Au quotidien n° 98 : retour à la philosophie politique classique ?

Publié le 25 Nov 2020
Au quotidien n° 98 : retour à la philosophie politique classique ? L'Homme Nouveau

Nous en avions esquissé l’idée. Dans un entretien accordé à L’Express (14/11/2020), le philosophe Marcel Gauchet rappelle aussi la nécessité de revenir à la philosophie politique classique, même s’il n’est pas sûr que nous mettions les mêmes choses sous les mêmes mots. Mais une tendance se dégage et c’est intéressant à noter.

Y a-t-il quand même, selon vous, une ou deux leçons à tirer de la période ? 

Marcel Gauchet. Le mot qui s’impose est évidemment celui de confusion. Entre la peur pour leur santé des uns, l’angoisse économique des autres et un gouvernement cafouilleux à souhait, on a l’impression de naviguer dans un brouillard très épais. Mais ce qui nous trouble le plus en profondeur, c’est de mesurer à quel point nous n’étions pas préparés à cette crise, sur aucun plan : technique, médical, politique ou moral. La leçon essentielle est là. Elle oblige à repenser ce qui était devenu le mode de fonctionnement de nos sociétés. Nous nous étions installés dans un système de pilotage automatique. Nous sommes ramenés à la philosophie classique de l’action politique, qui consistait à se préparer en permanence à affronter un risque vital pour la collectivité. Ce péril imprévisible avait pour nom principal la guerre. Il fallait vivre en s’organisant pour être prêt à se défendre contre une agression extérieure…   (…)

Est-ce une situation généralisée en Occident ou y voyez-vous une spécificité française ?  

Le problème est général, bien sûr, dans le monde occidental. La philosophie libérale régnante a conduit partout à se mettre sur « pilote automatique ». La spécificité française, peut-être, est que nous nous accommodons plus mal de cette situation : par notre histoire, notre culture, nous avons une foi plus grande dans la politique. D’où la stupeur devant le désarmement de la puissance publique. Nous découvrons un système de commandement collectif – qu’on appelle autrement l’Etat – dans une situation de délabrement assez avancée.  

(…)

Certains pointent le manque de moyens ; d’autres, l’obésité bureaucratique. Qui a raison ? 

Les deux ont à la fois raison et tort. C’est justement l’un de ces sujets sur lesquels les oppositions simplistes ne fonctionnent pas. Les appréciations globales brouillent le diagnostic : la vraie question est celle de la répartition des moyens. Ne confondons pas dépenses et effectifs, fonction publique nationale et fonction publique territoriale, ni même obésité et bureaucratie. Une bureaucratie peut être maigre et paralysante. Personne ne niera aujourd’hui qu’il manque du personnel dans les hôpitaux. Mais lequel ? Du personnel soignant, alors que le personnel administratif est en surnombre par rapport à nos voisins.   L’Etat régalien (armée, police, justice) souffre de pénuries, alors que, à la faveur de la décentralisation, les collectivités locales ont recruté à tour de bras. Nous avons le niveau de dépenses publiques par rapport au PIB le plus élevé du monde sans que cela se traduise par un niveau de bien-être collectif sans égal. Comment cela peut-il se faire ? Où va l’argent ? Voilà la vraie question. Or, la difficulté politique de la question saute aux yeux dès que l’on s’aperçoit que le gros de cette dépense exorbitante – le « pognon de dingue » de Macron – est absorbé par le système de redistribution sociale. C’est l’ensemble de ces données qu’il faut mettre à plat pour répondre avec pertinence à votre question.

Ce contenu pourrait vous intéresser

SociétéPhilosophie

L’organicisme, une pensée matérialiste et fataliste

L'Essentiel de Joël Hautebert | Hérité des Lumières et du naturalisme du XIXe siècle, l’organicisme est un concept d’analogie encore utilisé aujourd’hui et qui a inspiré la sociologie. Si l’idée peut paraître juste, elle mène cependant au déterminisme, faisant de l’homme un être purement matériel, somme toute similaire aux végétaux et animaux.

+

organicisme
Société

Mont-Saint-Michel : faire le pont avec l’Archange

Entretien | La première édition du pèlerinage de Saint-Michel aura lieu du 8 au 11 mai 2025. Il commencera à Saint-Malo pour se finir au pied du Mont-Saint-Michel. Entretien avec Brieuc Clerc, président de l’association Pèlerinage de Saint-Michel. 

+

mont-saint-michel
SociétéLettre Reconstruire

Carlos Sacheri : Le travail humain (II)

Lettre Reconstruire n° 45 | Extraits | Dans notre précédent numéro (Reconstruire n°44), nous avons publié l’étude de Carlos Sacheri sur le travail humain. L’auteur présentait succinctement les conceptions libérales et marxistes à ce sujet. Nous continuons ici en abordant le travail selon une conception conforme à la loi naturelle.

+

travail humain carlos sacheri
SociétéLettre Reconstruire

Du pouvoir dans la modernité et la postmodernité

Lettre Reconstruire n° 45 (mars 2025) | La Bibliothèque politique et sociale | L’extension sans fin de l’État moderne que des épisodes récents, comme la gestion de la crise liée au Covid-19 ou actuellement la « guerre » déclarée entre la France et la Russie, mettent en évidence, conduit immanquablement à s’intéresser à la question du « pouvoir ». Javier Barraycoa a consacré un petit essai sur la situation du pouvoir dans nos sociétés postmodernes. Traduit en français, Du pouvoir bénéficie d’une substantielle préface de Thibaud Collin dont le titre indique tout l’intérêt.

+

du pouvoir dans la modernité et postmodernité
SociétéPhilosophie

Le sens des mots et le véritable enjeu du langage

C'est logique ! de François-Marie Portes | En tant que matière vivante, le langage évolue nécessairement et s’enrichit souvent de nouveaux mots pour exprimer au mieux la pensée. Mais certains néologismes sont utilisés pour nourrir des luttes idéologiques et dérivent alors de leur sens littéral. C’est notamment le cas du terme « homophobie » que l’on entend partout. 

+

sens des mots
Société

Intelligence artificielle (5/5) : L’IA à l’épreuve de la trisomie 21

DOSSIER « L’intelligence artificielle : entre innovation et responsabilité » | La trisomie 21 est caractérisée par une déficience intellectuelle mais celle-ci permet de souligner les autres formes d’intelligence – relationnelle, affective, de communication... – que les porteurs de trisomie possèdent souvent à un haut degré, faisant ressortir les pauvretés de l’intelligence artificielle. Démonstration que l’humanité ne se définit pas par des critères de performance mesurables. Entretien avec Grégoire François-Dainville directeur de la Fondation Jérôme Lejeune.

+

Intelligence artificielle IA trisomie 21