescence de l’acte de réparation voulu par Pie XI, il convient d’abord de justifier l’amour possible de Dieu. Cet amour est pourtant déjà consommé et vécu de toute éternité au sein de la Très Sainte Trinité : sempiternellement, le Père et le Fils aiment le Saint-Esprit. Cette amour est une plénitude et ne souffre d’aucune carence et donc n’est la source d’aucune peine. Mais un Dieu qui crée et sauve par amour ne peut retrouver dans ses créatures cette perfection : si l’appel est parfait, la réponse ne saurait l’être.
Et pourtant Il nous aime !
Incroyable mais vrai, Dieu a choisi de nous aimer. Il faut accepter ce mystère : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour qu’il juge le monde, mais pour que le monde soit sauvé par Lui » (Jean 3, 16-17). Plus stupéfiant encore, Dieu par la grâce sanctifiante (qui est habitation trinitaire) choisit de s’aimer Lui-même en nous afin que cet amour soit plein. Blaise Pascal avait bien raison de dire que « l’homme est misère et grandeur en creux » car si seul il ne peut rien, Dieu l’a voulu pour Lui aimable. Splendeur d’être voulu par Lui et pourtant effroi de pouvoir le décevoir.
Liberté chérie
Le voilà le drame ! L’homme peut refuser, trahir, blesser Dieu qui l’a créé libre. Certes, saint Augustin enseigne que « le Christ a souffert ; il ne manque rien à la mesure de ses souffrances » mais encore que si « la passion a donc été accomplie, dans le chef restent encore les souffrances du Christ dans son corps » (Saint Augustin, Commentaire du Psaume 86). Oui, Dieu souffre de nos manques et ainsi nous ne saurions douter qu’un acte de réparation puisse être superflu maintenant et toujours. Comment, du reste, ne pas être ému par les plaintes même du Sacré-Cœur exprimées à Sainte Marguerite-Marie Alacoque ? « Voici ce Cœur, dit-il, qui a tant aimé les hommes et les a comblés de tant de bienfaits et qui, pour son amour infini, non seulement ne reçoit pas de reconnaissance, mais subit les négligences et les injures, et cela parfois de la part de ceux qui sont tenus par un devoir d’amour particulier ».
Un éternel devoir
Le pape Pie XI justifiait sa décision (encyclique « Mirentissimus Deus » du 8 mai 1928) face aux abominations qu’il observait avec notamment le bolchevisme, la persécution des Cristeros et peut-être le nazisme qui devait bientôt arriver au pouvoir en Allemagne : « De partout montent vers nous les clameurs et les gémissements des peuples dont les princes et les chefs se sont levés et réunis contre le Seigneur et son Eglise (Cf. Psaume 2, 2). En certains pays nous voyons transgresser les lois divines et humaines, les églises ruinées et abattues, les religieux et les religieuses chassés de leurs couvents, en butte aux outrages, aux cruautés, à la famine et à la prison ; des multitudes d’enfants arrachés au sein de l’Eglise leur mère, poussés à abjurer et à blasphémer le nom du Christ. Et amenés aux pires dégradations de la luxure, toute la population chrétienne durement opprimée, toujours dans le danger de perdre la foi ou de subir.la mort parfois dans des conditions atroces ».
Nous pouvons sans doute reconnaître certains de ces maux aujourd’hui ou rajouter certains qui nous sont propres et qu’il serait fastidieux d’énumérer. Une réalité demeure : une réparation face à un Dieu si bon ne sera jamais indue.
La gloire du chrétien
Continuons notre lecture de Pie XI : « Si pour nos péchés aussi qui étaient futurs, mais prévus, l’âme du Christ a été attristée jusqu’à la mort, il n’est pas douteux qu’elle n’ait goûté alors quelque consolation, grâce à notre réparation prévue elle aussi, quand « un ange lui apparut venant du ciel » (Luc 17, 43) pour consoler son Cœur accablé de dégoût et d’angoisse ». S’il est une grâce et même une gloire du catholique dévot, c’est bien de pouvoir consoler le divin Maître ! Ainsi, si les hérésies pélagiennes ou jansénistes avaient occulté le mystère de l’amour de Dieu suscitant, au-delà d’un Saint François de Sales et son Traité de l’Amour de Dieu, la réponse du Sacré-Cœur en personne à Paray-le-Monial ; alors, la joie de l’âme fidèle sera toujours de savoir aimer et donc réparer toujours davantage.
Un Serge Reggiani a beau voir dans sa liberté « une perle rare » heureusement confisquée par « une prison d’amour » (chanson « Ma liberté » 1967) : la liberté d’aimer et de réparer est pour un disciple du Christ la seule vraie libération.
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