Graduel Haec dies Dimanche de Pâques

Publié le 31 Mar 2018
Graduel Haec dies   Dimanche de Pâques L'Homme Nouveau
Graduel Haec Dies Intro

 « Voici le jour que le Seigneur a fait : passons-le dans la joie et l’allégresse. Rendez grâce au Seigneur car il est bon, car sa miséricorde est éternelle. » (Psaume 117, 24, 1) 

Commentaire spirituel 

C’est l’unique graduel de tout le temps pascal, mais quel graduel ! Nous sommes, une fois de plus, en présence d’un morceau d’anthologie, et à vrai dire, toutes les pièces de cette messe sont des merveilles, chacune dans leur genre. Mais il est curieux de trouver en ce jour un graduel alors que dans la suite, toutes les messes du temps pascal nous feront entendre deux alléluias. Le graduel est supprimé durant cette période liturgique, supplanté par le chant qui résonne dans le cœur de tout fidèle depuis la nuit très sainte où il a retenti à nouveau après une longue interruption. Dom Guéranger recommandait aux moniales de sainte Cécile de Solesmes d’être alléluia des pieds jusqu’à la tête ! C’est un beau souhait que l’on peut appliquer à tout le monde. Alors pourquoi ce graduel le jour de Pâques et pourquoi va-t-on le répéter tous les jours de la semaine, en changeant simplement à chaque fois le verset, toujours emprunté au long psaume 117 (118 selon l’hébreu), considéré comme le psaume de la résurrection ? Il n’est pas impossible que nous soyons en présence d’un formulaire de messe très ancien et auquel on n’aurait pas osé toucher plus tard en substituant un deuxième alléluia au chant du graduel durant tout le temps pascal. Ce qui semble plus sûr, c’est que le graduel de Pâques était autrefois beaucoup plus long et que dans la suite on a réparti les différents versets sur chacun des jours de l’octave, en gardant le même refrain, c’est-à-dire le corps du graduel : « Voici le jour que le Seigneur a fait : passons-le dans la joie et l’allégresse. » texte si bien adapté à l’occurrence liturgique. Mais le plus important n’est pas de supputer sur cette question historique. Ce graduel est une splendeur, c’est le graduel de Pâques, aujourd’hui dans la liturgie, et nous pouvons d’autant mieux le goûter que c’est l’unique représentant de ce genre musical pour les cinquante jours à venir. 

Comme on l’a vu, il est emprunté au psaume 117, le dernier des psaumes du Hallel (112 à 117), ces psaumes de louange qui étaient chantés à l’occasion des grandes fêtes juives. Il est composé de plusieurs petits refrains que le peuple chantaient en réponse à des invitations des prêtres ou des lévites. Le verset de notre graduel « Rendez grâce au Seigneur, car il est bon, car éternelle est sa miséricorde » est un de ces refrains. 

Le corps du graduel est plein d’une vérité profonde : « Voici le jour que le Seigneur a fait… » Il est bien évident que le Seigneur a fait tous les jours. Pas un n’échappe à sa création, à sa providence. Dieu est le maître du temps dans son ensemble et dans la moindre de ses divisions. Tous les instants sont à lui, mais en particulier les jours qui sont l’expression, répétée indéfiniment, de sa fidélité envers la création. Pas un jour ne s’est déroulé sans que le soleil se lève, parvienne à son zénith, puis se couche pour laisser la place à la nuit. Tous les jours sont bénis par le Créateur. Mais il y a pourtant des grands jours, dans l’histoire de l’Humanité. Pour les Juifs, le grand jour par excellence, celui qui est célébré dans ce psaume, précisément, c’est le jour du passage de la mer rouge, le jour de la Pâque, le jour de la preuve éclatante de l’amour de prédilection de Yahvé pour Israël. Pour les chrétiens, le jour qu’a fait plus particulièrement le Seigneur, c’est aussi le jour de Pâques, mais une Pâques vraiment éternelle, aussi éternelle que la miséricorde de Dieu. Ce jour, c’est celui de la résurrection de Jésus. C’est la bonne nouvelle de l’histoire de l’Humanité. Un homme a vaincu la mort, il s’est révélé comme le maître de la vie et cette vie il veut nous la donner. Jour sans pareil, jour qui célèbre une réalité, mais qui est aussi pour nous une formidable promesse. Pâques n’est pas seulement la célébration du plus impensable des événements, c’est aussi une fête prophétique. Le jour glorieux que nous célébrons est tout orienté vers son accomplissement plénier, c’est-à-dire, vers le jour qui ne finira plus, vers l’éternité sans fin dans le ciel. Voilà l’ultime Pâques en vue de laquelle le Christ est venu accomplir sa Pâques. Ce jour, haec dies, cet hodie que nous commémorons chaque année, nous le vivons à la fois dans le triomphe et dans l’espérance. Ce jour est tout entier habité par la miséricorde du Seigneur qui a tout fait pour nous sans mérite de notre part, et au détriment de sa vie humaine et de son sang qui a coulé par amour pour nous. Ce jour, nous devons le vivre dans la joie et l’allégresse car les promesses de Dieu sont sans repentance. La victoire du Christ est notre victoire, sa résurrection est notre résurrection. Voilà la raison profonde de la joie de l’Église aujourd’hui, voilà pourquoi elle répète sans cesse, tout au long de ce jour et même durant tout l’octave de Pâques ces paroles bénies du grand hallel : « Voici le jour que le Seigneur a fait : passons-le dans la joie et l’allégresse. Rendez grâce au Seigneur car il est bon, car sa miséricorde est éternelle. » 

Commentaire musical 
Graduel Haec Dies

Ce chant est l’unique graduel du temps pascal, mais c’est aussi une mélodie unique, unique par son inspiration et par l’enthousiasme qu’elle engendre chez celui qui doit l’interpréter comme chez celui qui l’écoute. Pourtant, la mélodie n’est pas absolument originale. Le compositeur a utilisé une formule très commune aux graduels du 2ème mode (Requiem, Angelis…) mais il l’a adaptée au texte et à la solennité du jour d’une façon qui est vraiment exceptionnelle. Ces auteurs des mélodies grégoriennes ne pouvaient être que de grands contemplatifs et en même temps des grands artistes, car l’inspiration d’une pièce comme celle-ci éclate littéralement à chaque motif mélodique. 

L’intonation, à elle seule, est une petite merveille.Tout en élan, après un appui sur la première note, elle se déploie avec un immense enthousiasme, de façon très légère, en s’élevant jusqu’au Do, pour prononcer le mot dies qui est tant à l’honneur aujourd’hui. Rien ne doit ralentir ce premier mouvement qui va donner du souffle à toute la pièce. Il y a là un rythme admirable, spécialement sur le mot dies qui est très net. Dom Gajard estime que cette intonation, chez la plupart des chœurs est toujours trop lente et un peu lourde, ce qui est un contre-sens. 

Sur la base de ce tempo très léger, la mélodie va se dérouler ensuite avec beaucoup de grâce, d’enthousiasme et même de puissance sur fecit Dominus. Le mot fecit commence par deux notes longues à l’unisson, apparemment identiques, mais qui dans les manuscrits sont très différentes : la première, sur l’accent, est très ferme et très forte, la seconde au contraire, sur la finale du mot, est beaucoup plus légère et douce. On doit bien sentir ce balancement expressif. La finale de fecit bénéficie en tout cas du mouvement initial donné par l’accent : c’est léger et puissant. La légèreté se retrouve sur Dominus, avec toutefois un crescendo expressif et un élargissement progressif à mesure que l’on va vers la finale et que l’on monte vers le sommet mélodique. 

Jusqu’ici, toute la mélodie de ce début de graduel était originale. À partir de la deuxième phrase, le compositeur retrouve la mélodie type du 2ème mode, qui convient ici parfaitement au texte, par sa fluidité. Cette deuxième phrase mélodique n’est constituée que d’un seul mot mais qui dit à lui seul la joie de ce jour : exsultemus. C’est l’allégresse et on doit la sentir dans l’extrême légèreté de ce passage qui ne se calme que vers la fin, pour amener la dernière phrase du corps du graduel. 

Cette troisième phrase commence au grave, piano, comme pour dire qu’il y a une autre joie, plus profonde. Ce mot laetemur est revêtu d’une mélodie originale bien expressive, avec sa belle longue qui laisse planer le mouvement avant de voir la finale se poser doucement. Puis on retrouve la mélodie type sur in ea,avec son envolée extraordinaire, très légère au début, plus ample et plus chaude dans le deuxième membre, enfin détendue dans le dernier membre, mélodie qui semble avoir été composée exprès pour cette circonstance pascale. 

Le verset va nous réserver encore bien de la joie. Dom Gajard n’hésite pas à parler ici d’ivresse spirituelle. La première phrase, sur confitemini commence sur le modèle du 2ème mode. Mais dès que le nom du Seigneur est évoqué, la mélodie s’évade de ce modèle et se déploie en une magnifique vocalise, très aiguë, de plus en plus éperdue d’admiration. La finale de Domino est proprement merveilleuse. Le mouvement semble presque s’arrêter sur ces deux climacus élevés qui ont quelque chose d’extatique. L’âme s’est émue à mesure qu’elle a prononcé le nom aimé du Seigneur. Le souvenir des souffrances qu’il a vécues pour elle pour son salut semble refluer sur elle comme une vague d’émotion dont les flots la submergent. 

Et la deuxième phrase va encore renchérir sur ce sentiment d’amour et de tendresse. Quoniam bonus. Voilà le motif de sa louange. C’est la bonté de Dieu qui est la cause de toute l’économie du salut, de tout le mystère insondable de l’Incarnation rédemptrice. Ici, le mouvement s’élargit singulièrement à mesure que l’âme se laisse emporter dans cet océan de louange. Et l’on arrive au sommet de toute la pièce, dans cet extraordinaire montée qui va nous conduire au Sol après un appui sur le Ré. Moment unique dans cette célébration pascale, moment unique dans toute l’année liturgique, mélodie unique dans tout le répertoire grégorien. La hauteur de ce double Sol effraie souvent les choristes. Il s’agit d’aller cueillir ce sommet en douceur et on le fera d’autant plus facilement qu’on se sera bien appuyé sur la note pointée qui le précède, sans se précipiter, avec calme. 

Le mot qui suit, bonus, n’est pas moins beau. Ici, tout est très large et c’est très visible dans les manuscrits. Il faut presque s’arrêter sur ce mot, en goûter toutes les résonances, grâce à cette mélodie splendide. Il y a une infinie douceur, une merveilleuse tendresse dans ces neumes pleins de chaleur et d longueur. 

La toute dernière phrase rejoint la mélodie type et l’on retrouve pour finir la légèreté et la fluidité du début, qui débouche sur la belle formule classique mais ici si heureuse qui habille les derniers mots de cette pièce admirable : misericordia ejus, avec un départ piano au grave et une courbe chaleureuse et large sur ejus. Voilà ce grand graduel qui mérite amplement sa place en ce jour solennel. Il apporte sa note de joie expansive à l’ensemble des pièces de cette messe. Le sentiment d’allégresse explose littéralement dans nos cœurs en chantant ou en écoutant cette mélodie inspirée. Cette allégresse est communicative, missionnaire, elle invite le monde chanter l’amour de Dieu qui s’est manifesté dans le mystère pascal du Christ : « Voici le jour que le Seigneur a fait : passons-le dans la joie et l’allégresse. Rendez grâce au Seigneur car il est bon, car sa miséricorde est éternelle. » 

« La musique grégorienne ici encore touche au cœur de l’être. Avec une douce ébriété, parfaitement raisonnable, parfaitement inspirée, elle chante l’absolue nouveauté, la délicieuse fraîcheur de ce jour nouveau qui naît, de ce jour à nul autre pareil, de ce jour unique d’aujourd’hui. Aujourd’hui est le jour que fit le Seigneur. Réjouissons-nous, passons le dans l’allégresse. L’allégresse est notre seule réponse à l’acte gratuit qui fit naître ce jour, qui le fit naître et le soutiendra jusqu’à son terme, et l’allégresse, notre allégresse, accompagnera chaque instant de son cours miraculeux. Nous eussions pu ne pas vivre, ce jour eût pu n’être pas créé. Il le fut, le Seigneur le déploie, et nous, nous qui le vivons, nous respirerons à son rythme, à son rythme joyeux. Rendez grâce au Seigneur car il est bon, car sa miséricorde est pour l’éternité. Le Seigneur eût-il pu créer ce jour et nous créer aussi pour le vivre, sans que ce jour méritât que nous le célébrions dans la joie ? Un Seigneur sans bonté eût-il pu créer ce jour et les suivants ? Une voix s’élève, une voix infiniment heureuse, la voix d’un homme ou d’un enfant, qui chante le chant venu de l’intime du cœur et peut-être de plus profond : Il est bon le Seigneur qui nous créa, son amour est 

éternel, en Lui ayez parfaite confiance, abandonnez-vous ans ses bras, il vous mènera jusqu’au terme de ce jour selon sa bonté infinie. Cette voix venue du plus profond nous atteint au plus profond, jaillie de la bonté de Dieu intime à l’homme, à l’enfant qui chante, elle rejoint la bonté de Dieu intime à l’homme, à l’enfant qui écoute. Parce que le Seigneur est bon, parce que sa miséricorde est pour l’éternité, réjouissons-nous de ce jour qu’il a fait, passons-le dans la joie parfaite. La musique grégorienne ne suspend pas le tragique de la vie pour un instant. Elle l’assume, elle le dépasse. Elle nous fait jeter l’ancre, par delà le voile du Temple, dans le Saint des Saints. Elle fonde notre espérance en la puissance infinie du Père, puissance infinie d’amour, par delà l’épaisseur infranchissable de la nuit. Jetons l’ancre, par delà la nuit épaisse, dans l’océan de bonté du Saint des Saints. Jetons l’ancre dans le cœur du Père, et l’espérance fondée en Lui nous fera traverser la révolte, la haine, le néant, le non-sens. Ancrés dans le cœur du Père, réjouissons-nous de ce jour qu’il a fait, réjouissons-nous de tous ses instants jusqu’à son terme, car le Seigneur est bon et son amour est pour l’éternité. » 

À écouter ici

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