Obligé de filmer l’égorgement du prêtre, Guy Coponet a eu la vie sauve en récitant un « Je vous salue Marie » et en entrant en « prière perpétuelle ». Dans la salle Voltaire de la cour d’assises spéciale de Paris, rapporte Le Monde (18 février 2022) l’Ave Maria a retenti.
Il est rare d’entendre un « Je vous salue Marie » en pleine cour d’assises. Et plus encore de ne pas juger cela déplacé. Le témoignage de Guy Coponet, jeudi 17 février, grièvement blessé dans l’attentat de l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), suivi de celui de Roseline Hamel, la sœur du prêtre assassiné le 26 juillet 2016 par Adel Kermiche et Abdel-Malik Petitjean, ont transformé un temps en cathédrale la salle Voltaire de la cour d’assises spéciale de Paris.
Guy Coponet a aujourd’hui 92 ans, sa femme est morte l’année dernière, après soixante-huit ans de mariage. Il marche voûté, d’un pas sûr mais frêle, a les traits et le corps secs d’un montagnard. Le mardi 26 juillet 2016, c’était son anniversaire : 87 ans. Pas une raison pour déroger à la messe à laquelle il assiste avec son épouse, Janine, en semaine comme le dimanche. « Ce matin-là, il faisait beau, le père Hamel (…) était gai parce qu’il allait partir en vacances. Il y avait moins de monde que d’habitude, heureusement ». Hormis le couple Coponet, seules trois religieuses assistent à la messe.
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Puis Abdel-Malik Petitjean empoigne le prêtre de 85 ans et lui assène plusieurs coups de couteau au visage, au cou, il lui transperce une côte. Adel Kermiche oblige Guy Coponet à filmer la scène.
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Kermiche le force à se rapprocher de l’autel pendant que Petitjean met Jacques Hamel à genoux. « Ils ont traîné le pauvre homme par terre. Lui s’est défendu comme il a pu avec ses pieds. C’est à ce moment-là qu’il a dit : “Satan vas-t’en !” Puis j’ai vu que le sang s’est mis à vomir tout rouge, il n’a plus bougé le pauvre, c’était terminé pour lui. C’était affreux. »
Les deux djihadistes détruisent ensuite leurs deux téléphones, y compris celui ayant servi à filmer, puis s’en prennent à Guy Coponet. « Je lui ai dit : “Qu’est-ce que tu vas faire ? Tu vas tuer ton grand-père ?” Ça a été vite fait. Il me taillait dans le dos, le bras puis la gorge. Puis ils m’ont balancé en bas de l’estrade. Je me suis dit : “Surtout bouge pas, parce que si tu bouges, il va te terminer”. » Le vieil homme fait le mort, tout en comprimant sa plaie de 21 cm au cou. « Une tentative d’égorgement », avait confirmé le médecin légiste la veille, ajoutant que la compression « lui avait probablement sauvé la vie ». L’une des trois religieuses profite du tumulte pour sortir de l’église, sans réaction des terroristes.
Guy Coponet, « à moitié dans le coma », pense « aux enfants, tout ça ». « On entre en prière perpétuelle. Que j’aie été ce jour-là sauvé, à quelques minutes, je n’y suis pour rien. Il y avait une présence qui a fait probablement que ça s’est passé comme ça. » Pendant cette longue heure, il entend les terroristes desceller un grand crucifix de procession, attaquer l’autel à coups de couteau. Il entend aussi la conversation entre la sœur Hélène et les deux djihadistes, qui lui expliquent que « Jésus ne peut pas être le fils de Dieu » et que « ce qu’ils font c’est parce que la France bombarde l’Etat islamique en Syrie ». A un moment, son corps tressaille : sa femme se dit qu’il est vivant mais qu’il vient peut-être de rendre l’âme. « Ça a été un choc pour elle plus que pour moi », dit-il.
Lorsque les secours arrivent, il était en train de finir un « Je vous salue Marie ». Il le répète à l’audience la voix forte. Elle se brise sur la dernière phrase : « Priez pour nous pauvres pécheurs/Maintenant et à l’heure de notre mort. » « Ça reste gravé, vous savez, y’a pas de danger que j’oublie », dit-il.