Qu’est-ce que le « décolonialisme » dont on parle tant aujourd’hui et qui fait des ravages, non seulement dans les esprits, mais au plan politique et social ? Pierre-André Taguieff, sur le Figaro Vox (16 mars 2021) le qualifie de nouveau marxisme, preuve s’il en est qu’il est toujours fécond le ventre de cette bête là…
Le décolonialisme est un projet utopique global de refonte de l’ordre social, impliquant une critique radicale de l’hégémonie dite occidentale ou « blanche » et la volonté d’y mettre fin. On peut y voir une reformulation du projet révolutionnaire communiste, qui visait l’instauration d’une société sans classes. L’utopie du décolonialisme a pour objectif de créer une nouvelle société sans discriminations (de race, de genre, etc.) au terme d’une « décolonisation » des représentations et des croyances, des savoirs, des pratiques et des institutions. La « décolonisation » généralisée est censée s’accomplir à travers une mise en accusation permanente et systématique des supposés dominants et « racisants », ces bénéficiaires du prétendu « privilège blanc » voués à être dénoncés publiquement, isolés et sanctionnés.
Ses armes conceptuelles sont la déconstruction qui ne s’applique qu’à la « pensée blanche », la notion floue de racialisation (ou d’assignation racialisante), qui permet de voir du racisme partout dans le camp de l’adversaire, l’intersectionnalité (nom pseudo-savant du banal croisement et du cumul des désavantages sociaux, réduits pour l’essentiel aux effets de la race et du genre) et le prétendu racisme systémique, cette force mystérieuse qui possède la vertu de multiplier les racistes sans le savoir, de structurer les attitudes, les comportements et les fonctionnements institutionnels. Dans la langue de bois décoloniale, on dénonce les « processus de racialisation », qui consistent à réduire un individu à une catégorie associée à des stéréotypes négatifs. La « racialisation » présente l’avantage d’étendre indéfiniment le champ du racisme et donc le nombre des « racisés », selon les exigences du nouveau combat révolutionnaire dans lequel l’antiracisme dit politique joue un rôle majeur.
En attendant le nouveau grand soir, ce moment rêvé de la décolonisation totale qui permettra d’entrer dans l’âge post-discriminatoire et post-raciste, le mouvement décolonial prétend « déblanchir » l’imaginaire social et le champ culturel, à démanteler tous les héritages de l’« hétéro-patriarcat » (sic) et systématiser le recours à la discrimination positive, ce qui implique de privilégier, dans l’accès aux postes et aux places, les membres des catégories proclamées victimes de supposées discriminations systémiques. Cette politique de discrimination inverse est menée officiellement sous le drapeau de la diversité et de l’inclusivité.