De l’importance de la dictée

Publié le 08 Fév 2023
dictée

Le ministre de l’Education nationale Pap Ndiaye proposait au mois de janvier aux enseignants de CM1 et CM2, une dictée quotidienne. L’avis de François-Xavier Clément, directeur scientifique de Saint-Joseph Education, sur la question.

 

« Sortez une feuille et écrivez ! La dictée de ce jour est de Propser Mérimée » Nous imaginons alors le maitre en blouse grise, l’encrier dans le pupitre, et l’on entend crisser tout à la fois la craie sur le tableau noir qui suit l’annonce du nom de l’auteur et la plume Sergent Major sur une feuille de papier jauni. Si l’exercice nous semble désuet c’est peut-être parce qu’il a traversé les générations comme le parcours obligatoire de l’élève apprenant l’orthographe avant de disparaitre.

Les idéologues des années 70 ont mis au rebus cet apprentissage pour le remplacer par des « textes à trous », des « dictées préparées » ou des « dictées magiques »[1]. Quant au texte de Mérimée ou des grands auteurs de la littérature française, on leur a préféré des articles de magazine ou le manuel des Castors juniors.

Il est intéressant de nous attarder sur les raisons d’une telle idéologie concernant la dictée. Les méthodes de lecture, globales ou semi globales, ont eu des effets déplorables et produit des générations de mauvais lecteurs incapables d’écrire correctement et de maitriser les subtilités de leur langue. Devenus inaptes en orthographe, les élèves français vivaient alors la dictée comme un véritable supplice.

Plutôt que de traiter les causes, les programmes successifs ont cherché à casser le thermomètre pour voiler les effets réels des apprentissages en amont. Il fallait alors éviter que la dictée ne devienne un exercice discriminant, il a été décidé que cet exercice n’était plus souhaitable. La dictée était devenue discriminante sur le plan socioculturel.

En effet, les enfants qui s’en sortaient le mieux étaient issus de familles dans lesquelles les parents veillaient à compléter les lectures scolaires par la bibliothèque familiale, par des conversations ou par une correspondance régulière. Mais ceux qui n’avaient pas la chance de fréquenter ce langage quotidien soutenu et un vocabulaire enrichi, se retrouvaient gravement pénalisés.

En ce sens, entendre un ministre de l’Éducation réaffirmer le rôle indispensable de la dictée dans les apprentissages scolaires des écoliers et des collégiens, semble annoncer le retour d’un certain réalisme dans les pédagogies d’enseignement. Cela me rappelle les propos de la directrice des programmes, Madame Souad Ayada, à propos de la grammaire qu’elle a réussi à réhabiliter en disant tout simplement que cette activité pédagogique dans l’apprentissage de notre langue n’est pas négociable[2]. Malheureusement cela ne signifie pas que ces annonces politiques soient suivies d’effets dans les écoles.

L’orthographe de notre langue a évolué, naturellement, depuis sa naissance. Sans rupture ni brutalité, du vieux François au Français d’aujourd’hui, celle-ci a toujours épousé les contours du réel en adaptant son expression aux mutations de la culture et aux nouveautés. Les éditions du dictionnaire en témoignent aisément. Cette évolution fut tout à la fois le fait de simplifications, d’élisions, de néologismes technologiques, ou de la juste nomination de phénomènes modernes. Et l’apprentissage de la langue a suivi docilement ces étapes dans les salles de classes du cours préparatoire.

La pensée progressiste cherche trop souvent le moyen de forcer, de provoquer la rupture, de contraindre même le pas à pas des ajustements naturels. Depuis plus de 20 ans, plusieurs tentatives de réformes orthographiques ont tenté de modifier en profondeur la construction de nos mots d’usage pour rendre, soi-disant, plus « accessible », l’apprentissage du français écrit et, partant, de notre civilisation. La conséquence en fut un appauvrissement continu.

Pour André Charlier, l’exercice de la dictée couronne les apprentissages du primaire : « le texte instruit les enfants de bien des choses pratiques et morales qu’il est nécessaire de leur faire connaitre et pratiquer. Elle est en outre la matière de l’analyse grammaticale et logique ; elle sert à l’enseignement de l’orthographe. Celle-ci est très injustement décriée parce que deux choses sont confondues. Il est certes indifférent d’écrire « comme » avec un seul m – come – : les Français l’ont écrit ainsi pendant cinq ou six siècles ; d’accorder le participe présent : cela s’est fait pendant mille ans ; de mettre un f à « philosophie » : les italiens le font toujours. Mais les enfants sont bien plutôt disposés à scinder les mots eux-mêmes en deux ou trois tronçons, à en réunir d’autres, et cela est grave, car cela prouve qu’aucune idée ou image ne répond au son entendu et utilisé (…). L’orthographe est donc le moyen d’apprendre à distinguer les idées usuelles ».[3]

L’apprentissage du langage parlé et écrit est le chemin de développement de l’intelligence et la voie qui permet à l’enfant d’accueillir le réel en le nommant, que ce réel soit extérieur ou intérieur à lui. Les professeurs des écoles orientent, pas à pas, l’enfant, dans le langage et la vie sociale, par un schéma pédagogique composé d’exigences et d’habitus. Par l’apprentissage de la langue l’enfant construit son identité culturelle et en parlant, il la révèle.

L’exercice de la dictée n’est donc pas une lubie des disciples de mademoiselle « Olombec » ! C’est la voie par laquelle un enfant entend, écrit, lit, mémorise et sculpte les mots qui seront bientôt les outils de sa pensée et de son expression écrite et orale. Comme la maitrise du solfège accompagne l’apprentissage de l’art musical, l’orthographe structure la pensée et la subtilité de l’éloquence. Il en va du langage comme de la musique, ce sont des exercices répétés qui vont peu à peu aider l’élève à acquérir une disposition permanente à réaliser un geste mental et manuel rectifié. Cette disposition est un habitus orthographique qui offre à l’intelligence un chemin aisé pour penser de manière droite.

Souvenons-nous ce que nous ont enseigné les « maîtres » de notre langue. Bossuet, qui a tant marqué le XVIIème siècle par sa pensée et la beauté de son expression littéraire, écrivait ceci au Dauphin en 1678 : « Ne croyez pas, monseigneur, qu’on vous reprenne si sévèrement pendant vos études, pour avoir simplement violé les règles de la grammaire en composant … si nous laissons vieillir et fortifier cette mauvaise habitude, quand vous viendrez à manier, non plus les paroles, mais les choses mêmes, vous en troublerez tout l’ordre. Vous parlez maintenant contre les lois de la grammaire, alors vous mépriserez les préceptes de la raison. Maintenant vous placez mal les mots, alors vous placerez mal les choses… [4]». Malheureusement cette menace de l’évêque de Meaux est devenue réalité pour de nombreux jeunes adultes, mais il est toujours temps d’entendre cette parole comme un avertissement pour éviter la barbarie à laquelle nous mèneront les barbarismes orthographiques.

André Groosse, achevait son avant- propos de l’édition de 1986 de la grammaire Grevisse par ces mots qui réaffirment le sens de l’apprentissage de la grammaire et de l’orthographe : « fournir une description du français moderne aussi complète que possible ; apporter des jugements normatifs fondés sur l’observation de l’usage, des usages ; permettre aux locuteurs et aux scripteurs de choisir le tour qui convient le mieux à l’expression de leur pensée et à la situation de communication dans laquelle ils se trouvent. »[5]

 

 

[1] Dictée magique : jeu électronique créé par la société Texas instrument dans les années 80 et dont l’utilisation pédagogique s’est alors développée jusque dans les classes de collège.

[2] https://www.lepoint.fr/education/programmes-je-ne-pense-pas-que-la-grammaire-soit-negociable-30-06-2018-2231811_3584.php#11

[3] Charlier, André, article in Collection Itinéraires, éditions NEL, 1959

[4] BOSSUET, Charles-Bénigne, Lettres sur l’Éducation du Dauphin, Paris, Éditions Bossard, 1920, p. 127-128

[5] « Grevisse – Le bon usage – Grammaire française » –  12ème édition de 1986 – André Grosse

 

A lire également : Projet de loi sur l’uniforme à l’école : la soutane a son mot à dire !

François-Xavier Clément, directeur scientifique de Saint-Joseph Education

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