Enfin un modèle d’école pour la France périphérique !

Publié le 20 Mar 2018
Enfin un modèle d'école pour la France périphérique ! L'Homme Nouveau

Alors que Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation, a annoncé début mars la fermeture à la rentrée prochaine de 200 à 300 classes en zone rurale, les jeunes de la « France périphérique » semblent toujours plus abandonnés à leur sort. Au Cours Clovis, dans l’Aisne, une équipe de jeunes professeurs a décidé  de se mettre au service de ceux qui, habitant hors des grandes villes ou des banlieues, ont comme disparu du paysage médiatico-politique.

Entretien avec Jean-Baptiste Nouailhac, directeur du Cours Clovis à La Fère (Aisne), collège-pilote de la fondation Espérance Ruralités
Propos recueillis par Adélaïde Pouchol

Avec Hervé Catala, vous êtes co-fondateur de la Fondation Espérance Ruralités qui a vu le jour en mars 2017 sous l’égide de la Fondation pour l’École. Quels sont ses objectifs et quels sont les besoins spécifiques des zones rurales ?

Notre mission est de développer un modèle de collège-lycée adapté aux jeunes des zones rurales, ce que Christophe Guilluy appelle la France périphérique, c’est-à-dire ces territoires en dehors des métropoles et des banlieues qui les entourent, des territoires qui partagent une même situation sur les plans scolaire, culturel et social. La pédagogie Espérance Ruralités vise deux principaux objectifs, le premier étant de redonner confiance en eux à ces jeunes. Il y a plusieurs causes à l’origine de ce mal-être, notamment une perte des repères ou des situations familiales difficiles, mais aussi le fait qu’ils vivent sur des territoires qui n’existent pas sur les plans culturels et médiatiques. En pratique, toutes les références culturelles de ces gamins sont des références urbaines, citadines, ne serait-ce que par la musique qu’ils écoutent. Ils sont donc renvoyés en permanence à une forme d’exclusion. 

Le deuxième objectif est de leur transmettre les savoirs fondamentaux. Si l’on regarde les chiffres, neuf des dix départements les plus touchés par l’illettrisme sont des départements de zones rurales et parmi eux, l’Aisne caracole en tête avec 18 % de jeunes qui savent à peine lire. 

En quoi ces difficultés que vous pointez seraient-elles différentes de celles auxquelles fait face la Fondation Espérance Banlieues par exemple ? 

Sur le plan de l’acquisition des savoirs fondamentaux, les difficultés sont effectivement les mêmes, par contre, sur le plan culturel, notre problème n’est pas tant de transmettre les codes culturels français à nos élèves que de les valoriser dans ce qu’ils sont pour qu’ils n’aient plus honte de venir des zones rurales, de leur redonner confiance en eux. C’est dans cette optique, par exemple, que nous nous attachons à leur faire découvrir leur territoire, que nous les vouvoyons ou que nous leur faisons faire des exercices d’éloquence. Les élèves évoluent dans un cadre assez inhabituel pour eux : ils portent l’uniforme, les téléphones sont interdits au Cours… Mais ils s’y font très bien. D’ailleurs, quand quelqu’un d’extérieur au Cours arrive et ne vouvoie pas, ils ne se gênent pas pour rappeler comment cela fonctionne chez nous !

Racontez-nous l’histoire des débuts de la Fondation et plus particulièrement du Cours Clovis ?

Le Cours Clovis est né finalement assez vite après la création de la Fondation Espérance Ruralités, parce que nous avons pu obtenir en mai dernier l’accord de l’ancien supermarché dans lequel nous nous sommes installés. Nous avons alors organisé une réunion de présentation qui a rassemblé quelque 70 personnes, et, dans la foulée, nous avons fait les entretiens d’inscription et avons ouvert le Cours à la rentrée avec douze élèves. Aujourd’hui, ils sont quinze, pour les classes de 6e, 5e et 4e. 80 % des élèves que nous avons accueillis étaient victimes de harcèlement ou en décrochage scolaire et il est clair que l’objectif que nous nous étions fixé est atteint puisque, en termes sociologiques, nous touchons des familles en grande difficulté sociale. Seulement trois semaines après la rentrée, des enfants qui partaient à l’école avec la boule au ventre, complètement renfermés sur eux-mêmes, se remettaient à parler, redevenaient serviables… Les parents n’en reviennent pas et inutile de dire que cela favorise un climat de confiance entre eux et nous. Nous travaillons aussi en bonne intelligence avec les assistantes sociales, qui nous ont d’ailleurs envoyés certains des élèves qui sont aujourd’hui au Cours. 

Comment avez-vous choisi le nom du Cours Clovis ?

Comme nous sommes dans l’Aisne, nous avions choisi trois noms, soumis ensuite au choix des élèves, et emblématiques de la région. Il y avait Pierre Aubert, le premier inscrit sur le monument aux morts de La Fère, Quentin de Latour, un peintre de la région, ainsi que Clovis, qu’on ne présente plus et qui avait fait de Soissons sa capitale. Les élèves ont voté et c’est Clovis qui l’a remporté ! Je m’en réjouis car je crois qu’on ne peut grandir sans racines. Si on ne sait pas d’où l’on vient, on ne peut aller nulle part.

Comment caractériser la pédagogie de Cours Clovis ?

Sur le plan proprement pédagogique et pour répondre à l’objectif de transmissions des savoirs fondamentaux, nous faisons de la remédiation en lecture (avec la méthode Boscher), en grammaire (avec la méthode Nuyts) et en mathématiques (avec la méthode de Singapour). Nous suivons le programme officiel, ne serait-ce que pour préparer les élèves au brevet, mais en insistant sur les matières fondamentales et avec une approche qui soit la plus pédagogique possible, avec un enseignement chronologique de l’histoire, par exemple. Les professeurs du Cours sont tous jeunes, issus pour la plupart de l’enseignement privé ou en reconversion mais nous insistons beaucoup sur le fait qu’ils sont aussi des éducateurs, ce qui se traduit par une présence très importante, notamment dans la cour de récréation, pendant les repas que nous prenons avec eux ou les services que nous encadrons, au moment aussi de notre sortie hebdomadaire du vendredi. C’est une proximité sans familiarité qui permet de redonner confiance dans l’adulte et de créer un cadre propice à l’apprentissage.

En quoi consistent ces sorties du vendredi ?

Ces sorties peuvent être un grand jeu, la visite d’une maison de retraite pour que les élèves jouent avec les personnes âgées, une bataille de boule de neige, la visite d’une exploitation agricole… ou un atelier avec les élèves pour tirer les dalles de béton de l’école ! L’objectif est de permettre aux jeunes de respirer un peu – je crois qu’il n’y a pas beaucoup d’écoles en France où l’on arrive à faire bosser les élèves le vendredi après-midi – mais aussi de valoriser d’autres formes d’intelligence, de favoriser la cohésion, de responsabiliser les élèves et de faire valoir certaines qualités qui ne sont pas forcément visibles en classe. 

Comment financez-vous le Cours ?

Les parents paient en moyenne 50 € par élève et par mois mais cela ne couvre évidemment pas la totalité des frais, nous comptons donc énormément sur les dons des particuliers et des entreprises. Le fonctionnement du Cours représente 300 000 € pour un an. C’est toute la difficulté d’un collège : qu’il y ait cinq ou 50 élèves, il faut de toutes façons engager un certain nombre de professeurs pour les différentes matières. C’est un gros investissement de départ ! Pour nous aider à y faire face, il est possible de faire un don en envoyant un chèque à l’ordre de « Fondation Espérance Ruralités » à la Fondation Espérance Ruralités, 25, rue Sainte Isaure, 75018 Paris. Il est également possible de faire un don en ligne sur notre site internet : www.esperanceruralites.org

Si vos lecteurs cherchent un effort de Carême, qu’ils n’hésitent pas, nous avons besoin d’eux !

Comment voyez-vous l’avenir pour le Cours Clovis et, plus largement, pour la Fondation Espérance Ruralités ? 

On envisage le lycée. On veut se donner le temps d’être plus solide avant de se lancer, mais nous commencerons à nous poser la question à la fin de l’année. Il y a déjà des personnes qui nous contactent de partout en France pour monter des écoles mais il nous faut prendre un peu de recul. 

Y a-t-il une anecdote, un moment qui vous a marqué, que vous aimeriez nous raconter ?

L’un de nos élèves a eu une enfance particulièrement compliquée. La famille d’accueil dans laquelle il a été placé à l’âge de 2 mois a finalement pu l’adopter il y a quelques semaines et le changer de collège pour le mettre chez nous. Cet élève avait des difficultés énormes en matière de motricité fine mais, une semaine après son entrée à l’école, sa mère a reçu un coup de fil de l’orthophoniste qui lui demandait si elle avait emmené son enfant à Lourdes… Ses problèmes de motricité étaient réglés !

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