Le lundi 15 avril 2019, en quelques heures, la toiture de la cathédrale Notre-Dame de Paris disparaissait dans les flammes.
Au-delà de l’émotion légitime suscitée par cet événement incroyable, au-delà des causes de l’origine de cet incendie, nous nous devons, comme catholiques, de nous poser un certain nombre de questions métaphysiques qui devraient nous permettre de réfléchir sur l’évolution du catholicisme et d’anticiper les volontés de dénaturation de l’édifice clairement exprimées au plus haut niveau de l’État dans le cadre de la « restauration ».
En tant que simple spectateur, on n’a pu qu’être étonné, voire choqué, par les approximations, les contre-vérités, les ambiguïtés, les silences orchestrés, et par bon nombre de propos du président de la République, de certains ministres et de l’essentiel des journalistes.
D’aucuns, convaincus que c’était un musée national (sic), de surcroît le plus visité de France, s’étonnaient même qu’il y eût encore des messes – qu’ils appellent, dans leur inculture, services, événements ou animations –, et ne saisissaient pas pourquoi la cathédrale était réservée aux seuls catholiques. D’autres ne comprenaient pas l’émotion populaire pour quelques morceaux de bois brûlés (sic). D’autres encore se félicitaient de cet incendie. C’est le cas notamment de journalistes de France Inter qui, pour cette occasion, n’ont pas hésité à faire appel à Frédéric Fromet, un pseudo-chansonnier « adepte de l’humour noir » (sic). Sa chanson intitulée « Elle a cramé la cathédrale » est un modèle du genre, qui a les rires gras des journalistes présents, dont l’animateur Alex Vizorek, et les invités de l’émission, tous remplis d’eux-mêmes. En guise de présentation, le chanteur n’hésite pas à proclamer que « l’incendie de la cathédrale est du pain bénit » pour un artiste comme lui, surtout un jour de Vendredi saint. Tout y passe pêle-mêle, y compris le plus vulgaire, le plus ignoble, le plus abject. Il en espère, entre autres, « la fin des curés ». Le comble est que certains se sont étonnés des réactions scandalisées des auditeurs qui ont fait savoir leur indignation par les réseaux sociaux, seul espace de liberté restant.
Bêtise, inculture, inconscience, idéologie, politique… Quoi qu’il en soit, l’État laïc (et notamment l’Éducation nationale) ne peut que se féliciter des résultats de sa politique d’acculturation et de relativisme orchestrée depuis des décennies : il a tué Dieu ainsi que s’en sont vantés maints hommes politiques, l’ancien ministre Vincent Peillon en tête.
Il est à noter que très peu de personnes, y compris parmi le clergé, ont pris le soin de définir ce qu’était Notre-Dame. De ce fait, une bonne partie, sinon la grosse majorité, de l’opinion publique – déchristianisée – ne comprend pas la nature profonde de cet édifice. Certains sont même convaincus qu’il s’agit de la maison d’une certaine Esmeralda et d’un certain Quasimodo, eux-mêmes mal cernés – des personnages sans aucun doute importants vu le nombre de personnes à en avoir parlé y compris au plus haut niveau de l’État. Je ne peux que conseiller à nos lecteurs de faire le test autour d’eux : ils vont être surpris par les réponses.
La construction de la cathédrale Notre-Dame a été entreprise à l’instigation de l’évêque de Paris, Maurice de Sully, afin de remplacer la cathédrale Saint-Étienne, trop petite et de surcroît considérée comme démodée. La nouvelle construction de style gothique, qui s’étale sur deux siècles, est financée par la fabrique et le chapitre qui collectent les fonds auprès des paroissiens, des grandes familles et des souverains.
Elle est dédiée à la Vierge Marie, la mère des mères, protectrice de la famille royale, de la ville de Paris et du royaume de France. Avec le temps, elle s’impose, en raison de sa situation géographique, de ses dimensions, de son rôle politique et social, comme la « mère » des cathédrales de France, d’autant que l’évêché de Paris devient archevêché en 1622.
Elle a subi un certain nombre d’évolutions et de réaménagements tout au long de l’Ancien Régime. Un des principaux, toujours visible de nos jours, est celui mené au début du XVIIIe siècle par l’un des plus grands architectes et décorateurs français : Robert de Cotte (1656-1735). Afin de remercier la Vierge de lui avoir donné un fils au bout de vingt-trois ans de mariage, Louis XIII instaure les processions du 15 août en hommage à la Vierge et s’engage à élever un nouveau maître-autel dans la cathédrale et à offrir un ensemble de sculptures. Louis XIII, mort trop tôt pour respecter sa parole, son fils, Louis XIV, Dieudonné, fidèle à l’engagement de son père, offre une Pietà en marbre, réalisée entre 1712 et 1728 par Nicolas Coustou, et encadrée de part et d’autre par deux statues représentant les deux souverains, Louis XIII – qui présente sa couronne et son sceptre à la Vierge – de Guillaume Coustou, et Louis XIV d’Antoine Coysevox. L’ensemble est entouré par une série de six anges en bronze portant chacun un instrument de la Passion du Christ : la Couronne d’épines, les clous de la crucifixion, l’éponge imbibée de vinaigre, l’inscription qui surmontait la croix, le roseau avec lequel le Christ a été frappé et la lance qui lui a transpercé le cœur – le sol du sanctuaire étant de marbre de couleur dans lequel est incrusté un médaillon aux armes de Louis XIV.
Au cours de la Révolution, le 2 novembre 1789, la cathédrale, propriété de l’archevêché de Paris, est nationalisée sans compensation et devient propriété de l’État, statut qui est encore le sien à ce jour. Au-delà de maints actes de vandalisme comme la décapitation des rois de Judas au sommet de la façade, de la destruction des statues des portails, etc., elle devient tour à tour église paroissiale, temple de la Raison – culte organisé par Pierre-Gaspard Chaumette (1763-1794), porte-parole des sans-culottes et fervent partisan de la Terreur –, puis entrepôt, avant d’être finalement rendue au culte catholique, le 18 avril 1802.
À ce titre, tout comme sous l’Ancien Régime, elle est un des hauts lieux de l’histoire nationale accueillant des événements particulièrement marquants : sacre de Napoléon Ier, baptême du duc de Bordeaux, funérailles de certains présidents de la République, Te Deum du 26 août 1944 pour célébrer la libération de Paris…
La cathédrale Notre-Dame de Paris est donc exclusivement un édifice religieux consacré à la Vierge Marie, la Mère du Christ, un édifice catholique, franco-français, et partie intégrante du patrimoine national.
L’incendie appelle donc un certain nombre de questions après la destruction de la toiture de la cathédrale, c’est-à-dire la toiture du chœur, des transepts, de la croisée des transepts, de la nef et la flèche érigée par Viollet-le-Duc qui en se brisant a fait exploser deux voûtes : celle de la croisée des transepts, qui s’est effondrée sur l’autel moderne, et la première de la nef,.
Il est à noter que l’autel ancien, la statue de la Vierge qui repose sur un pilier dans la croisée des transepts, l’intégralité du trésor, dont la Sainte Couronne, et des œuvres d’art réparties dans l’édifice n’ont pas été irréversiblement abîmés, à la surprise générale – dont celle des experts, pompiers en tête.
Certains y ont vu un message divin lié à un certain nombre d’avertissements de la Vierge notamment à La Salette et, plus récemment, à Pontmain. En son temps d’ailleurs, le pape Jean-Paul II, le 1er juin 1980, au Bourget, avait interpellé les Français en leur posant cette question fondamentale : « Alors permettez-moi, pour conclure, de vous interroger : France, Fille aînée de l’Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? Permettez-moi de vous demander : France, Fille de l’Église et éducatrice des peuples, es-tu fidèle, pour le bien de l’homme, à l’alliance avec la sagesse éternelle ? Pardonnez-moi cette question. Je l’ai posée comme le fait le ministre au moment du baptême. Je l’ai posée par sollicitude pour l’Église, dont je suis le premier prêtre et le premier serviteur, et par amour pour l’homme dont la grandeur définitive est en Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. »
La cathédrale Notre-Dame de Paris est un édifice marial qui assure la protection de la Vierge à la France. L’incendie, quelle qu’en soit l’origine, serait donc un message envoyé par la Vierge : la destruction de la toiture, dont la charpente en bois était un hommage à Joseph, le charpentier, signifierait que cette protection est retirée aux Français parce qu’ils sont devenus infidèles. D’où la destruction de l’autel moderne, symbole de la dénaturation de l’Église comme l’a démontré Guillaume Cuchet à travers son ouvrage Comment notre monde a cessé d’être chrétien (Seuil). À l’inverse, si elle revient à la pratique traditionnelle et à l’amour inconditionné du Christ, la France serait de nouveau protégée. En témoignerait le fait que le chœur n’a subi aucun dommage. Il était d’ailleurs stupéfiant de voir dans l’intensité de l’incendie, puis la noirceur de l’édifice, la lumière jaillissant de la croix du Christ portée par la Pietà. Il est aussi à noter que les statues de bronze des douze apôtres et des quatre évangélistes qui ornaient la flèche avaient été retirées la semaine précédant l’incendie et qu’elles ont donc été préservées. Imaginons qu’elles soient restées en place. En raison de leur volume et de leur poids, leur chute aurait pu causer des dégâts considérables notamment au niveau des voûtes et des superstructures de l’édifice. Dernier fait marquant, le coq placé au sommet de la flèche, qui symbolise saint Pierre, premier pape et Père de l’Église, et qui contenait des reliques majeures (une épine de la Sainte Couronne, des reliques de sainte Geneviève et de saint Rémi), a été retrouvé intact, simplement « cabossé » au dire de l’architecte.
À chacun d’en tirer les conclusions.
Reste le problème délicat de la restauration de l’édifice.
Avec le recul, l’analyse des événements est stupéfiante et riche d’enseignements.
Au-delà du fait que, dès les premières flammes, a été décrété officiellement que l’incendie était d’origine accidentelle, le chef de l’État, relayé par ses ministres, son sérail politique et l’essentiel des journalistes, a immédiatement décidé de « reconstruire » (sic) la cathédrale en cinq ans.
Pour ces hommes avertis, l’utilisation d’un mot n’est jamais innocente d’autant, en la circonstance, que le mot juste était « restaurer » c’est-à-dire réparer l’édifice afin de le restituer dans son état initial en respectant sa destination religieuse de lieu de culte catholique. En clair, le chef de l’État a voulu immédiatement imposer un élément de langage afin de préparer l’opinion publique à un projet autre.
À l’occasion de sa prise de parole officielle à l’Élysée, le 16 avril, pendant six minutes, il a été extrêmement précis pour celui qui sait lire les images et à travers les mots. Le décor de l’allocution était fondamentalement le même que celui du 7 mai 2017, jour de sa victoire célébrée au Louvre, matrice de la monarchie française, au pied de la pyramide et de son œil, et que celui de sa photo officielle : les symboles, les mots utilisés sont étrangement similaires.
Alors qu’indiscutablement la cathédrale de Paris est un lieu de culte catholique, à aucun moment le président de la République n’y a fait référence, ce qui a suscité, dès le lendemain, l’étonnement de certains journalistes, stupéfaits – notamment sur Sud Radio à l’occasion d’une interview avec l’archevêque de Paris, Mgr Michel Aupetit, qui diplomatiquement botte en touche tout en rappelant que le mot catholique n’est pas un gros mot et qu’il signifie universel.
Quoi qu’il en soit, les catholiques sont prévenus : ils seront de facto exclus en tant que croyants, de la réflexion et de l’action car ce bâtiment est censé appartenir à tous les Français, voire aux citoyens du monde, comme l’a spécifié Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur et des cultes : « Ce que je sais c’est que Notre-Dame de Paris n’est pas une cathédrale mais notre commun » (sic). L’expression est curieuse, mais elle a le mérite d’être claire.
La stratégie présidentielle est simple : il confie la « reconstruction » (sic) à un général en retraite, ce qui est stupéfiant, impose l’idée d’un concours international d’architectes (on peut légitimement se demander pour quel projet ?) alors que la cathédrale bénéficie d’un architecte des monuments historiques talentueux, Philippe Villeneuve, qui a fait ses preuves.
Il est clair que le pouvoir a un projet inavouable mais qu’il a bien l’intention de l’imposer d’où sa politique de mise sous tutelle de la parole de ses services patrimoniaux inquiets – inquiétude partagée par plus d’un millier d’experts du patrimoine qui invitent, dans une tribune publiée sur le site du Figaro, le 29 avril, le président de la République à éviter la « précipitation » dans la restauration (le mot est juste) et à ne pas s’affranchir des règles de protection du patrimoine.
Paradoxalement, ce sont, peut-être, les traités internationaux qui vont venir au secours de Notre-Dame et des partisans de la restauration à l’identique, notamment la Charte de Venise que la France a signée en 1964. Son article 9 est très clair à ce sujet : « La restauration est une opération qui doit garder un caractère exceptionnel. Elle a pour but de conserver et de révéler les valeurs esthétiques et historiques du monument et se fonde sur le respect de la substance ancienne et de documents authentiques. Elle s’arrête là où commence l’hypothèse, sur le plan des reconstitutions conjecturales, tout travail de complément reconnu indispensable pour raisons esthétiques ou techniques relève de la composition architecturale et portera la marque de notre temps. La restauration sera toujours précédée et accompagnée d’une étude archéologique et historique du monument. »
Dès lors, le chef de l’État, son gouvernement, sa majorité, qui ont l’intention de voter une loi d’exception pour la circonstance, loi qui dégagerait le chantier Notre-Dame des obligations légales (sic) liées au patrimoine historique, vont devoir se soumettre. À moins que… le président – transgressif par nature et totalement iconoclaste dans la mesure où il ose imaginer dénaturer un lieu de culte majeur pour les catholiques du monde entier – a l’habitude de déroger aux règles au nom du relativisme et du mondialisme. Dès lors, on peut s’attendre à tout et surtout au contre-nature, à l’impensable, à l’inimaginable…
Découvrez l’éditorial de Philippe Maxence en cliquant ici : L’Europe c’est Notre-Dame de Paris.