Dans un entretien donné à Marianne (17 septembre 2021), Alain Finkielkraut met en avant l’approche littéraire contre l’idéologie. Au passage, il met en cause une forme de contrat social et constate qu’il n’y a plus besoin d’un pouvoir coercitif pour que le monde des médias et de la culture marche à l’unisson. Le conformisme idéologique suffit.
C’est sous la bannière de l’égalité et de l’humanité qu’on se permet de corriger, de compléter ou d’enrégimenter les œuvres du passé, et c’est sur ces critères que l’on juge aussi les productions actuelles. « Si on n’écrit pas contre le racisme, ça ne sert à rien d’écrire », estime Édouard Louis. Le voilà, le nouvel ordre moral. Il s’agit de mettre l’art et la littérature au service de l’idée que l’on se fait de la politique et de la morale.
Ce qui n’est pas nouveau…
Certes, mais la philosophie, elle, est toute nouvelle. Et, malheureusement, si l’ordre moral sévit au cinéma et au théâtre, ce n’est pas sous la férule d’un gouvernement répressif, mais c’est le fait des cinéastes et des metteurs en scène eux-mêmes. Le milieu culturel produit, sans y être contraint, une culture édifiante. (…)
Relation femme-homme débarrassée de la séduction, principe de précaution généralisé… Serions-nous désormais dans une société pour laquelle le bonheur passe par l’absence de risque ?
Je ne raisonnerais pas ainsi, ne serait-ce que parce que des gens osent invoquer le goût du risque pour dénoncer ce qu’ils appellent l’ordre sanitaire et qui est, en fait, la volonté d’une collectivité de se défendre contre une pandémie mortelle. Le problème est ailleurs. Au nom de l’égalité et de la liberté, on voudrait contractualiser les rapports humains. Un propos de Camille Froidevaux-Metterie, philosophe féministe, est à cet égard très révélateur. Elle définit l’amour comme un accord consenti entre deux personnes libres qui peut être rompu dès que l’une des personnes le souhaite. Non, bien sûr que non ! L’amour est une aliénation positive. L’amour nous fait comprendre que la liberté n’est pas nécessairement la valeur suprême. L’amour est une emprise merveilleuse. Je pense à cet aphorisme de Paul Valéry :
“LA LITTÉRATURE NE CHERCHE NI À FAIRE LE BIEN NI À LE DIRE. ELLE CHERCHE LA VÉRITÉ ET N’EST AU SERVICE D’AUCUNE AUTRE CAUSE.” (…)
Alors, peut-être est-on allé trop loin dans la morale du défoulement, mais le procès qui est fait aujourd’hui à cette époque libertaire m’évoque cette magnifique maxime du grand penseur colombien Nicolás Gómez Dávila : « Nul ne méprise autant la crétinerie d’hier que le crétin d’aujourd’hui. » Mon propos n’est pas de défendre une idéologie contre une autre, mais de défendre l’approche littéraire de l’existence contre l’approche idéologique, quelle qu’elle soit. Et c’est cette approche littéraire qui me semble en péril. Il y a bien sûr des écrivains, des romanciers, mais ceux-ci ne contribuent pas, comme ils pouvaient le faire autrefois, à façonner les âmes. Voilà le sujet de mon inquiétude.