Un ouvrage récent du journaliste américain Sohrab Ahmari dénonce la captation du pouvoir politique par les entreprises géantes du néolibéralisme, face à des employés assujettis à un système amoral. Un constat intéressant mais sans mise en cause de la conception du monde qui l’engendre.
Il n’est certainement pas trop tard pour évoquer dans ces colonnes Tyrannie and Co, qui nous viennent tout droit des États-Unis et dont la version française a été publiée en 2024. Le thème de cet ouvrage est celui du pouvoir exorbitant des grandes entreprises, du renversement social ainsi produit et la transformation profonde du « politique » qui en résulte. L’auteur, journaliste américain né en Iran, étaye son propos de multiples exemples pris dans des cas réels de la vie américaine. C’est, par exemple, celui d’un agent d’Amazon, renvoyé parce qu’il s’inquiète de la présence du Covid-19 dans son entrepôt, ce que refusent de voir les Ressources humaines. C’est encore celui de cette employée qui s’aperçoit que son entreprise espionnait sa vie privée via son ordinateur ou encore celui de ce livreur d’Uber informé de la diminution de son salaire via l’application du groupe sans pouvoir faire autre chose que d’appuyer sur le bouton « J’accepte ».
La tyrannie contemporaine
On l’aura compris, les exemples abondent et sont soutenus par des renvois nombreux à différentes sources. Le but de l’auteur n’est évidemment pas d’exposer seulement des situations qui semblent le plus souvent sorties du XIXe siècle ou de pays totalitaires et qui se déroulent, en fait, dans les États-Unis du XXIe siècle. À travers son enquête, Sohrab Ahmari entend démontrer plusieurs aspects qui ne concernent pas uniquement les seuls États-Unis. D’abord, le pouvoir des grandes entreprises qui leur permet d’imposer à leurs salariés et à leurs clients des pratiques contraires à la morale élémentaire et le plus souvent au droit. Il pointe ainsi le poids juridico-financier de la coercition exercée, mettant au prise de grands groupes, capables de faire appel à une armada d’avocats face à un employé, souvent armé de sa seule révolte face à la situation qui lui est imposée. L’auteur montre ensuite que cette tyrannie contemporaine ne doit rien au hasard ou à l’évolution inévitable de la société, due notamment à la mondialisation. Un ordre s’est bien mis en place et il est clairement néolibéral. Comme tout système libéral, il postule que le marché est susceptible de s’autoréguler et qu’il reposerait sur le contrat égal…