Dans le Figaro Magazine (3 avril), Philippe Bouvard regarde les événements avec l’œil de l’homme d’expérience et non sans un certain humour :
Pour l’instant et jusqu’à nouvel ordre comme disent les officiels, je me trouve dans la situation d’un prisonnier privé de parloir ou, plus sereinement, d’un assigné à résidence. Mais contrairement aux condamnés, j’ignore la date à laquelle prendra fin ma peine. Hormis la salve d’applaudissements adressés aux admirables soignants qui, à 20 heures, met des millions de braves confinés à leur fenêtre, le silence est effrayant car il gomme toute trace de vie. Pas question pour autant de vocaliser à tue-tête comme les infortunés Italiens. Les fausses notes de l’exécutif suffisent. Afin de rendre plus crédible, j’imagine, le terme de guerre employé plusieurs fois par le chef de l’État, le couvre-feu est appliqué à l’échelle départementale. On reste chez soi. Exception faite des citoyens ayant un chien en laisse. Peut-être conviendra-t-il de supprimer ce jogging qu’aucun vocable français n’est capable de désigner. On ne saurait plus faire le tour de son pâté de maisons sans avoir rempli et daté un formulaire se gardant bien de préciser que si l’on a évité le virus, on a des fourmis dans les jambes. Or, les cartouches d’encre commençant à manquer aux imprimantes, il va être difficile de renouveler à chaque petite escapade l’attestation dérogatoire. En fait, aucune similitude avec le passé. Même si, au Moyen Âge, les chevaliers du guet contrôlaient déjà les passants. Pendant l’Occupation, on reconnaissait au premier coup d’œil les ennemis à leurs uniformes vert-de-gris. Aujourd’hui, on a besoin d’un microscope pour les localiser.
Quand l’État récupère la mort. C’est l’un des points de la réflexion de François-Guillaume Lorrain Lorrain dans Le Point, à propos de l’actuelle épidémie :
La mort est un tabou, écrivait Ariès en 1977. Un tabou qui toutefois souffre désormais de notables exceptions, imputables à l’État. Le paradoxe se creuse : plus la société refoule la mort, plus l’État la spectacularise. Des soldats tombent en opérations extérieures et on organise un hommage national, des cérémonies, avec cercueils aux Invalides : la mort, au service de la nation, est exposée, surexposée, confisquée par l’État. « À l’époque de la guerre zéro mort, celle-ci, intolérable, fait l’objet désormais d’une élaboration héroïque », commente Anne Rasmussen. Et puisque la guerre est dite sanitaire, chaque mort devient un « scandale ». Le bilan des grippes de 1957 et 1968, qui avaient fait chacune aux environs de 30 000 morts, fit bien moins de bruit. Cette emprise croissante des pouvoirs publics est la thèse d’Arnaud Esquerre (Les Os, les cendres et l’État, Fayard), qui démontre que, entre la médiatisation des profanations de cimetières, les analyses ADN, la restitution de restes humains, « l’État, prenant le relais de l’Église, ne s’est finalement jamais autant soucié des morts ». « Avec ce décompte quotidien, dit en nuançant Gaëlle Clavandier, il s’agit moins de mettre en scène la mort que de montrer sa possible gestion. » Il n’empêche : l’État poursuit là son extension du domaine de la mort.
Le pape ne serait plus le « vicaire du Christ ». C’est l’Annuaire Pontifical qui l’affirme, comme le rapporte La Croix (3 avril) :
L’Annuaire pontifical, volumineux ouvrage de plus de 2 300 pages rassemblant les noms de tous les responsables hiérarchiques de l’Église catholique, contient chaque année de petites innovations. Pour l’édition 2020, c’est la page consacrée au pape, en début de livre, qui a fait bondir certains cardinaux. En effet, elle s’ouvrait par les titres traditionnels du pape « Vicaire de Jésus-Christ », en plus gros, suivi de « Successeur du Prince des Apôtres », « Souverain pontife de l’Église universelle », « primat d’Italie », « archevêque et métropolite de la province de Rome », « Souverain de l’État de la Cité du Vatican », « Serviteur des serviteurs de Dieu ». Le tout suivi de repères biographiques du pape jusqu’à l’inauguration de son pontificat, le 19 mars 2013. Cette année, après une première page (qui elle n’a pas changé en indiquant seulement « François, évêque de Rome », ces différents titres n’arrivent qu’à la suite de la biographie, précédés par une petite mention « titres historiques ». Une modification qui a fait immédiatement réagir le cardinal Gerhard Ludwig Müller, ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Pour cet opposant marqué au pape François, il ne s’agit ni plus ni moins que de mettre de côté la « signification dogmatique » du titre de « vicaire de Jésus-Christ ». Selon l’ancien préfet, dont le mandat n’avait pas été renouvelé par François, ce titre « découle directement des Évangiles, dans lesquels Jésus a donné à Pierre l’autorité dans l’Église ».