Avec l’écrivain et journaliste Gabrielle Cluzel, il ne faut pas s’attendre à un entretien qui flirte avec le consensus mou. Auteur d’un essai percutant sur le féminisme et sur la femme – deux réalités qui ne se recoupent pas toujours –, au titre évocateur, Adieu Simone (Le Centurion), elle a bien voulu réagir à l’idée de verbaliser le sexime, proposée par la nouvelle secrétaire d’État à l’égalité entre les hommes et les femmes, Marlène Schiappa. Et si après Simone, on disait aussi adieu à Marlène ?
La nouvelle secrétaire d’État à l’égalité entre les hommes et les femmes, Marlène Schiappa, envisage de verbaliser le sexisme par la police de sécurité quotidienne que prévoit le Président Macron. Qu’en pensez-vous ?
Il faut d’abord noter que Marlène Schiappa – à l’instar d’à peu près toutes les féministes ayant pignon sur rue – est restée silencieuse durant plusieurs jours après l’affaire du harcèlement dans le quartier de La Chapelle Pajol. Face à l’insistance des réseaux sociaux et l’étonnement manifesté dans les médias par certains politiques, elle s’est même sentie obligée de se justifier sur Twitter : « je ne suis pas commentatrice de l’actualité, je conduis des politiques publiques. J’agis d’abord et je communique après ».
Préconiser de faire verbaliser le sexisme par la police n’est pas une réponse si élaborée qu’elle mérite trois ou quatre jours de préparation, si ? Passons. Pour être positif, on peut dire que c’est quand même moins surréaliste que d’élargir les trottoirs, comme le suggère Caroline de Haas. Mais c’est l’archétype du vœu pieux. Vous imaginez la situation, concrètement ? Un harcèlement par définition, n’est pas une agression caractérisée, c’est une phrase obscène lancée en passant, un geste déplacé, un frôlement insistant… Il faudrait un policier derrière chaque femme pour réussir à constater l’infraction ! Et si en plus, les policiers sont des femmes, comme cela est souvent le cas avec la police de proximité… qui va fliquer les flics ? Soyons sérieux, les policiers peinent déjà à intercepter les auteurs d’agressions violentes voyantes et objectives commises devant de nombreux témoins, comment pourraient-ils verbaliser un mot graveleux glissé l’air de rien ?
On remarquera au passage que la gauche, qui n’est pas censée être l’amie de l’ordre et de la répression, dégaine « le flic » à tout propos. À chaque problème – qu’elle a généralement créé – son policier. Une « task force » pour tout.
Je crains par ailleurs, eu égard à la grande confusion mentale ambiante, que cette coercition, sans réflexion de fond sur les causes du problème – l’arrivée massive d’une population allochtone dont le regard sur la femme est bien différent du nôtre, ce qui ne peut être sans conséquence pour la condition féminine sous nos latitudes – mène vers toujours plus de féminisme fondamentaliste, ce féminisme absurde qui ne fait pas la différence entre le petit compliment galant – « vous avez une jolie robe, mademoiselle » remontant le moral à l’étudiante qui vient de rater ses partiels – et l’injure dégradante qui salit.
Un compliment n’est pas une insulte, c’est une lapalissade. Brel et Ronsard ne sont pas des délinquants. Quand le ton est gentil et poli, il suffit de dire merci, et voilà, c’est fini. Cela n’a rien à voir avec du harcèlement. Sauf que les féministes mélangent tout.
Vous avez remarqué, d’ailleurs, que quand Jean-Pierre Elkabach dit d’Aurélie Philipetti qu’elle est une très jolie femme, il est traité de sexiste, mais que lorsqu’Emmanuelle Cosse dit d’Emmanuel Macron qu’il est beau, personne ne pipe mot. À ce train-là, seuls les hommes auront bientôt la petite joie d’être complimentés sur leur joli minois… Les femmes auront tout gagné.
Dans un entretien au Figaro, Marlène Schiappa (photo) rappelle que l’antiracisme ne doit pas être une barrière au féminisme. Est-ce déjà une bonne voie pour appréhender le réel ?
C’est vrai, on pourrait dire que c’est un début. Elle répète les propos d’Élisabeth Badinter après les viols de Cologne. Élisabeth Badinter est la seule féministe, à ma connaissance, à avoir eu ces paroles courageuses. Sauf qu’Élisabeth Badinter en était restée là, point à la ligne. Quand Marlène Schiappa a poursuivi sa phrase par un inventaire à la Prévert de toutes les autres situations de harcèlement. Je la cite : « Mais il ne faut pas oublier que le harcèlement de rue existe dans l’ensemble de la France et peut toucher tous les quartiers, toutes les classes sociales. Même l’Assemblée Nationale comme on l’a vu ces derniers mois… Il est aussi présent dans les entreprises, et l’immense majorité des agressions sexuelles et des viols a lieu dans le cadre intrafamilial ».
On reconnaît le fameux « en même temps » promu comme mode de fonctionnement de tout un gouvernement. On ne nie pas mais on relativise. Il y a le mensonge par omission, et puis son pendant, le mensonge par « noyade du poisson », si j’ose dire. Et il est bien plus finaud car il désarme. Prenons un exemple : si je prétends m’occuper de la faim dans le monde mais que je mêle, dans mon constat, l’anorexie des jeunes filles en Europe, je ne vais rien résoudre car je n’aurai pas posé correctement le problème : certes, dans les deux cas, il est question de sous-nutrition, mais les causes ne sont pas du tout les mêmes, et l’ampleur du fléau non plus !
Franchement, vous connaissez beaucoup de femmes qui redoutent de se promener seules dans les couloirs de l’Assemblée Nationale ? Comment comparer cela avec La Chapelle ? Lorsque j’en ai fait la remarque sur Twitter, Marlène Schiappa m’a répondu – c’est à mettre à son crédit, elle accepte la contradiction, quand une Caroline de Haas, à l’inverse, vous bloque immédiatement – en m’envoyant des témoignages de jeunes femmes draguées lourdement par des députés. Après les affaires DSK et Baupin, on veut bien les croire. Mais encore une fois, c’est un autre sujet… qui n’est pas sans lien, celui-ci, d’ailleurs, avec les dérives de notre société ultra-libertaire et le regard « consumériste » sur la femme qu’elle induit.
C’est peu ou prou ce que je lui ai répondu, en lui disant que je me tenais à sa disposition pour lui suggérer les remèdes, en matière d’éducation sexuelle à l’école par exemple, que l’on pourrait y porter…
Que faudrait-il faire aujourd’hui pour mettre en valeur le rôle et la place des femmes dans la société ? Quel est cet autre féminisme que vous préconisez dans votre livre, Adieu Simone ?
Ne pas laisser les femmes entre le marteau d’un féminisme radical et l’enclume d’un islam radical, l’un ayant fait, d’ailleurs, le lit de l’autre.
Cet autre féminisme n’usurperait pas son suffixe. Car si le perfectionniste aime la perfection, le syndicaliste aime le syndicat, etc., le féminisme – tel que nous le connaissons, héritier des théories de Simone de Beauvoir – n’aime pas la femme. Il n’aime pas ses qualités propres et ce qui la caractérise. Il ne cherche qu’à la changer. Comme un conjoint pervers narcissique qui prétend faire le bien de son épouse en l’accablant de reproches sur ce qu’elle est et de recommandations autoritaires sur ce qu’elle devrait être.
Améliorer la condition féminine, c’est donner à la femme un cadre de vie pour évoluer en sécurité et être respectée. Où elle ne sera ni harcelée, ni reléguée, ni bafouée, ni niée dans son identité. Vous voyez, il y a du pain sur la planche.
Pour aller plus loin :
Le Centurion
130 pages, 11,90 €