Benoît XVI, un passeur lumineux

Publié le 02 Jan 2023

Benoït XVI à Ratisbonne en septembre 2006. (© Bistum Regensburg)

En « pasteur doux et ferme de l’Église » le pape Benoît XVI a orienté son pontificat sur le Christ centre de la vie de l’Église et des fidèles. Méthodiquement et avec constance il aura répondu à « la perte du sens religieux » qui affecte l’Europe en mettant à la disposition de tous les trésors de la foi et de la tradition.

Qui prétendrait, en quelques paragraphes, faire la synthèse de l’enseignement de Benoît XVI ? Outre trois encycliques et quatre exhortations apostoliques, il donna 116 constitutions apostoliques, 130 lettres apostoliques (dont 18 motu proprio, 31 décrétales et deux proclamations de docteurs de l’Église), 152 messages et 27 prières ; il fit 30 visites pastorales en Italie et 24 voyages apostoliques à travers le monde ; il écrivit enfin un nombre impressionnant d’homélies et de lettres, d’allocutions et de discours, sans compter les livres.

Le Christ au centre

Il avait puisé dans la Règle de saint Benoît cette orientation de son pontificat : « Ne rien mettre absolument au-dessus du Christ », ajoutant : « Je demande à saint Benoît de nous aider à garder fermement le Christ au centre de notre vie. Qu’Il soit toujours à la première place dans nos pensées et dans chacune de nos activités » (27 avril 2005). Or, le Christ est inconnu et inexistant en dehors de l’Église : « Il n’existe aucune opposition entre le Christ et l’Église : ils sont inséparables, en dépit des péchés des hommes qui composent l’Église. Le slogan qui était à la mode il y a quelques années : “Jésus oui, l’Église non” est donc totalement inconciliable avec l’intention du Christ. Ce Jésus individualiste choisi est un Jésus de pure fantaisie. Nous ne pouvons pas avoir Jésus sans la réalité qu’Il a créée et dans laquelle Il se transmet. Entre le Fils de Dieu fait chair et son Église, il existe une continuité profonde, inséparable et mystérieuse, en vertu de laquelle le Christ est présent aujourd’hui dans son peuple » (15 mars 2006).

En dépit des vociférations du monde et de la perfidie des censeurs, Benoît XVI surpassait sans peine tous ceux qui se posent en intellectuels. Il aimait parfois, avec une sorte de gourmandise enfantine, être encore l’éminent professeur germanique qui ne comptait plus ses doctorats ni ses distinctions savantes, mais ordinairement, tout au long de son pontificat, il s’efforça d’appliquer toutes les ressources de sa brillante intelligence à être entendu et compris du peuple catholique qui est insensible au jargon des cuistres, à leurs expressions absconses et à leurs outrances linguistiques. Il s’employait à permettre à tous de parvenir à la « dimension culturelle de la foi, afin que la beauté de la vérité chrétienne puisse être mieux comprise et que la foi puisse être vraiment nourrie, renforcée et aussi défendue » (3 février 2010).

Angélus et audiences

De ses derniers prédécesseurs, Benoît XVI, en plus des homélies, avait hérité de l’heureuse coutume de s’adresser deux fois par semaine à tous les fidèles, à travers des foules de pèlerins indistincts : le dimanche, à l’Angélus de midi, et le mercredi, aux audiences générales. Ces allocutions étaient souvent trop courtes pour que des experts pussent les amputer ou les travestir ; d’autre part, les moyens de communication avaient pris une telle envergure, que l’on ne pouvait songer à camoufler ses propos publics, comme ce fut souventes fois le cas sous Paul VI. Les ruffians qui prétendent régenter l’Église, avaient beau afficher un incommensurable mépris pour ce genre d’intervention, le Saint-Père y tenait d’autant plus que, vieux praticien du Vatican, il les savait un des rares moyens directs d’approcher chacun de ses enfants, évitant le crible redoutable des interprètes, des analystes et des commentateurs. « Jésus-Christ a tout d’abord voulu confier la mission de l’annonce de l’Évangile au corps des pasteurs, qui doivent collaborer entre eux et avec le successeur de Pierre, afin que celui-ci parvienne à tous les hommes » (20 septembre 2012). Il mettait à ses discours hebdomadaires et à ses homélies un si grand soin que l’on ne trouverait ailleurs une expression plus authentique de sa pensée.

Proche de tous

Il se trouvait que les fidèles aimaient le pape, parce qu’ils le pressentaient tout proche d’eux, réclamant leur aide et leur prière. « Je suis réconforté par votre proximité, chers amis, qui ne manquez pas de m’offrir le don de votre indulgence et de votre amour. Merci de tout cœur à tous ceux qui, de diverses manières, me soutiennent de près ou me suivent spirituellement de loin, à travers leur affection et leur prière. Je demande à chacun de continuer à me soutenir en priant Dieu pour qu’Il m’accorde d’être le pasteur doux et ferme de son Église » (19 avril 2006). Ils nourrissaient d’autant plus un amour de communion et de compassion pour Benoît XVI, que, le soupçonnant d’être parvenu à une très haute sainteté, ils recevaient pieusement ses avis qu’ils tâchaient de mettre en pratique ; ils grandissaient en l’écoutant.

Leur confiance au pape n’avait aucune réserve, puisque tous, même ses détracteurs, s’accordaient à le regarder comme la plus haute intelligence théologique contemporaine. Ils étaient sourds aux critiques et aux contestations que les fâcheux opposaient au pape ; d’instinct, ils ne le reconnaissaient pas dans de supposés propos privés que des méchants forgeaient tout exprès pour atténuer et ruiner son enseignement. Il suffisait que l’on fît sourdre contre le pape le moindre soupçon, pour qu’ils fissent rempart autour de lui. Un tel degré de confiance n’aurait pu être atteint si Benoît XVI n’avait observé ce qu’il enseignait : « Telle est la fonction in Persona Christi du prêtre : rendre présente, dans la confusion et la désorientation de notre époque, la lumière de la Parole de Dieu, la lumière qui est le Christ lui-même dans notre monde. Le prêtre n’enseigne donc pas ses propres idées, une philosophie qu’il a lui-même inventée, qu’il a trouvée ou qui lui plaît ; le prêtre ne parle pas de lui, il ne parle pas pour lui, pour se créer éventuellement des admirateurs ou son propre parti ; il ne dit pas des choses qui viennent de lui, ses inventions, mais, dans la confusion de toutes les philosophies, le prêtre enseigne au nom du Christ présent, il propose la vérité qui est le Christ lui-même, sa parole, sa façon de vivre et d’aller de l’avant » (14 avril 2010).

De plus, du haut de la chaire de saint Pierre, le pape disait clairement des choses que beaucoup sentaient déjà confusément, mais que les faux prophètes, engraissés de la crise, leur avaient fait croire plus interdites que le péché. Il leur apprenait que « le tentateur est sournois : il ne pousse pas directement vers le mal, mais vers un faux bien » (17 février 2013).

Crise de la foi

Mieux que personne, le cardinal Ratzinger qui fut, pendant un quart de siècle, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, savait que « le centre de la crise de l’Église en Europe » était d’abord « la crise de la foi » (22 décembre 2011) et la « perte du sens religieux » (27 janvier 2012). Après cinquante ans de « confusion et de tempêtes » (23 février 2009), personne ne niait sérieusement que l’Église fût en crise, mais Benoît XVI avait la courageuse originalité de dénoncer les causes intérieures à l’Église, plutôt que les attaques extérieures. Vingt ans avant son élection à la succession de saint Pierre, dans Entretien sur la foi (1985), il avait parfaitement décrit la situation : « On semble avoir oublié que le sujet qui fait la théologie n’est pas le spécialiste, mais que c’est la communauté catholique dans son ensemble, autrement dit l’Église tout entière. (…) La foi se brise en une série d’écoles et de courants souvent contradictoires, causant de graves dommages au peuple de Dieu déconcerté. (…) Le dogme est souvent considéré comme une prison intolérable, une atteinte à la liberté du spécialiste ». Il s’agissait donc de rendre la plénitude de la foi au peuple de Dieu, pour qu’il retrouvât son identité et sa spécificité. « Souvent le chrétien ne connaît même pas le noyau central de sa propre foi catholique, du Credo, au point de laisser place à un certain syncrétisme et relativisme religieux, sans clarté sur les vérités à croire et sans la particularité salvifique du christianisme. On court aujourd’hui le risque de construire, pour ainsi dire, une religion bricolée » (17 octobre 2012). Selon lui, la prédication et l’enseignement devraient « conduire à avoir une vision complète et unitaire des vérités révélées et de leur accueil dans l’expérience de foi de l’Église. De là découle la double exigence de connaître la totalité des vérités chrétiennes, et de les connaître non comme des vérités séparées l’une de l’autre, mais de façon organique, comme une unité, comme une unique vérité de foi en Dieu » (8 septembre 2008). Il envisageait la connaissance doctrinale comme l’exact contraire d’une science abstraite et froide : « Foi et raison, dans un dialogue réciproque, vibrent de joie lorsqu’elles sont toutes deux animées par la recherche de l’union intime avec Dieu. Lorsque l’amour vivifie la dimension orante de la théologie, la connaissance, acquise par la raison, s’élargit. La vérité est recherchée avec humilité, accueillie avec émerveillement et gratitude : en un mot, la connaissance croît uniquement si elle aime la vérité. L’amour devient intelligence et la théologie authentique sagesse du cœur, qui oriente et soutient la foi et la vie des croyants » (28 octobre 2009).

Double universalité

Jusqu’à la preuve du contraire, la foi croit ce que le Christ nous a révélé, enseignement qui n’est parvenu jusqu’à nous que par la tradition, en laquelle l’Église connaît et vit son unité. « Jusqu’à présent, nous avons compris que la communion ecclésiale est suscitée et soutenue par l’Esprit Saint, conservée et promue par le ministère apostolique. Et cette communion, que nous appelons Église, ne s’étend pas seulement à tous les croyants d’un moment historique déterminé, mais comprend également tous les temps et toutes les générations. Nous avons donc une double universalité : l’universalité synchronique – nous sommes unis avec les croyants dans toutes les parties du monde – et également une universalité dite diachronique : c’est-à-dire que tous les temps nous appartiennent, les croyants du passé et les croyants de l’avenir également forment avec nous une grande et seule communion (…) La tradition est le fleuve vivant qui nous relie aux origines, le fleuve vivant dans lequel les origines sont toujours présentes. Le grand fleuve qui nous conduit aux portes de l’éternité » (26 avril 2006). Singulièrement dans les audiences générales, avec sa paisible obstination d’érudit irrésistible, Benoît XVI s’évertua à mettre méthodiquement les inépuisables trésors de la tradition de l’Église à la disposition de tous.

Sans doute y aurait-il beaucoup d’autres choses à dire, mais il me semble que tout l’enseignement et toutes les décisions de Benoît XVI découlent de la foi et de la tradition. Il a mis un coup d’arrêt à l’« herméneutique de la discontinuité et de la rupture » (22 décembre 2005), coup d’arrêt que le Pape François Ier maintiendra. Maintenant, s’ouvre une époque nouvelle ecclésiale qui finira de renouer la chaîne des temps par la plénitude de la foi. On a voulu voir, dans l’abdication de Benoît XVI, un signe de faiblesse ou d’humilité, alors qu’il s’agit d’un acte réaliste de foi et d’espérance. Puissions-nous avoir la même confiance en Dieu.

Cet article est extrait de notre hors-série Habemus papam disponible ici (ou en version numérique).

Abbé Ch.-Ph. Chanut (+)

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