Introit : Invocabit me (premier dimanche de Carême)

Publié le 13 Fév 2016
Introit : Invocabit me (premier dimanche de Carême) L'Homme Nouveau

« Il m’invoquera et moi je l’exaucerai ; je le délivrerai et je le glorifierai ; je le rassasierai de longs jours. Celui qui habite à l’abri du Très-Haut se reposera sous la protection du Dieu du ciel. » (Psaume 90, 15-16, 1)

Commentaire spirituel

Nous sommes habitués depuis longtemps à commencer le Carême le jour du mercredi des cendres. Pourtant, le début officiel de cette longue période, au plan liturgique au moins, était bien le premier dimanche de Carême. La liturgie de ce dimanche apparaît d’ailleurs encore nettement comme une introduction au Carême. Or le choix de l’Église pour ce chant d’entrée qui inaugure la liturgie du Carême est tout à fait remarquable. Au lieu de nous inviter d’emblée à la pénitence, comme on aurait pu s’y attendre, l’Église préfère fixer les yeux de notre âme sur une promesse qu’on pourrait appeler la promesse de l’intimité divine. Cet introït est un échange d’amour qui commence dans la prière de demande, une prière qui provoque une accumulation d’interventions de la part de Dieu en faveur de son élu. Qu’est-ce que cela veut dire à cet endroit précis de l’année liturgique ? Il ne faut pas oublier que l’année liturgique, c’est précisément et d’abord la vie du Christ qui se déroule en raccourci. Cet introït, au fond, c’est donc d’abord le Christ qui le prononce et le chante. Il est emprunté au psaume 90 (ou 91 selon l’hébreu), comme d’ailleurs tous les autres chants de cette messe du premier dimanche de Carême sans exception. C’est ce psaume qui est cité par le diable lui-même lors de la tentation au désert dans l’Évangile de saint Matthieu au chapitre 3 : « Alors le diable le prend avec lui dans la Ville Sainte, et il le plaça sur le pinacle du Temple et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : “Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et sur leurs mains ils te porteront, de peur que tu ne heurtes du pied quelque pierre.” » On dirait que l’Église, dans son amour, voudrait comme exorciser ce psaume que l’usurpateur démoniaque a osé profaner. Alors elle le chante à tout bout de champs, et même en entier tout au long du trait de ce dimanche.

Il s’agit donc du Christ, de son combat et de la promesse de son Père, pleine d’amour. Nous pouvons faire la composition de lieu et de temps et retourner au désert, en compagnie de Jésus, avant même la tentation que le démon va lui faire subir. Là, nous sommes plongés dans l’intimité des 40 jours de la prière de Jésus, de ce long échange d’où va jaillir toute la vie publique. Nous contemplons la grâce divine qui envahit l’être du Sauveur et qui va lui permettre d’opérer à son tour l’ouvrage de la rédemption. Au moment d’entrer nous mêmes dans la sainte quarantaine, nous sommes surtout invités à approfondir notre vie de prière et la qualité de notre relation avec Dieu. C’est cette qualité qui nous donnera la force pour le combat spirituel, pour résister aux tentations. Quant au jeûne et à l’esprit de renoncement, il se mesure aussi à cette qualité de notre amour pour Dieu. Le jeûne devient l’indice de notre préférence pour Dieu, comme l’aumône en effet la conséquence, la preuve que nous vivons bien de cet amour et de cette préférence. On le voit donc, le succès de cette carrière de pénitence qui s’ouvre devant nous, découle de ce regard paternel, tendre et puissant, qui se pose sur le Fils bien aimé, tel que nous le chantons dans l’introït de ce premier dimanche de Carême. Cet introït, comme le psaume 90, réduit à une seule nos attitudes spirituelles durant ce saint temps : la confiance, rendue par un seul verbe : invocabit me. C’est une confiance pleine d’amour qui monte vers le ciel, chargée de nos renoncements, de nos offrandes, mais fondamentalement, c’est un acte de confiance. Par contre, l’action divine, elle, est rendue par toute une série de verbes : exaudiam (j’écouterai), eripiam (je délivrerai), glorificabo (je glorifierai), adimplebo (je rassasierai). Il y a une progression merveilleuse dans ces quatre verbes qui décrivent les flots de la tendresse divine. Dieu écoute notre prière, toujours, ensuite, il nous délivre du mal, puis il nous donne le bien, son bien, sa gloire, et enfin il met le comble à son amour en nous octroyant le don de l’immortalité, la longueur des jours, durant lesquels il ne cessera de nous rassasier, de nous combler. C’est bien la vie éternelle qui nous est promise ici. Comme Jésus, mais avec Jésus, nous devrons passer par la souffrance, la croix et la mort, pour atteindre le bonheur sans fin. Nous devons réparer, expier ce péché qui a offensé le Seigneur. Mais la pénitence qui va nous préparer à célébrer le mystère pascal est toute baignée de la clarté initiale de la liturgie de ce dimanche, pleine de confiance et d’amour.

Commentaire musical

Invocabit me

Cet introït est emprunté au 8ème mode, un mode de plénitude qui convient parfaitement à la personne du Père. C’est lui qui s’adresse à son Fils, et par lui à nous tous, et sa parole est revêtue d’une autorité, d’une plénitude qui s’accommode au mieux des accents du 8ème mode. En même temps, le ton de cet introït est paisible, aimable. Le texte, plein de promesses et de bienveillance suggère une interprétation plutôt douce et légère que puissante. Il y a donc des nuances à apporter dans ce premier chant de la liturgie quadragésimale qui donne le ton à toute la sainte quarantaine.

L’introït est en outre très équilibré dans sa structure textuelle et mélodique. Trois phrases le constituent, qui ont la double particularité de rimer entre elles (elles se finissent toutes les trois par le même mot eum) et de comporter exactement le même nombre de syllabes (14). Cela donne une impression de parfaite homogénéité que la mélodie souligne à sa manière, de façon originale et sans esprit de système. Le eum final de la première phrase et celui de la deuxième phrase sont traités de façon analogue avec les mêmes neumes, mais pas tout à fait les mêmes intervalles. Le premier eum de la deuxième phrase et celui de la troisième phrase sont absolument identiques. Eum est donc répété quatre fois. C’est un mot important car par lui est mentionné le destinataire de l’amour divin exprimé dans les quatre verbes : le Christ, Fils bien-aimé, et au-delà tous les chrétiens, objets de cette bienveillance inépuisable. Il faudra donc chanter ces eum avec complaisance. Ils rythment ce chant et lui confèrent cette note de douce certitude et de joie, de confiance qui émane du texte et de la mélodie. Le tempo sera léger, ce qui n’empêchera pas une certaine ampleur notamment sur les verbes qui sont revêtus d’une belle fermeté. Au fond, tous ces verbes sont au futur mais on ressent déjà l’effet de la promesse qu’ils contiennent.

La première phrase commence dans la clarté de la tonalité de Sol. Le premier intervalle Sol-Fa doit bien sonner d’emblée, avant l’intervalle de quarte Sol-Do, très ferme, sur l’accent du premier verbe, invocabit, le seul qui caractérise le bénéficiaire des grâces divines. En même temps, c’est Dieu qui parle et qui donne à cette parole l’efficacité qu’il veut y mettre lui-même. Donc autorité et certitude, dès le début. La mélodie va ensuite se déployer dans la quarte Sol-Do, sur tout le reste de la phrase, mais avec élan toutefois, malgré cet ambitus restreint. On peut noter le bel envol, en crescendo, de ego qui va fixer la mélodie sur le Do, dominante du 8ème mode, et le bel accent de exaudiam, vivant et ferme, souligné avec beaucoup de complaisance par la longue qui exprime bien l’intention divine de bénir et d’exaucer celui qui invoque le Seigneur. Cette complaisance est renforcée encore par la belle courbe descendante puis remontante de la finale de exaudiam, qu’on devra laisser un peu planer au sommet. Dieu se penche et relève sa créature bien-aimée, pour la fixer dans son amour. Le mot eum, très simple, ramène la mélodie sur une cadence en Sol.

La deuxième phrase commence un peu dans la même atmosphère sur eripiam, avec le même intervalle de quarte Sol-Do. Mais c’est surtout le verbe glorificabo qui mérite d’être bien souligné. Il faut le préparer par un élan très net sur le début du membre (et glo-), puis monter d’abord jusqu’au Do, et enfin, au terme d’un très bel élan, jusqu’au Mi supérieur. C’est le sommet de la pièce. La finale de glorificabo est plus douce et elle introduit le eum qui lui aussi, comme son homologue de la première phrase est très simple. Sauf que cette fois, la mélodie se pose sur le La et non sur le Sol, donc en premier mode, le mode de la paix, si bien venu ici. C’est la seule exception modale dans cet introït très unifié par ailleurs dans ce domaine.

La troisième phrase redevient plus simple, moins chargée de neumes. On peut noter là encore la belle expression de la note longue sur la finale de longitudine qui marque bien justement la longueur des jours que Dieu réserve à ses amis. Il y en a pour l’éternité. La pièce se termine ans une douce certitude, bien signifiée par la plongée au grave du dernier verbe adimplebo. Tous les verbes sont expressifs, tous les eum sont simples, humbles, légers. C’est un introït merveilleux.

Pour écouter cet introit :

Invocabit

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