La pause liturgie | Graduel Dominabitur (Solennité du Christ Roi)

Publié le 27 Nov 2021
La pause liturgie | Graduel Dominabitur (Solennité du Christ Roi) L'Homme Nouveau

« Il dominera d’une mer à l’autre, du fleuve jusqu’aux extrémités de la terre. Tous les rois de la terre l’adoreront, toutes les nations le serviront. » (Psaume 71, 8, 11)

Commentaire spirituel

Le graduel de la solennité du Christ-Roi est emprunté au psaume 71 (72 selon la version hébraïque), psaume royal qui convient si bien à cette occasion. Il s’agit en effet d’une prière composée pour un nouveau roi, sans doute pour son avènement et son accession au trône. Il décrit le roi idéal, plein de justice, de bonté, porteur de paix et de bonheur pour tout son peuple, invincible au combat contre ses adversaires, et reconnu par tous les rois de la terre comme leur Seigneur, immortel enfin puisque son règne n’aura pas de fin. Ce psaume est un des plus beaux joyaux de la littérature messianique, il nous fait rêver en nous parlant d’une réalité qui ne peut s’appliquer à la terre, il nous parle du ciel finalement, il nous parle du Christ et de son Royaume. À la fin du psaume, on sent que le roi ainsi chanté se confond presque avec Yahvé lui-même. Une seule et même gloire les enveloppe. Et la révélation du Fils de Dieu nous a montré qu’il en est bien ainsi. Jésus est Dieu, il reçoit sa royauté de son Père, il l’exerce afin de lui soumettre toutes choses.

« Avec justice il jugera le petit peuple, il sauvera les fils de pauvres, il écrasera leurs bourreaux. Il durera sous le soleil et la lune siècle après siècle ; il descendra comme la pluie sur le regain, comme la bruine mouillant la terre. En ses jours justice fleurira et grande paix jusqu’à la fin des lunes ; il dominera de la mer à la mer, du Fleuve jusqu’aux bouts de la terre. Devant lui se courbera la Bête, ses ennemis lécheront la poussière ; les rois de Tarsis et des îles rendront tribut. Les rois de Saba et de Seba feront offrande ; tous les rois se prosterneront devant lui, tous les païens le serviront. Car il délivre le pauvre qui appelle et le petit qui est sans aide ; compatissant au faible et au pauvre, il sauve l’âme des pauvres. De l’oppression, de la violence, il rachète leur âme, leur sang est précieux à ses yeux. On priera pour lui sans relâche, tout le jour, on le bénira. Foisonne le froment sur la terre, qu’il ondule au sommet des montagnes, comme le Liban quand il éveille ses fruits et ses fleurs, comme l’herbe de la terre ! Soit béni son nom à jamais, qu’il dure sous le soleil ! Bénies seront en lui toutes les races de la terre, que tous les païens le disent bienheureux ! Béni soit Yahvé, le Dieu d’Israël, qui seul a fait des merveilles ; béni soit à jamais son nom de gloire, toute la terre soit remplie de sa gloire ! Amen! Amen ! »

En lisant ce texte on comprend combien il convient si bien ici. Les deux versets retenus par le compositeur sont ceux qui expriment le mieux le caractère universel de la royauté du Messie. Dans le langage biblique et selon la géographie de l’époque, l’expression « d’une mer à l’autre » désigne le golfe persique et la mer rouge, c’est-à-dire tout le désert d’Arabie. Le fleuve mentionné, c’est l’Euphrate avec la plaine fertile de Mésopotamie, et les extrémités de la terre, ce sont les rivages de la méditerranée. Ces sont les limites idéales d’Israël dans l’ancienne alliance. Mais c’est bien petit, il faut le reconnaître et surtout bien sec pour le Roi de l’univers. L’Évangile a étendu le règne du Messie à toute la terre. Ce texte prend une valeur nouvelle quand il est appliqué au Christ. Il a même surtout une valeur spirituelle car ces expressions désignent en définitive le ciel lui-même qui n’est pas une donnée géographique, mais une réalité surnaturelle. L’avènement du Christ-Roi nous fera connaître pleinement l’étendue et la nature de ce royaume. La fête de l’Église, en cette fin d’année liturgique, tourne nos regards vers cette phase ultime de notre destinée. Les tristes réalités de l’actualité nous obligent, elles aussi, à regarder plus haut, plus loin, à exercer notre foi. Il semble que le règne du Christ ne soit effectivement pas pour la terre, il semble qu’elle n’en veuille plus. Mais comme dit saint Paul, il faut qu’il règne et il régnera. Il est déjà roi dans le cœur des saints, faisons en sorte qu’il soit roi dans nos cœurs. Œuvrons aussi pour qu’il soit roi dans notre société, dans nos mœurs, dans nos institutions, dans nos familles. Établir le règne du Christ dans toute sa vie et dans le monde qui l’entoure, c’est un principe de l’idéal scout, mais c’est d’abord l’idéal du chrétien. Nous savons que la paix dans le monde ne peut venir que d’en haut, que seul le Christ peut l’établir de façon durable malgré notre péché, mais que sans lui ce sera toujours et de plus en plus le chaos et la guerre, à tous les niveaux. Mère Teresa disait souvent que la paix, c’est d’abord avec notre prochain qu’il faut la mettre en œuvre si l’on veut espérer l’obtenir au niveau international. Oui, la paix ne peut pas exister si elle ne passe pas d’abord dans les cœurs. Au ciel, tous les cœurs seront pleins de paix et cette paix débordera, parce que sa source est infinie.

Commentaire musical

Dominabitur Partition 2

La mélodie de ce graduel du 5ème mode est calquée sur celle du graduel Omnes de l’Épiphanie. Et le choix est heureux car l’Épiphanie aussi est une fête du Christ-Roi, une fête initiale alors que la solennité du Christ-Roi est une fête finale, elle marque une plénitude. Ici et là, il est question de rois, mais le cortège des mages s’est amplifié à l’extrême. C’est un véritable pèlerinage qui se dirige vers l’unique vrai roi du ciel et de la terre. Le choix du mode est également très approprié pour nous faire chanter la joie de l’Église en ce jour. La mélodie de notre graduel est somptueuse et très enthousiaste. Elle évoque l’universalité du royaume de Jésus, elle oriente avec joie nos regards vers l’éternité bienheureuse. Ce royaume qui est décrit ici, c’est l’Église. L’Église se contemple elle même, si l’on peut dire, et son chant de triomphe exprime son allégresse à travers des rythmes larges et pleins de souffle et des sonorités éclatantes.

Ce graduel est très équilibré du point de vue de sa mélodie : deux phrases musicales se partagent le corps et deux phrases le verset. La première phrase est très puissante et très large. Le premier verbe, dominabitur, dit à lui seul l’objet de toute cette pièce. L’intonation doit être donnée de façon vigoureuse et très légère, en prenant bien soin de lier ce long mot et de ne pas en détacher aucune des syllabes. C’est d’emblée plein d’enthousiasme. On ralentit simplement à la fin du mot, juste avant d’arriver sur la première cadence en Sol, qui doit être très bien posée et ferme. Sur les mots suivants (a mari usque ad mare) qui sont fortement soulignés par une belle montée mélodique, on doit sentir, après un départ piano, comme une grande vague, large et enthousiaste qui nous soulève jusqu’au sommet dont les deux notes Ré et Mi doivent être arrondies et bénéficier de l’élargissement des notes longues qui les entourent. Bien poser la finale de usque, le petit monosyllabe ad et le dernier mot mare en une cadence très bien rythmée et assez large. Un grand souffle vient de passer sur toute cette première phrase qui exprime la souveraineté du Christ.

La deuxième phrase est plus légère. Elle part d’un sommet mélodique (sur et) et elle va descendre progressivement jusqu’à terminos avant de remonter sur orbis terrarum et se poser enfin sur la cadence en Fa qui conclut le corps du graduel dans l’atmosphère du 5ème mode. On doit donc manifester une légèreté de tempo sur tout le passage et a flumine. Les mots et les syllabes sont moins chargés de neumes, et il y a une sorte de simplicité joyeuse dans ce flux mélodique qui exprime la joie de l’Église contemplant les immenses frontières du royaume de son Époux, son domaine finalement et plus encore sa propre réalité, puisqu’elle est réellement le Royaume du Christ. On peut noter le passage syllabique de usque ad terminos, qui ne doit pas être précipité, au contraire, il faut lui donner une certaine solennité. C’est comme si on assistait, par un tempo plus large, à l’étendue du royaume jusqu’aux extrémités de la terre. L’union du texte et de la mélodie est très expressive et très heureuse, si l’on se souvient que notre graduel emprunte ses formules à celui de l’Épiphanie, donc sur un tout autre texte. Le mot orbis semble vouloir élargir encore la perspective avec son épisème initial et son ample mélodie. Même s’il y a bien quelque chose de majestueux dans ce passage, il ne faut pas trop en ralentir le tempo car la pièce est loin d’être finie, mais au contraire rester léger jusqu’au bout et ne ralentir qu’à l’extrême fin de terrarum, sur une cadence finale qu’on retrouvera précisément à la fin de la pièce. Mais ici, ce n’est pas la fin.

Le verset ne commence pas à l’aigu comme celui de l’Épiphanie, mais sur la corde même de la cadence du corps du graduel, c’est-à-dire le Fa. Le compositeur a obéi au texte de façon très heureuse. Ici, il est question d’un acte d’adoration, alors que dans le graduel de l’Épiphanie, on invite Jérusalem à se lever et à resplendir, c’est une vague immense de louange. Notre verset commence davantage dans l’humilité, avant de récupérer sur eum la mélodie de son modèle. La mélodie très longue, très belle, qui orne ce pronom qui désigne le Roi, est toute pleine de douceur et de legato, toute pleine d’amour et de ferveur avec sa répétition et ce beau balancement entre les groupes ternaires et les binaires. La troisième incise, quant à elle, s’envole d’une façon vraiment extraordinaire, en parcourant toutes les notes de l’octave jusqu’à l’admirable longue du sommet sur le Fa aigu. C’est un cri d’enthousiasme de l’épouse qui est comme ravie en extase par la contemplation de son bien-aimé. Pour bien mener ce jaillissement, il faut partir piano et avec grande légèreté, puis monter progressivement toujours avec vitesse et grand legato en même temps. Puis, à partir du double Do amorcer un grand crescendo qui permettra de cueillir avec douceur et fermeté le sommet.

Et puis on revient, après ce moment de louange éperdue, au thème initial de l’adoration. Tous les rois de la terre sont là, dans une attitude de soumission bien exprimée par la gravité et la largeur de la mélodie. Les neumes s’élargissent et descendent dans le grave de l’échelle mélodique. On croit voir l’inclination profonde des rois, dans un mouvement beaucoup plus large, au beau milieu d’une atmosphère générale très légère qui va reprendre ses droits joyeux dans un instant. Un grand legato doit régner sur tout ce passage, avec une chaleur vocale, une intensité toute de douceur.

Puis, on redémarre. On retrouve le tempo très léger et enthousiaste qui va nous mener rapidement vers le sommet de la dernière phrase sur gentes qui doit monter avec vivacité et en un nouveau crescendo bien vibrant, avant que la mélodie s’apaise définitivement à partir de servient, nous faisant retrouver le climat d’adoration qui n’enveloppe pas seulement les rois mais aussi tous leurs sujets, toutes les nations. La finale de cette pièce est classique en 5ème mode, mais elle s’adapte très bien ici à l’idée d’universalité qui résume tout le graduel. La méditation joyeuse de l’Église s’achève dans la paix limpide du mode de Fa. Le Roi pacifique est mentionné à nouveau par le petit pronom personnel ei qui permet à l’épouse de conclure en ayant les yeux fixés sur celui qu’elle aime.

Écouter ce graduel ici.

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