Benoît XVI : « Maintenant tu peux laisser s’en aller ton serviteur »

Publié le 31 Déc 2022

Ce samedi 31 décembre, le pape émérite Benoit XVI a rendu son âme à Dieu au monastère Mater Ecclesiae, résidence qu’il occupait depuis sa renonciation en 2013. L’abbé Éric Iborra nous livre son témoignage personnel sur le pontife.

« Nunc dimittis servum tuum, Domine : maintenant tu peux laisser s’en aller ton serviteur ». C’est par cette parole de Syméon rapportée par saint Luc que j’achevais dans le dernier numéro de L’Homme Nouveau ma recension de la biographie de Benoît XVI par Peter Seewald, en disant qu’il restait encore un chapitre à écrire, « celui que nous redoutons tous un peu et que lui attend sûrement dans la paix ». Je ne me doutais pas qu’il fallait y venir si vite… 

Joseph Ratzinger a croisé à plusieurs reprises mon itinéraire, même si je ne lui ai parlé qu’une seule fois, à Rome, après une messe. La rencontre initiale avec lui, ce fut, à l’été 1985, alors que j’étais séminariste, la lecture d’Entretien sur la foi. C’était la première fois qu’un haut prélat romain osait dire que tout n’allait pas pour le mieux dans l’Église post-conciliaire, alors que le Concile était censé inaugurer pour elle un « nouveau printemps ». La franchise et le courage du cardinal Ratzinger, préfet d’une des plus importantes congrégations romaines, m’avait alors frappé en même temps qu’encouragé dans la voie que j’avais choisie au début de mes études de théologie. Je me mis à lire ses œuvres, à l’époque publiées par Communio/Fayard, ainsi que les documents qui émanaient, sous son égide et celle du pape, de la Congrégation. 

La seconde rencontre décisive fut un événement éditorial. On me proposa de traduire une présentation remarquable de la pensée théologique de Joseph Ratzinger due au dominicain anglais Aidan Nichols. Publiée en 1991, augmentée et rééditée en 2006, cette présentation très complète et très respectueuse (1) était accompagnée d’une bibliographie quasiment exhaustive. C’est alors que je me rendis compte que plusieurs œuvres de jeunesse n’avaient pas été traduites en français alors qu’elles l’étaient en italien ou en anglais. J’entrepris de traduire les conférences de l’expert Ratzinger lors des intersessions du Concile (2), ainsi qu’une étude de 1971 sur la vision des nations chez Origène et saint Augustin (3). Puis ce fut la traduction de sa thèse de 1954 sur saint Augustin (4). On me demanda aussi d’introduire la publication de Dogme et annonce (5) [2005] et la réédition des Principes de la foi catholique (6) [1982]. J’eus l’idée de rassembler sept discours importants tenus par Benoît XVI lors de voyages apostoliques : ce fut Discours au monde (7). Connaissant l’importance qu’avait pour lui la liturgie, j’ai aussi rassemblé ses écrits de théologien et de pape sur la musique : ce fut L’esprit de la musique (8). Mon rapport à Ratzinger ne s’est pas limité à ce travail éditorial. J’ai continué à lire ses écrits, anciens et récents, à lire aussi les essais qui lui ont été consacrés jusqu’à l’épaisse biographie de Peter Seewald avant même qu’elle ne soit traduite. 

Que puis-je retirer de la fréquentation de Joseph Ratzinger ? Tout d’abord, je le répète, j’ai admiré sa franchise et son courage, aussi bien dans les controverses intellectuelles, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Église, que dans ses décisions en tant que préfet et en tant que pape. J’ai apprécié l’acuité de sa réflexion, notamment ses jugements sur le monde moderne. Loin d’apparaître comme le réactionnaire borné que d’aucuns ont dénoncé, il me semblait toujours avoir un ou plusieurs coups d’avance sur ses contradicteurs, en critique avisé de la postmodernité. Il était de ces conférenciers et essayistes qui conduisent si bien par la main leurs lecteurs qu’il leur donne l’impression eux-mêmes d’être à sa hauteur. Comme le disait un journaliste allemand, « il a le don stupéfiant de dire si ouvertement les choses qui vont de soi, des vérités simples, qu’elles surprennent toujours ». Enfin, parmi bien d’autres points, on ne pouvait manquer d’être frappé par sa profonde piété eucharistique, qu’il ne dissociait jamais de la charité vécue, telle qu’il l’avait vue illustrée chez son maître, S. Augustin. 

J’en viens alors à ses centres d’intérêt. Le premier et le plus évident est la liturgie : il s’en est plusieurs fois expliqué. Tout en affirmant n’avoir jamais été liturgiste de métier, il voyait dans la liturgie, et ce depuis son enfance, le lieu théologique primordial de l’Église – la rencontre dans le Christ de Dieu avec son peuple – et cela avec toutes ses dimensions, incluant la culture musicale, architecturale et picturale. Un deuxième centre d’intérêt est l’annonce de la foi, celle de l’Église et non celle des opinions personnelles. C’est ce qui lui aura certainement valu de présider la Doctrine de la foi. Il pensait que c’était son devoir de permettre aux humbles d’accéder à la foi de l’Église par-delà les spéculations sophistiquées de certains théologiens. Cette annonce de la foi supposait l’aptitude à discuter avec un monde hétérogène et en perpétuel mouvement. Un troisième centre d’intérêt est le Concile, auquel il prit une part active et qu’il s’efforça par la suite d’appliquer dans tous les domaines par-delà les interprétations qui malmenaient ce qui lui était apparu comme un équilibre à préserver. Il s’écarta très vite, dès 1966, d’une vision euphorique de rupture avec le passé pour ne cesser de prôner une herméneutique de continuité, marquée en l’occurrence par la place rendue à l’ancienne liturgie latine. 

Ce qui caractérise la pensée de Joseph Ratzinger, c’est l’accord entre la foi et la raison. Il déplorait le mésusage moderne de la raison, réduite en son spectre à une dimension purement quantifiable, et donc matérialiste. Pour lui, la raison vise l’absolu et intègre l’au-delà du physique, autrement dit la métaphysique. Elle réconcilie l’homme avec le cosmos, contemplant aussi bien dans les choses que dans les êtres humains des icônes du divin. Alors que la raison moderne ne voit plus dans le monde qu’une carrière de matériaux et dans la société un réservoir de main d’œuvre, l’un et l’autre à exploiter. 

Avec persévérance et un mépris complet du qu’en dira-t-on, le Pontife ami de Mozart nous a dispensé trop brièvement sa petite musique. Puisse-t-elle encore longtemps nous enchanter, elle qui, à l’instar de la liturgie, « capte l’harmonie cachée de la Création, nous révélant le chant qui sommeille au fond des choses ». 

 

 

1. Aidan Nichols o.p., La pensée de Benoît XVI, Ad solem, 2008. 

2. Mon Concile, Vatican II, Artège, 2011. 

3. L’Unité des nations chez les Pères de l’Église, Homme Nouveau, 2011. 

4. Peuple et Maison de Dieu dans l’ecclésiologie de saint Augustin, Artège, 2017. 

5. Dogme et annonce, Parole et Silence, 2012. 

6. En sept livrets, Téqui, 2012. 

7. Artège, 2013. 

8. Artège, 2011. 

 

 

Abbé Éric Iborra

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