Avec les récents attentats, les terroristes ont placé la France au pied du mur en lui imposant de se redéfinir. Face à leur projet politico-religieux clairement défini et à leurs méthodes sans faille, la société française se retrouve dénudée car elle ignore qui elle est, ce qu’elle a à opposer, à proposer. Le Président de la République, qui a bien vu l’enjeu, a aussitôt tenté une réponse dans son allocution télévisée : nous sommes une démocratie, nous soutenons la liberté totale de la presse et nous voulons l’unité.
La démocratie comme attraction
Mais, tragiquement, tous ces principes étaient déjà bafoués : la belle union s’arrête aux portes du Front National ; la démocratie n’est plus qu’une attraction pour un vide niveleur où toutes les haines sont permises tant qu’elles ne basculent pas vers les valeurs morales et religieuses. Quant à la liberté de la presse (« Nous sommes tous Charlie »), brandie tel l’étendard noir de Daesh, il y a bien longtemps que les Français ont goûté à ses limites, et pourraient en témoigner les journalistes de nombreux titres dont on ne loue jamais « l’irrévérence, l’insolence typiquement françaises », attribuées unanimement à Charlie Hebdo.
Or, la revue Charlie Hebdo, si attachée à sa liberté d’expression, a toujours piétiné un élément majeur de l’identité française, peut-être plus important que sa liberté de presse : la courtoisie. Issue de siècles de christianisme, de chevalerie, de don de soi, sans cesse revitalisée par l’esprit de l’officier supérieur, de la mère de famille et du missionnaire catholique, la courtoisie est cette qualité qui donne au Français l’appétit de la rencontre, sans éteindre son ardeur à débattre. Mais après une longue discussion enflammée, nous nous retrouvons devant un verre et nous nous saluons comme des hommes libres. Or, Charlie Hebdo n’a eu de cesse de piétiner ce principe de courtoisie par son obscénité systématique et les torrents de boue déversés sur les catholiques et les musulmans, ses deux principales cibles. L’attitude des évêques de France semble ici totalement dépassée : on sonne le glas, on signe les pétitions « Je suis Charlie », on se met en scène sur les chaînes TV (il est vrai qu’ils aiment cela, nos évêques, se mettre en scène…).
Le choc des civilisations ?
L’époque est au choc des civilisations ? La belle affaire ! Ce n’est pas en piétinant les images sacrées du catholicisme et de l’islam que vous ferez la paix. Charlie Hebdo a chaque semaine depuis quarante ans contribué à ce choc qui explose désormais en France. Comment faire croire aux musulmans que nous sommes prêts à les intégrer socialement tout en posant les conditions de leur intégration si, en leur tendant la main, vous crachez sur ce qu’ils ont de plus cher ? Souvenez-vous donc de l’Algérie française, même si vous la détestez, car en ce temps-là, catholiques, athées, juifs et musulmans vivaient ensemble, côte à côte ; la paix que tout le monde cherche existait, avec ses fragilités bien sûr, mais la coexistence était possible, car personne n’aurait jamais franchi la limite interdite et taboue de la courtoisie et de l’injure religieuse. Le crachat sur le sacré n’est pas Français, de même que l’assassinat n’est pas Français.
Nous prions donc pour les morts de cette revue et pour ceux de la police, mais « nous ne sommes pas Charlie ».