Après la pause vacances, les résolutions de rentrée, c’est maintenant le temps des interrogations. Le mouvement multiforme de contestation à la loi Taubira sur le mariage cherche un second souffle ou, plus exactement, les moyens précis de parfaire son action tout en l’amplifiant. Ce fut le cas notamment lors de la récente université d’été de La Manif pour tous.
On ne le dira jamais assez : un bon moyen d’avancer est de regarder en arrière. Cet (apparent) paradoxe n’est pas seulement une provocation. C’est aussi une parole de sagesse politique. Pour parfaire son action, pour la remettre éventuellement dans le bon axe, pour trouver les bonnes réponses aux véritables problèmes, il est nécessaire de faire le bilan. Et, de le faire, avec un certain recul, sans cette prise trop directe sur l’évènement.
Les militants et les responsables des différentes formes d’opposition à la loi Taubira sur le mariage ont de la chance. Ce bilan, deux journalistes duFigaro(Figaro Magazine et Figaro Histoire) viennent de le faire pour eux. Sous le titre Et la France se réveilla, enquête sur la révolution des valeurs (Éditions du Toucan, 284 pages, 18 €), Vincent Trémolet de Villers et Raphaël Stainville racontent et interrogent ces mois de lutte contre le « mariage » pour tous. Ils rappellent les stratégies mises en œuvre ; ils remettent en scène les personnalités clefs de la formidable mobilisation contre le projet Taubira ; ils pointent les doutes et les échecs, les demi-réussites et les victoires partielles. Leur livre fourmille de faits, d’informations, de détails, de clefs d’interprétation et de compréhensions. Mais plus encore, il donne une vision panoramique, et de ce fait, réellement politique, de ce qu’ils appellent « la révolution des valeurs ».
Entendons-nous bien : ils n’ont pas seulement mis bout à bout des informations que leur métier de journaliste leur a permis de récolter. Ils n’ont pas seulement analysé le comportement de Frigide Barjot, le rôle de Tugdual Derville ou les manœuvres de Civitas. Sur l’évènement fort que constitue une année (ou presque) d’opposition et de mobilisation au « mariage » pour tous, les deux auteurs interrogent en quelque sorte le « temps long » cher à Fernand Braudel. Un « temps long » à la mesure de l’irruption de cette contestation inattendue et radicale d’un projet de renversement anthropologique et de révolution de civilisation et qui nécessite qu’on l’interprète au sein d’un plus vaste ensemble. On notera d’ailleurs, que loin de mettre leurs pas dans ceux d’Alain Peyreffite qui voyait dans le futur le réveil de la Chine, nos jeunes auteurs titrent clairement leur ouvrage au passé : Et la France se réveilla.
À ce sujet, ce n’est pas sans raison si le livre débute de façon étonnante par le récit d’une cérémonie de remise de Légion d’honneur au palais de l’Élysée, évènement qui n’a l’air d’avoir aucun rapport avec le sujet. Plus qu’un indice, c’est un indicateur, la mesure du changement qui se mettait en place, au sein d’une fusée impensée et dont les étages pourtant, indépendants les uns des autres, se reliaient invisiblement les uns aux autres et avaient bien à voir avec le retournement culturel qui a montré sa face visible pendant les manifestations de contestation de la loi Taubira. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs si les auteurs insistent sur l’analyse de Jean-Christophe Cambadélis qui, seul dans son camp, a bien senti la terre bouger. Un Jean-Christophe Cambadélis qui, par son passé, est archi-rompu à la contestation sociale, à l’analyse des mouvements moraux et politiques de longue portée.
C’est ainsi que le refus du « mariage » pour tous, dont Christine Taubira fut la mère porteuse, se révèle réellement, non seulement comme une rupture avec 1981 mais, plus encore, avec Mai 1968. Mais c’est ainsi aussi que la question reste posée : ce refus peut-il déboucher sur une reconstruction sociale et politique qui soit un adieu définitif avec les Lumières et la Révolution française ?