La pause liturgie | Alleluia Domine Deus meus (8e dimanche ordinaire, 2e dimanche après la Pentecote)

Publié le 26 Fév 2022
La pause liturgie | Alleluia Domine Deus meus (8e dimanche ordinaire

Alléluia ! Seigneur mon Dieu, c’est en toi que j’espère. Sauve-moi de tous ceux qui me persécutent et délivre-moi. (Psaume 7, 2)

Thèmes spirituels : l’espérance théologale, la prière de libération

Le texte de cet alléluia, emprunté au psaume 7, contient deux vérités essentielles de notre vie chrétienne : la première concerne la vertu d’espérance qui consiste à mettre en Dieu seul son abri et sa confiance ; la deuxième, liée étroitement à la précédente, concerne la prière de demande : que peut-on, que doit-on demander au Seigneur ?

L’espérance est une vertu théologale, c’est à dire une vertu qui vise Dieu, qui atteint Dieu. Elle est la vertu qui nous fait nous appuyer sur la fidélité de Dieu, pour en attendre quelque chose, et ce quelque chose, c’est Dieu lui-même, d’abord. Nous sommes faits pour Dieu, nous n’avons pas d’autre fin que Dieu ; dès lors, nous attendons Dieu de la fidélité de Dieu, qui s’est promis à nous. Car de nous-mêmes, nous ne pouvons rien, dans un ordre qui dépasse radicalement les forces de la nature humaine. Nous sommes devant Dieu des mendiants, assoiffés de bonheur, affamés d’éternité, et totalement impuissants pour nous procurer le bien pour lequel nous sommes faits. Voilà la réalité surnaturelle de l’espérance.

Mais l’espérance, c’est aussi une réalité temporelle, naturelle, un sentiment de l’âme qu’il vaut mieux appeler espoir, justement pour ne pas le confondre avec l’espérance théologale. Nous disons couramment : « l’espoir fait vivre ». Nous le disons malheureusement d’une manière ironique et un peu désabusée, alors qu’en fait rien n’est plus vrai. C’est la petite espérance qui fait marcher le monde. C’est vrai aussi de l’espoir. Il est difficile d’imaginer une vie sans espoir. Là où il n’y a pas ou plus d’espoir, il n’y a pas ou plus de vie, c’est la mort. Pour en arriver là, il faut vraiment que la nature ait eu à souffrir, car elle possède de façon très forte l’instinct de conservation, qui lui vient concrètement de l’espoir, cet espoir qui embellit et dynamise nos journées, même si parfois, cela ne vole pas très haut.

Ce qui caractérise l’espoir, c’est la recherche d’un bien absent, difficile, mais possible à acquérir. L’espoir est un élan, c’est la ferveur, le bouillonnement de la vie, et c’est pourquoi il va bien à la jeunesse, devant laquelle tous les chemins restent ouverts. Car, à mesure que l’on avance dans la vie, les innombrables circonstances font que nos horizons humains se rétrécissent. Il faut bien choisir un jour et prendre telle route, et donc laisser les autres, constamment, et cela jusqu’à la fin, et de plus en plus. En sorte que l’espoir commence à se limiter, sans parler des échecs que nous subissons et des déceptions parfois bien cruelles qu’ils engendrent. La tentation, alors, c’est le découragement, voire le désespoir, ou la dépression, qui guettent, dans notre société; ceux ou celles qui passent sur le versant descendant de leur existence humaine, la crise de milieu de vie. Progressivement, on sent qu’il y a de moins en moins d’espoir. C’est alors que l’espérance se différencie nettement de l’espoir, et peut et doit venir prendre le relais de celui-ci. Le rôle de l’espérance est de purifier nos espoirs humains, ou de les relever en les orientant vers quelque chose de beaucoup plus grand, qui est Dieu lui-même.

Ce qui ne veut pas dire, loin de là, que l’espérance doive être la vertu des seules personnes âgées, de celles qui ont vécu. Au contraire, l’espérance nous est donnée au baptême, car il est très important d’être soulevé très tôt par l’espérance théologale. Cette espérance, c’est notre étoile, notre phare, ou encore, pour reprendre une image biblique, l’ancre à laquelle le frêle esquif de notre existence est solidement amarré. Il ne faut pas attendre de ne plus avoir d’élan humain pour prendre l’ élan surhumain qui est celui de l’espérance théologale. Si l’on regarde bien dans le cœur de l’homme, on découvre qu’il y a inscrit en lui très profondément le désir, l’espoir d’un bonheur éternel, cette nostalgie de l’éternité que Dieu a semée dans notre âme, et dont tous les petits ou les grands espoirs de la vie sont comme l’expression. L’espérance vient nourrir cette petite flamme. La vie humaine s’en va à la rencontre d’un terme qui n’a pas été fixé par l’homme lui-même, mais par le Dieu d’amour qui l’appelle à venir se jeter en lui, et qui lui offre, précisément par l’espérance, l’élan nécessaire qui viendra, d’étape en étape, secourir son impuissance. Car l’objet ultime de l’espérance est un bien difficile. Avec nos seules forces, il est même impossible. Il nous faut donc les forces de Dieu, le désir même de Dieu, pour que notre espérance ne soit pas vaine. Et si l’objet de notre espérance est difficile à atteindre, c’est précisément pour nous faire grandir, et nous élever jusqu’à Dieu. Par l’espérance, nous allons à sa rencontre, nous allons combler l’espace infini qui nous sépare de lui, brûler cet immense glacis. L’espérance nous fait atteindre Dieu avec les forces de Dieu. C’est Dieu qui donne et c’est Dieu qui se donne.

Alors on a répondu à la deuxième question : qu’espérer de Dieu, que demander à Dieu ? Dieu est le premier bien que convoite notre espérance, et en un sens, le seul. Tous les autres biens qui nous attendent dans l’au-delà lui sont subordonnés. Mais notre espérance les appelle aussi, ces autres biens. Nous attendons le bonheur, c’est-à-dire l’épanouissement plénier de notre être, une harmonie parfaite, un bonheur qui ne sera plus intermittent ni tempéré comme ici-bas. Et puisque nous vivons dans un contexte de lutte contre les forces du mal, en nous et autour de nous, l’espérance nous fait aussi demander la délivrance de nos ennemis, et c’est ce qu’indique le texte de notre alléluia. Le livre de l’Apocalypse nous décrit le bonheur du ciel aussi de façon négative, et c’est très parlant pour nous. « Ils seront son peuple, et lui, Dieu avec eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux : de mort, il n’y en aura plus ; de pleurs, de cris et de peines, il n’y en aura plus, car l’ancien monde s’en est allé ». (Apocalypse, 21, 4)

Le thème de la Jérusalem céleste est cher aux moines, parce que le monastère lui-même est conçu, matériellement et spirituellement, comme une petite réplique, une humble ébauche de la Cité Sainte. La vie monastique se veut être, autant que cela est possible ici-bas, et malgré les travers qu’occasionne la nature humaine, blessée par le péché, une anticipation de la vie éternelle. Et donc l’espérance joue un grand rôle dans la vie monastique. On peut dire qu’elle comble le vide, l’écart qui demeure entre l’idéal entrevu dans la foi, et la réalité bien modeste de notre amour. Ce que l’on n’a pas, on l’espère. Par ailleurs, la vie monastique joue son rôle dans l’Église, en présentant aux yeux du monde un modèle de société organisée en vue de l’obtention de la vie éternelle. Plus que jamais le monde a besoin de l’espérance de l’Église. Il faut pour cela que nous soyons des âmes d’espérance. Nous vivons aujourd’hui au milieu de gens qui ont complètement perdu le sens de la transcendance divine, et qui sont comme immergés dans un matérialisme farouche qui tue le désir spirituel, et a fortiori le désir surnaturel. On ne pense plus ni à la mort, ni à l’enfer, ni au paradis, à ces fins dernières de l’homme qui sont pourtant l’échéance de toute vie humaine. La société cherche à s’étourdir dans un plaisir sans espérance. Et les hommes et les femmes de notre temps épuisent tous leurs espoirs dans la quête de ce plaisir qui leur glisse entre les doigts, comme le temps lui-même. Au fond, et on le voit bien quand on y regarde de plus près, notre société est désespérée. Ceux qui jouissent le font trop souvent, et sans scrupule, au détriment des autres. Et ceux qui subissent les conséquences des jouissances des autres, n’ont plus de références assez solides, spirituelles ou surnaturelles, pour porter leur souffrance et garder même un peu d’espoir. L’espérance est un trésor que nous n’avons pas le droit de garder pour nous. Le monde en est assoiffé, sans même le savoir, sans même le vouloir. Pourtant je suis sûr qu’à la longue il ne pourra rester insensible au témoignage de notre espérance chrétienne. Cette espérance, nous devons en vivre vraiment, et la laisser rayonner dans notre existence, autour de nous. Elle doit se traduire notamment par notre joie spirituelle, qui témoigne, à travers les circonstances pénibles ou heureuses de notre vie, d’un amour qui nous habite, plus fort que la mort et que la laideur du mal. Elle doit se traduire par cette insouciance évangélique qui n’est pas mépris des réalités terrestres, mais confiance et abandon envers le Père céleste. Celui qui espère n’est pas un hurluberlu tombé de la lune et déconnecté d’avec la terre. C’est au contraire le vrai réaliste, celui qui prend la vie humaine dans sa totalité, englobant sa dimension éternelle. À cause de Dieu, il est sans inquiétude.

Je me souviens de la beauté surprenante mais profonde d’une strophe d’un cantique que nous chantions chez les scouts, le soir à la veillée : « Fais nous quitter l’existence, joyeux et pleins d’abandon, comme un scout après les vacances s’en retourne à la maison ». Après de bonnes vacances, après un camp, normalement, on pourrait croire qu’il est difficile de rentrer à la maison. Pourtant, c’est très profond, parce que cela veut dire qu’on éprouve quand même une joie à l’idée de retrouver, avec la rentrée et après la détente de nos loisirs, le sérieux et l’essentiel de la vie. La joie de nos vacances, la joie de notre camp se conjugue alors avec celle du retour à la maison. C’est une belle évocation de notre retour au Père, après les joies de la vie présente, qui n’étouffent pas le désir, l’espérance d’une joie plus pure et plus plénière.

Domine Deus meus Partition
Commentaire musical

Ce bel alléluia emprunte sa mélodie au 1er mode, le mode de la paix, de la confiance. Il est construit de façon assez remarquable : on peut noter d’abord qu’il évolue habituellement à l’intérieur de la quinte Ré-La, ne dépassant le La qu’à trois reprises. Or ces trois montées au-dessus du La sont absolument identiques au plan mélodique, en sorte qu’elles se dégagent très clairement de l’ensemble de la pièce et confèrent à la prière de supplication une structure trinitaire.

On a donc ce schéma : le jubilus de l’alléluia, grave et serein ; puis, l’appel lancé vers le Seigneur (Dómine Deus meus) dont la mélodie, au début du moins, est originale. À partir de in te sperávi, c’est la première montée mélodique suivie d’une descente (salvum me fac) qui s’achève sur la même cadence que celle de Dómine Deus meus. Une seconde montée mélodique (ex ómnibus) suivie de sa descente (persequéntibus me), reproduit presque à l’identique la formule précédente. Enfin, une troisième montée mélodique, identique aux deux autres assure la jonction du verset avec la reprise du jubilus de l’alléluia. Ces trois formules identiques qui s’élèvent au-dessus du La doivent être menées en crescendo, mais il faut remarquer quand même que la première est la seule qui commence sur un accent tonique (celui de sperávi). Les deux autres commencent sur des syllabes atones (ómnibus, líbera) donc de façon plus douce, ce qui n’empêche nullement le crescendo de jaillir ensuite.

La mélodie du jubilus est profonde et légère, bien appuyée en son début (notamment sur les Do, sous-tonique du mode de Ré), toujours très liée, surtout après la demi-barre où elle procède par degrés conjoints dans un mouvement descendant très paisible qu’on retrouvera plusieurs fois au cours de la pièce.

L’appel qui inaugure le verset est très touchant : il commence sur le La, à l’aigu, avec un bel accent au levé sur Dómine, puis descend humblement, comme pour inviter le Seigneur à se pencher sur le psalmiste et sur sa misère. Cette formule de Dómine est déjà pleine de confiance. Deus meus est très ferme, très paisible.

La première formule (in te sperávi) jaillit à partir du Ré, puis s’élève jusqu’au Ré aigu, à l’octave. C’est un beau cri qui traduit vraiment heureusement l’espérance théologale. La descente de salvum me fac, malgré la grande barre, doit être liée à ce qui précède. C’est le début de la prière de demande et même de supplication, mais dans un climat de grande douceur et sérénité. La mélodie remonte ensuite pour une deuxième formule élevée, plus instante, sur ex ómnibus, (le torculus épisémé et le porrectus, deux neumes ternaires, accentuent le caractère poignant de la prière qui tarde un peu plus à s’élever), puis redescend paisiblement, tout en évoquant les ennemis. Vient enfin la troisième montée, très forte, sur et líbera me qui représente le sommet intensif de toute la pièce.

Dom Baron remarque qu’il y a, dans cette pièce, un mélange de discrétion et d’audace, d’humilité et de ferveur, qui traduit très bien l’attitude de l’âme en face de Dieu, infiniment bon et infiniment grand.

Pour écouter cet Alleluia : ici.

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