Il est interdit de se rassembler dans les églises mais possible de déclarer des messes en plein air

Publié le 09 Nov 2020
Il est interdit de se rassembler dans les églises mais possible de déclarer des messes en plein air L'Homme Nouveau

Le Conseil d’État, saisi par plusieurs évêques, associations et abbayes, a rendu sa décision relative à l’exercice du culte le 7 novembre dernier. S’il a apporté quelques précisions supplémentaires, le Conseil d’État n’est pas revenu sur le décret du 29 octobre qui restreint très largement le culte public pour raisons sanitaires. Un groupe de juristes a examiné ce texte et propose plusieurs pistes pour assister à la messe sans contrevenir à la loi. 

Le décret 2020-1310 du 29 octobre 2020 interdit « tout rassemblement ou réunion » au sein des établissements de culte, « à l’exception des cérémonies funéraires dans la limite de 30 personnes » (art. 47, I). En revanche, le décret laisse la possibilité d’exercer le culte en plein-air. 

En effet, l’art. 3, I du décret dispose que « Tout rassemblement, réunion ou activité sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public, qui n’est pas interdit par le présent décret, est organisé dans des conditions de nature à permettre le respect des dispositions de l’article 1er » (c’est-à-dire la distanciation physique d’au moins 1 mètre entre 2 personnes et le port du masque dans les villes où il est prescrit). 

Or, rien dans le décret n’interdit le culte. Seuls sont interdits, les rassemblements et réunions au sein des édifices du culte (établissements recevant du public relevant de la catégorie V, autorisés à demeurer ouverts). Dès lors, il est possible de déclarer, dans le strict respect des mesures d’hygiène imposées, une manifestation du culte sur la « voie publique ». La voie publique peut viser :
– les places publiques.
– les jardins publics : le principe de laïcité ne devrait pas être ici un obstacle[1], et un jardin public peut être assimilé à une « voie publique »[2].
– les parvis d’église (à condition qu’ils ne soient pas inclus dans les « lieux recevant du public », ce qui pourrait être le cas de ceux qui sont isolés de la voie publique par des barrières, ou considérés comme une dépendance de l’édifice cultuel).

L’article 3, II, du décret indique la marche à suivre :  » Les organisateurs des manifestations sur la voie publique mentionnées à l’article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure[3] adressent au préfet de département sur le territoire duquel la manifestation doit avoir lieu, sans préjudice des autres formalités applicables [il faut donc en plus déclarer la manifestation au maire dans les communes où n’est pas instituée la police d’État], une déclaration contenant les mentions prévues à l’article L. 211-2 du même code, en y précisant, en outre, les mesures qu’ils mettent en œuvre afin de garantir le respect des dispositions de l’article 1er du présent décret ».

La déclaration est à faire au minimum 3 jours francs avant la date choisie (le mercredi pour le dimanche, mais si possible 10 jours avant pour pouvoir réagir à une éventuelle interdiction). 

Elle comporte « les noms, prénoms et domiciles des organisateurs et est signée par trois d’entre eux faisant élection de domicile dans le département ; elle indique le but de la manifestation, le lieu, la date et l’heure du rassemblement des groupements invités à y prendre part » (L. 211-2 du code de la sécurité intérieure). 

Vous trouverez en fin de note un modèle de déclaration à remplir et compléter.

En quoi consistent les « manifestations sur la voie publique » ?

En lui-même, l’article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure vise très largement « tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d’une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique ». Cependant, ce texte est souvent désigné comme visant les « manifestations revendicatives » et, d’ailleurs, Jean Castex dans sa conférence de presse du 29 octobre (sur l’application des mesures contre la Covid-19) indique que « tous les rassemblements sont interdits sur la voie publique, à l’exception des manifestations revendicatives déclarées auprès de la préfecture » (https://www.gouvernement.fr/partage/11838-conference-de-presse-sur-l-application-des-mesures-contre-la-covid-19). 

Un tel discours ne suffit pas à limiter l’article L. 211-1 aux manifestations revendicatives mais il peut être envisagé, pour « assurer le coup », de déclarer une telle « manifestation revendicative », c’est-à-dire une manifestation de défense de la liberté de culte, à l’occasion de laquelle une Messe pourrait être célébrée. On peut alors prévoir quelques pancartes ou une banderole exprimant la revendication, et pour le reste la manifestation peut parfaitement être silencieuse, recueillie et priante.

Une fois la manifestation (revendicative ou non) sur la voie publique déclarée, la préfecture délivre un récépissé de déclaration. À compter de ce jour, elle peut :

  • soit interdire la manifestation (par un arrêté notifié immédiatement aux signataires de la déclaration) pour des motifs d’ordre public (y compris sanitaire). Il est alors possible de contester ce refus en justice mais, pour éviter l’interdiction, il conviendra de prévoir précisément les moyens de respecter très strictement les « mesures barrières » (voir suggestions sur le modèle de déclaration), et de choisir avec discernement les lieux où se dérouleront les messes en plein air afin d’éviter que des « opposants » ne viennent en troubler l’organisation (ce qui fournirait ensuite un motif aux autorités pour interdire les messes suivantes). Il est déconseillé d’organiser de grands évènements : il vaut mieux privilégier des manifestations modestes, en évitant les lieux assimilés aux manifestations au sens propre du terme pour privilégier des lieux neutres, qui ne donnent pas l’idée aux professionnels de l’agitation publique de se mobiliser. Le but n’est pas de manifester au sens premier du terme, mais d’assister à la Messe, c’est tout. 
  • soit ne rien dire, et la manifestation peut alors se tenir en toute légalité. Reste alors la question de l’attestation pour se rendre à la manifestation. 

Quelle attestation ? 

Le décret prévoit dans son article 4 – I que « Tout déplacement de personne hors de son lieu de résidence est interdit à l’exception des déplacements pour les motifs suivants » [ceux qui figurent sur les attestations que nous connaissons]. 

Le fait de se rendre à une manifestation déclarée ne figure pas dans la liste des déplacements autorisés, alors même que l’article 3 II prévoit explicitement la possibilité de telles manifestations. 

Le décret comporte donc une contradiction interne en posant explicitement la possibilité de déclarer une manifestation sans prévoir la possibilité de s’y rendre. 

Suggestions : 

  • Pour ceux qui sont dans le kilomètre autour du lieu de la messe, le motif « activité physique » devrait fonctionner.
  • Pour tous, il est possible de rédiger soi-même son attestation en incluant le fait de se rendre à une manifestation déclarée : une telle manifestation étant prévue par le décret, il est conforme au décret de pouvoir s’y rendre même si ce n’est pas dit explicitement.

Un modèle d’attestation est fourni à la fin de ce document. 

Autres pistes…

Rien n’interdit que les prêtres disent leur Messe dans leur église aux heures habituelles.
Comme les églises sont ouvertes, les fidèles peuvent venir, sans y être invités.

Quelle attestation faut-il produire pour un déplacement dérogatoire visant à visiter un lieu de culte ? 

Le Conseil d’État, dans sa décision du 7 novembre 2020, précise que les personnes autres que les ministres du culte et les personnes qui peuvent être regardées comme relevant de leur personnel « peuvent aussi se rendre dans ces établissements à l’occasion de l’un quelconque de leurs déplacements autorisés hors de leur domicile, sans se munir d’un autre justificatif, pour y exercer, à titre individuel, le culte en évitant tout regroupement avec des personnes ne partageant pas leur domicile. Il résulte, par ailleurs, des déclarations faites lors de l’audience par l’administration, que des instructions ont été données pour que les fidèles puissent se déplacer dans le lieu de culte le plus proche de leur domicile ou situé dans un périmètre raisonnable autour de celui-ci en cochant, en l’état du modèle-type de justificatif qui gagnerait à être explicité, la case « motif familial impérieux ».

On peut donc cocher la case « motif familial impérieux ». 

Cependant, il est possible aussi de compléter le modèle-type en indiquant « visite d’un établissement de culte » (voir le modèle d’attestation à la fin de ce document) dès lors que ce déplacement est expressément autorisé par le Conseil d’État. 

Remarque 1. Quid de l’intrusion de la police dans un lieu de culte ? Seul un (risque de) trouble effectif à l’ordre public justifierait une telle intrusion. Mais l’ordre public sanitaire va tellement loin aujourd’hui que l’on peut imaginer une irruption des forces de police dans l’église qui pourrait être jugée légale par le juge administratif.

Encore faudrait-il qu’il y ait un trouble à l’ordre public (sanitaire) : il est raisonnable de considérer que des personnes espacées, avec leurs masques, priant (même si le prêtre célèbre sa Messe pendant ce temps-là) ne constituent pas un trouble à l’ordre public sanitaire. Mais sans garantie vue l’incertitude. 

Remarque 2. Le Conseil d’État précise que « les ministres du culte peuvent continuer à recevoir individuellement les fidèles dans les établissements précités [lieux de culte] et à se rendre, au titre de leur activité professionnelle, au domicile de ceux-ci ou dans les établissements dont ils sont aumôniers ». Ils peuvent donc aussi y célébrer les sacrements.

Remarque 3. Le Conseil d’État statue en considérant que les dispositions contestées s’appliquent jusqu’au 16 novembre 2020. Il précise, toutefois, qu’une prorogation de l’état d’urgence sanitaire implique une concertation avec les représentants des principaux cultes sur l’éventuelle prolongation des mesures. 

Étant donné que l’état d’urgence a en effet été prorogé jusqu’en février 2020, une concertation devrait avoir lieu entre le gouvernement et les représentants des cultes. A suivre. 

 


[1] Le principe de laïcité ne s’applique pas dans l’espace public : cf. affaires du « burkini » (JRCE, 26 août 2016, n° 402742). Ou plutôt, il ne s’applique pas aux usagers des voies publiques, plus largement de l’espace public, qui peuvent y exprimer leur religion. Ils peuvent d’ailleurs aussi le faire dans des bâtiments et services publics, à l’exception des écoles, collèges et lycées publics.

[2] Cf. décision n° 366483 du 9 avril 2014, Domaine national de Chambord : une place réservée à la circulation des piétons relève bien des « voies de communication à l’intérieur des agglomérations » mentionnées à l’article L. 2213-1 du CGCT et constitue une « voie publique » ou, à tout le moins, un « lieu public » au sens de l’article L. 2213-6 du même code.

[3] Article L. 211-1 du Code de la sécurité intérieure : « Sont soumis à l’obligation d’une déclaration préalable tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d’une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique.
Toutefois, sont dispensées de cette déclaration les sorties sur la voie publique conformes aux usages locaux.
Les réunions publiques sont régies par les dispositions de l’article 6 de la loi du 30 juin 1881 »

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