5 questions pour un état des lieux à l’occasion de la Journée Mondiale du scoutisme

Publié le 22 Fév 2023
scoutisme

Nous les croisons durant l’été sur les bords des routes ou au cœur de villages perdus pendant les vacances. La patrouille des castors les a popularisés par la saga en bande dessinée de MiTacq et Charlier. Les scouts détonnent encore et toujours. Focus sur cette pédagogie singulière à l’occasion de la journée mondiale du scoutisme. Entretien avec Christophe Carichon(1), historien du scoutisme.

 

Lorsque Baden Powell eut l’intuition de la pédagogie scoute, s’attendait-il à un tel engouement ?

Sans doute non. Héros de la Guerre des Boers en Afrique du Sud, cet officier de cavalerie à la personnalité atypique eut le génie de proposer aux enfants de son temps un idéal, celui du « citoyen utile à son pays » sous la forme d’une « nouvelle chevalerie ». L’uniforme, la loi, la devise (Be prepared / Etre prêt) sont de son fait.

Très vite, grâce aussi à la publication de son ouvrage Scouting for Boys (Eclaireurs) en 1908, le scoutisme s’est diffusé au Royaume Uni et dans le monde entier. Le regroupement en patrouille sous le commandement d’un aîné de 15-16 ans, les épreuves à passer, les camps sous la tente, les veillées près du feu, le grand chapeau, les culottes ont enchanté les garçons.

Puis sont arrivés les guides (filles de 12 à 16 ans), les louveteaux (garçonnets de 7 à 12 ans), les routiers (au-delà de 17 ans) etc. Des millions de jeunes ont depuis prononcé leur promesse.

Le père Jacques Sevin fut un artisan essentiel d’un scoutisme « catholique et à la française ». Quels furent ses apports complémentaires aux travaux de Baden Powell ? A-t-il rencontré des obstacles avec sa hiérarchie ?

Le Révérend Père Jacques Sevin (1882-1951), jésuite de son état, n’est pas le seul fondateur du scoutisme catholique mais il en est sans aucun doute la figure la plus emblématique. Il connaissait Baden-Powell qu’il avait rencontré à Londres. Diplômé du camp de Gilwell (section scoutisme et louvetisme), il porte le titre de Deputy camp chief (DCC) qui l’autorise à diriger lui-même des camps de formation.

Le scoutisme catholique francophone lui doit presque tout : la notion de camp école inventée à Chamarande, les règlements, les textes fondateurs (loi, principes, promesse, prière scoute), les insignes (la croix potencée), des chants, des livres, des réflexions. Il a théorisé, baptisé, catholicisé, défendu le scoutisme catholique. Il est le « maître à penser du scoutisme catholique » jusqu’à son éviction des Scouts de France en 1933 pour des raisons qu’il serait trop long de développer ici.

Oublié jusqu’au années 1960, le père Sevin est redécouvert au moment de la crise qui voit l’éclatement du scoutisme catholique en France. Sa pensée et ses écrits sont alors largement réutilisés par les tenants du scoutisme à pédagogie traditionnelle.

La jeunesse d’aujourd’hui est différente de celle du siècle dernier. Quels sont, selon vous, les atouts majeurs que le scoutisme est en mesure d’offrir aux jeunes en 2023 ?

Exactement les mêmes qu’en 1907 (fondation du scoutisme) et en 1920 (création des Scouts de France) : le développement du caractère, le développement du corps et la santé, l’habileté manuelle, la connaissance et le service du prochain, la connaissance de Dieu et de l’Eglise. Ce sont les « 5 buts » du scoutisme.

En terme numérique, comment se portent les différents mouvements scouts en France (scouts de France, scouts d’Europe, scouts unitaires de France, éclaireurs neutres de France…) ?

Numériquement, depuis quelques années, les effectifs sont repartis à la hausse. Les trois grands mouvements de scoutisme catholique alignent environ 150 000 adhérents (88 000 Scouts et guides de France ; 33 000 Guides et scouts d’Europe, 33 000 Scouts unitaires de France) auxquels il faut ajouter quelques milliers d’enfants et d’adolescents de petits mouvements scouts traditionnels (Europa Scouts, Scouts de Doran, Scouts de Riaumont par exemple).

Les mouvements laïcs ou d’autres confessions (protestants, israélites, musulmans, bouddhistes) ne dépassent guère 35 000 adhérents (pour un ratio adultes enfants/ adolescents très favorable) selon les années et des chiffres difficilement contestables depuis l’informatisation des données. Enfin, les chiffres sont une chose et la qualité du scoutisme pratiqué dans les unités en est une autre. Cela dépend de la pédagogie mise en œuvre et de la formation des chefs.

Quels sont, selon vous, les défis présents à la pratique d’un scoutisme authentique ? Est-ce possible dans le contexte sociétal actuel, remettant en cause l’autorité, la hiérarchie, la non mixité, la discipline, l’uniforme… de vivre un véritable scoutisme traditionnel ?

Je crois que le scoutisme a encore toute sa place en 2023 pour les jeunes et les parents qui croient à cette pédagogie originale. Le scoutisme a résisté à toutes les vicissitudes du siècle : crises économiques, guerres mondiales, révolutions sociales et morales, scissions.

Par principe, tous les mouvements scouts catholiques sont librement attachés à l’autorité tempérée par la subsidiarité, à l’uniforme, au foulard, aux insignes, à la vie dans la nature lors des sorties, des WE et des camps même si pour certains mouvements, le système des patrouilles et la science des bois sont des souvenirs d’outre-tombe.

Les défis qui se posent donc aux chefs et aux responsables d’aujourd’hui sont tout autant de maintenir la flamme du scoutisme authentique des fondateurs que de l’adapter aux jeunes de notre temps et de rester ancrés dans le réel. Un autre défi est également celui de l’ouverture aux autres, l’apostolat, sans perdre pour autant son identité catholique et sans se renier.

On a pu critiquer souvent les Scouts de France réformés pour leur « ouverture » à outrance. Tout aussi dommageables me semblent être ces troupes de centre-ville des mouvements de scoutisme traditionnel qui cultivent l’entre-soi et la reproduction sociale entre familles de la bonne société CSP +. Le scoutisme est école de simplicité, non de mondanité ou de lutte sociétale.

 

(1) Christophe Carichon est l’auteur de différents ouvrages sur le scoutisme : Grandes figures du scoutisme, Hier et aujourd’hui, Le scoutisme toujours vivant, éditions Artège ; Scouts et guides en Bretagne, éditions Yoran Embanner ; Agnès de Nanteuil, une vie offerte, éditions Artège.

 

A lire également : Plateforme « Recrute un chef » : un accès à l’entreprise grâce au scoutisme

Propos recueillis par le Père Danziec +

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