Dans Valeurs actuelles (22 avril) la romancière Solange Bied-Charreton dresse l’éloge de la distanciation sociale :
Que nous enseignent le confinement et la solitude imposée par la crise du coronavirus ? Vraisemblablement, la richesse et la chance d’être entourés quand reviendront les jours heureux. Mais aussi la félicité d’avoir du temps pour penser, contempler, pour se retrouver en face de soi-même, ce que l’ère du bougisme travaille sans cesse à abolir. La nature la première nous a prouvé combien ce recul du trafic humain, cette mise en jachère des occupations, a pu lui être bénéfique. D’abord, elle le fait de manière à contrer le discours des catastrophistes de l’écologie : on mesure à l’aune du repos des hommes combien la “destruction de la planète” peut être flagorneuse. (Sommes-nous aussi influents qu’on le prétend si quelques semaines à peine suffi sent à restaurer l’équilibre environnemental ?) Le coronavirus fait plus de bien à l’environnement que Greta Thunberg. (…) Ne pas être capable de passer du temps avec soi seul révèle toutefois une faille, une vacuité. N’est-ce pas le signe que nous n’avons pas su en nous cultiver la ressource nécessaire pour être notre propre ami ? « S’il t’est impossible de vivre seul, c’est que tu es né esclave, déclare Fernando Pessoa, immense écrivain et simple petit fonctionnaire, dont la vie intérieure n’eût sans doute pas été si riche s’il avait dû se constituer champion de la vie extérieure. Tu peux bien posséder toutes les grandeurs de l’âme ou de l’esprit : tu es un esclave noble, ou un valet intelligent, mais tu n’es pas libre. » N’est-ce pas aussi l’occasion de renouer avec l’ otium, notion cicéronienne qui manque cruellement à notre temps, rappelée à notre souvenir par Marc Fumaroli il y a une dizaine d’années dans Paris-New York et retour ? Le loisir fécond, le repos actif de l’esprit, lequel s’oppose plus que jamais au negotium, au marché, à ses impératifs court-termistes et trompeurs. Pour l’académicien, suspendre l’activité industrieuse est une « sphère de surcroît, un temps de luxe, un arrière-pays étranger à l’inertie comme à la mobilisation, où le libre jeu de l’esprit, des émotions, de la main artiste explore ce qui reste caché à la vue pressée ou distraite ». Que cette parenthèse solitaire obligatoire nous enseigne enfin le prix de l’existence sociale, que le bougisme ne cesse d’entraîner dans sa continuelle déflation des permanences.
Après avoir évoqué le bonheur d’avoir Pipo, son chien, un autre romancier, Gaspard-Marie Janvier, tire dans le Figaro (28 janvier) quelques leçons du confinement :
Au fond, il n’y a pas de sujet moins poétique, moins excitant que ce confinement pour l’imagination du romancier déconfit. Sous la chape morale des discours médiatiques, politiques, scientifiques, diffusés en continu, ce ne sont pas les folles aventures de Melville ou de Giono qui lui viennent à l’esprit, mais les dystopies méticuleuses d’Orwell, de Zinoviev, de Simon Leys. Elles remontent du fond de sa mémoire pour flotter vaguement, comme ces cadavres dont on croit se débarrasser dans les polars. Les intellectuels montent au front. L’historien nous dit: «Jamais nous ne reverrons le monde d’avant»: on hésite entre Lapalisse et l’oracle de Delphes. L’économiste épluche ses fiches sur les crises: ce sera pire que la précédente, sauf si ça ne l’est pas. Quant au médecin, c’est malheureux mais c’est comme ça, on l’écoute d’une oreille de plus en plus distraite à force d’avoir tout entendu. Ce qu’il nous faudrait, c’est un expert des experts. Bon! Après tant de pessimisme, on ne peut qu’être optimiste: on ne tombera pas plus bas, pour la simple raison que nous assistons à une de ces magnifiques démonstrations par l’absurde comme les aimait Pascal. Soit la proposition: «L’homme sera heureux en s’organisant collectivement pour accumuler les biens terrestres et chasser la mort de son horizon.» La preuve est faite que non. Nous voilà enfin débarrassés des progressismes en tous genres. Le progrès est une affaire personnelle. Chacun va devoir apprendre à regarder la mort autrement, donc aussi la vie, qu’une philosophie brouillonne a réduite à l’existence. Et chacun se choisira le maître qu’il veut. Moi j’ai le mien, que je sens si proche en cette période de Pâques. Un «Maître d’amour», comme Pipo a le sien.
Jacques Julliard dans Marianne (24 au 30 avril) en appelle à une trêve idéologique sans comprendre que le monde issu de la Révolution de 1789 est fondée justement sur la « communion idéologique » (François Furet) comme l’a démontré il y a longtemps Augustin Cochin :
Je propose une trêve. Une sorte de cessez-le-feu idéologique. A défaut d’une union sacrée entre les politiques, une convergence des esprits et des cœurs. Ne finirons-nous pas par avoir pitié de ce pays qui n’en peut plus de divisions souvent absurdes, et qui ne tient plus que par la tapisserie de ses grandeurs passées ? Pour réformer la France, il faut d’abord l’aimer. Faisons donc des intérêts supérieurs du pays notre commune boussole dans la tempête. (…) Car oui, comme le préconisait Marianne la semaine dernière, il faut réindustrialiser ce pays « qui déclasse » (Pierre Vermeren) : ce n’est ni du libéralisme ni du socialisme, c’est l’intérêt national. Oui, il faut que la gauche, qui n’est plus que le pavillon de complaisance de l’individualisme petit-bourgeois, se remette à penser la France comme une nation. Oui, il faut que la droite, qui ne manque pas de talents – comme Bruno Le Maire, qui vient de contribuer avec succès à la réorientation financière de l’Europe -, cesse de raisonner en termes purement financiers et retrouve l’ambition de refaire de la France un projet et une puissance. Car notre faillite dans la prévention du coronavirus est d’abord la défaillance du sentiment national. Ce peuple, qui ne se tourne vers le populisme que parce qu’il se sent abandonné par ses élites, est capable de se dépasser. Et si, pour retrouver l’espérance, on essayait le patriotisme ?
Cette Revue de presse ne se contente pas de proposer des informations éphémères, mais vous offre aussi de découvrir des réflexions. Elle est là pour nous inviter à réfléchir. En ce sens, elle ne perd (presque) rien de son actualité. Elle se lit et se relit.
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