Connaître son ennemi pour le combattre

Publié le 14 Déc 2015
Connaître son ennemi pour le combattre L'Homme Nouveau

Xavier Raufer est enseignant, écrivain et criminologue. Il s’intéresse depuis 1975 à la violence politique ou sociale, au terrorisme, au crime organisé en France, mais il a également récemment étudié l’organisation de l’État islamique. Après les attentats du 13 novembre, nous lui avons demandé face à quel ennemi se trouvait la France.

Immédiatement après les attentats du 13 novembre, François Hollande a lancé des frappes contre l’État islamique… Qu’est-ce que l’État islamique ?

C’est justement une affaire compliquée parce qu’il y a un grand problème de définition avec l’État islamique.

Avant l’existence même de la Grèce antique, tous les guerriers étaient d’accord sur la nécessité de connaître son ennemi. Sans le connaître, on se prépare à toutes sortes de déceptions. Or à l’heure actuelle, tout montre que nos dirigeants, et tous les dirigeants les plus importants du monde, ne savent pas bien à qui ils ont à faire lorsqu’ils parlent de ­l’État islamique.

Lorsqu’il y a une adéquation entre ce que sont censés être les gens et ce qu’ils font réellement, il n’y a aucun problème. Prenez par exemple le Hezbollah : c’est un groupe chiite, il défend les chiites et attaque les ennemis des chiites, c’est facile à suivre. Mais dans le cas de l’État islamique, c’est plus compliqué : il est difficile de percevoir la finalité des actions menées.

Examinons le cas de la Syrie : l’État islamique s’en prend avec la plus grande violence aux ennemis de Bachar el Assad ennemis dont il partage pourtant le combat : il s’est par exemple attaqué à l’armée des officiers libres suscitée et payée par les Américains, à Jabhat Al Nosra qui est la branche syrienne d’Al Qaïda plus ou moins soutenue par les Saoudiens.

Il est pourtant difficile de différencier tous ces groupes sur le terrain, en Syrie ?

En effet, à la première difficulté s’ajoute l’instabilité des unités armées qui combattent sur les terrains syrien ou irakien.

Il y a quelques semaines, une katiba (compagnie) qui comprend 200 à 300 soldats dans la région de Mossoul a quitté l’État islamique pour rejoindre Jabhat Al Nosra, simplement parce que ces soldats avaient appris qu’ils ne seraient plus payés 300 dollars par mois, mais 100. Les groupes sont pourtant ennemis, en tout cas sur le terrain. Il y a des changements d’alliances permanents, par conséquent je veux bien que l’on bombarde les gens, mais je ne sais pas très bien qui on bombarde !

Aujourd’hui, il est difficile de dire clairement qui nous combattons et quelles sont les forces qui sont réellement à l’œuvre sur le terrain… Là est la grande difficulté.

Vous avez plusieurs fois pointé le curieux état-major de l’État islamique… Qu’en est-il ?

Je l’ai pointé après avoir fait une étude sur le sujet : ­l’État-major de l’État islamique est composé d’anciens officiers de l’armée de Saddam Hussein et non d’islamistes.

On m’a ensuite affirmé que les services de renseignement d’un grand pays d’Europe (que je ne peux nommer pour des raisons de confidentialité) ont fait la biographie des cinquante dirigeants de l’État islamique : ils parviennent à la même conclusion, il n’y a pas un seul islamiste parmi les cinquante dirigeants de l’État islamique. Je me demande donc naturellement quel genre de « truc » est l’État islamique.

Beaucoup de pays ont été accusés de soutenir ou nourrir l’État islamique… Quel est votre avis sur cette question ?

Je n’ai pas les moyens de répondre à cette question, et ceux qui en parlent le font à partir des informations qu’ils obtiennent du système. Je ne vois pas bien qui est capable aujourd’hui d’avoir un avis arrêté sur la question.

Le rôle de l’intellectuel est de questionner : ce qu’est ­l’État islamique ne va pas de soi et je demande simplement que l’on cherche à savoir ce que c’est avant de le combattre.

En attendant, il faut aussi connaître l’ennemi que nous avons en France, si possible avant qu’il ne provoque encore plus de morts.

Au lendemain des attentats, l’État islamique est-il donc directement l’ennemi de la France ?

L’ennemi, dans le contexte actuel, ce sont les gens qui ont agi sur notre sol et porté la guerre chez nous. Ce n’est pas nous qui avons choisi cet ennemi-là. Si les gens qui ont agi chez nous sont bien de l’État islamique et si les revendications de ce dernier correspondent bien à quelque chose, alors l’ennemi s’est officiellement et ouvertement déclaré à nous.

Que faire d’autre maintenant que de combattre ceux qui viennent de tuer 130 de nos compatriotes ? Bien sûr qu’il faut les combattre, mais pour être efficace, il faut les connaître le mieux possible, eux aussi.

Quel est cet ennemi en France alors ?

La question est plus simple que celle de l’État islamique. En France, vous avez un banditisme des cités, c’est-à-dire des jeunes gens presque tous issus de l’immigration maghrébine ou africaine qui ont choisi un mode de vie criminel.

Je dis qu’ils l’ont choisi parce que personne ne leur a imposé : il est possible, dans les quartiers en question, de bien se comporter, de faire des études même si ce n’est pas simple.

Une fraction de ces bandits se radicalise : certains se convertissent à l’islam radical, d’autres y reviennent. Tous sont capables de se transformer en bombes humaines à tout moment. C’est à ce genre de personnes que l’on vient d’avoir affaire.

Le gouvernement a annoncé toute une série de mesures… Trop tard ?

Il n’est jamais trop tard. Mais il faut faire de la micro-chirurgie et non pas de la pêche au chalut en attrapant des dizaines de personnes que l’on est obligé de libérer ensuite.

À Saint-Denis, on a embarqué des individus vivants en plus de ceux que l’on avait bien fait de tuer. Je pèse mes mots : ils avaient tiré sur la police et ont donc subi le sort qui devrait être réservé à quiconque tire sur la police. Si l’on entreprend de tuer des gens et que l’on a une contravention de 40 euros en échange, ça ne risque pas de dissuader grand monde.

Il faut cibler nos ennemis, croiser les critères et aller directement au but.

Vous avez salué le discours de François Hollande au lendemain des attentats… Y a-t-il malgré tout certaines choses qui ont été oubliées selon vous ?

Ce qui a été oublié, c’est de faire les choses à temps. Le discours qu’a prononcé le Président français était bon, mais il aurait dû être prononcé le 15 janvier. Après les attentats de janvier, tout le monde a pleuré, à juste titre, mais tout le monde est immédiatement retourné dormir.

Ce qui me fait peur c’est qu’il y a eu sept morts en 2012 à Toulouse, 17 en janvier à Paris, 130 le 13 novembre dernier… C’est ce qui s’appelle une croissance exponentielle. Si l’on continue à prendre des mesures cosmétiques, ce sera 800 ou 1 000 la prochaine fois.

Avez-vous confiance dans le gouverne-ment actuel pour mener cette guerre ?

Je suis inquiet de son incapacité à nommer les choses en temps utile. Le fait de donner des noms aux choses est crucial, c’est d’ailleurs ce que l’on demande à un médecin lorsque l’on est malade, à un garagiste lorsque la voiture est en panne… Il faut poser un diagnostic, c’est absolument crucial pour ensuite guérir. Je rugis d’avoir à rappeler pareilles banalités.

Or tout le politiquement correct du gouvernement consiste à tourner autour des mots avec des « pas d’amalgame » et des « ensemble » sans jamais nommer le mal. Ceux qui ont tué en janvier sont les mêmes que ceux qui viennent de tuer : ce sont des fratries issues de l’immigration qui ont basculé dans l’islamisme. Ces ennemis n’ont pas été clairement nommés en janvier, il a fallu un deuxième choc dix fois pire pour qu’enfin certains mots soient prononcés. Ce retard est grave, et cela m’inquiète évidemment parce que le meilleur moyen de perdre la guerre, c’est de ne pas reconnaître son ennemi. C’est vrai pour l’État islamique au Proche-Orient, c’est vrai aussi en France.

Qu’attend-on pour surveiller tous ces profils de plus près ? Si l’on croise tous les critères communs à ces terroristes, on pourra agir préventivement. Les effusions niaises du politiquement correct nous ont empêchés de le faire jusqu’à maintenant… En attendant, des gens meurent. 

Propos recueillis par Charlotte d’Ornellas.

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