La pause liturgique : Asperges me (Rite d’aspersion)

Publié le 04 Nov 2022
Purifie-moi avec l’hysope, et je serai pur ; lave-moi et je serai blanc, plus que la neige.
(Psaume 50, 9)

 

Commentaire spirituel

Avant la messe solennelle du dimanche a lieu le rite de l’aspersion d’eau bénite. Ce rite remonte au IXème siècle et il avait à l’origine un caractère lustratif, c’est-à-dire qu’il était destiné à purifier l’assemblée avant que celle-ci ne célèbre la liturgie dominicale. Mais, progressivement, l’aspersion a également pris un caractère baptismal et pascal : elle rappelle aux chrétiens le sacrement du baptême qui était ordinairement conféré durant la vigile pascale. Comme le dimanche lui-même, le rite de l’aspersion qui inaugure la messe, nous ramène donc à la source du salut.

Ce rite empruntant son texte principal au psaume 50, psaume de la pénitence par excellence, a pris la forme liturgique d’un véritable introït, avec le chant d’une antienne (aspérges me) et d’un ou plusieurs versets suivis du Gloria et de la reprise de l’antienne. Après l’intonation de l’antienne par le célébrant, le chœur poursuit tandis que le célébrant parcourt l’assemblée et l’asperge.

Penchons-nous sur ce petit verset du psaume 50 :
« Purifie-moi avec l’hysope, et je serai pur ; lave-moi et je serai blanc, plus que la neige. »

On parle de purification, on parle d’hysope, on parle de blancheur et de neige, on parle surtout d’une action divine qui réalise en nous la pureté. Qu’est-ce à dire ?

Le contexte du psaume 50, nous le connaissons bien : le roi David a commis un adultère doublé d’un meurtre : deux péchés très graves qui ont offensé le Seigneur. Touché par la grâce du repentir, David a pris au sérieux ses actes répréhensibles, il les a révélés non seulement au Seigneur mais à tout le peuple, et il a fait pénitence pour demander pardon.

Écoutons Saint Augustin qui fut lui-même pécheur et qui parle du péché et de la vraie pénitence en connaissance de cause. Il nous montre que le péché de David est un avertissement pour nous :

« Que la chute des grands ne soit point un sujet de joie pour les petits, mais que les petits craignent en voyant tomber les grands. Tel est le but de cette histoire, c’est pour cela qu’elle est écrite, pour cela que l’Église fait souvent lire et souvent chanter ce psaume. Que les hommes qui ne sont point tombés l’écoutent, afin de ne point tomber, et ceux qui sont tombés, afin de se relever. Le crime d’un si grand saint n’est pas couvert du silence ; on le publie dans l’Église. »

Et plus loin, l’évêque d’Hippone en vient à évoquer ce verset mystérieux où l’on parle de la purification avec l’hysope :

« Nous savons que l’hysope est une herbe peu élevée, mais curative : on dit que sa racine s’attache à la pierre. De là vient qu’elle est choisie comme un symbole de la pureté du cœur. Toi aussi, embrasse la pierre, par la racine de l’amour : sois humble devant ton Dieu qui est humble, afin de t’élever un jour avec ton Dieu glorifié. Tu seras lavé avec l’hysope, l’humilité du Christ te purifiera. Au lieu de mépriser la bassesse de cette herbe, considère sa vertu médicale. J’ajouterai ceci, que disent d’ordinaire les médecins, et dont les malades font l’expérience : c’est que l’hysope a la vertu de guérir les poumons. Or, le poumon est le symbole ordinaire de l’orgueil ; il s’enfle et se dilate par la respiration. Il est dit de Saul persécuteur ou de Saul l’orgueilleux, qu’il courait pour lier les chrétiens, ne respirant que le meurtre ; son poumon n’était point pur, et il respirait le meurtre, il respirait le sang. Mais écoute combien est pur celui qu’a lavé l’hysope : « Vous me laverez avec l’hysope et je serai pur ; vous me laverez, et je serai plus blanc que la neige ». « Quand même », est-il dit ailleurs, « vos péchés seraient comme la pourpre, ils se blanchiraient comme la neige ». C’est de ceux-là que le Christ se forme un manteau sans tache et sans ride . De là vient que sur la montagne son vêtement parut blanc comme la neige , et fut le symbole de l’Église pure de tout péché. »

La pureté et surtout la purification est œuvre divine, et le psalmiste l’a bien compris : seul Dieu est pur, seul Dieu peut purifier. C’est pourquoi David implore Dieu. Une fois son double péché commis, il est dans l’impossibilité de se purifier lui-même : son péché lui colle à la peau, lui colle à la conscience. Il est obligé de faire appel à Dieu et c’est là l’œuvre de l’humilité et l’œuvre du salut. Ce besoin de Dieu est finalement sa grande sûreté, sa grande joie, si bien qu’il peut dire alors, quelques versets plus loin : « Rends-moi la joie d’être sauvé ». Oui, la bonne conscience, qui engendre la joie, ne vient pas de l’impression d’être sans péché, de n’avoir pas commis de faute, mais bien de savoir que par l’humilité et le regret, nous accédons au pardon de Dieu. Avoir bonne conscience ce n’est pas avoir confiance en soi, en sa vertu, en sa force, mais avoir confiance en Dieu qui est plus fort que notre péché. Voilà pourquoi ce verset que l’Église a retenu comme antienne au début de chaque messe dominicale, est tout plein d’espérance, il contient une promesse : je serai pur, je serai blanc, plus que la neige.

Asperges me UN asperges

Commentaire musical

Nos livres liturgiques ont retenu trois mélodies différentes de l’Asperges me. Les deux premières ont une origine commune, et c’est la plus simple des deux, comme souvent, qui est la plus ancienne, remontant sans doute au Xème siècle, tandis que ce qui peut être considéré comme son développement mélodique date plutôt du XIIIème siècle.

Ces deux mélodies font appel au 7ème mode qui est un mode festif : il y a là sans doute une indication du glissement du rite de l’aspersion de la lustration proprement pénitentielle vers la signification pascale, plus joyeuse.

Commençons par regarder la version la plus simple : l’intonation part du Sol, tonique du 7ème mode, rejoint vite le Do puis le Ré, dominante, sur laquelle la mélodie se pose. L’alternance podatus-clivis-podatus opère un petit bercement qui met en valeur l’accent de aspérges. Le tout est en élan : il convient donc de partir piano et de monter progressivement. Le nom du Seigneur, Dómine, arrive au sommet de cette antienne, bien ferme et appuyé sur son double Mi qui conduit même jusqu’au Fa, apex mélodique de toute la pièce. Le reste de la première phrase nous reconduit du Mi au Sol grave en passant par le Ré (accent de hyssópo) et suit une pente inverse de celle de l’intonation, Ré-Do-Sol, pour venir se poser sur la tonique du mode.

Asperges me DEUX asperges

La deuxième phrase commence exactement comme la première, mais elle ne monte pas ensuite, et après avoir touché le Mi mais seulement au passage, redescend selon une légère variante de la formule rencontrée dans la deuxième partie de la première phrase.

La mélodie plus tardive et plus ample du second aspérges me, en réalité le premier dans la présentation des livres liturgiques, apparaît clairement comme un déploiement de la mélodie du précédent. L’intonation est similaire, sauf que la clivis est devenue un climacus ; la montée se fait non pas jusqu’au Fa après un double Mi, mais jusqu’au Sol aigu après un simple Mi précédant un quilisma sur le Fa. L’apodose de la première phrase est très proche de celle de l’antienne précédente, mais simplement la clivis de et est à nouveau remplacée par un climacus plus ample, et le premier Sol de la cadence redondante est déployé en un torculus épisématique plus large.

La deuxième phrase reprend le même schéma que la première, en suivant la même évolution que dans la première antienne : une reprise identique, une montée moins élevée qui culmine sur le Fa, et une descente suivant une légère variante de la mélodie de la fin de la première phrase, avec un climacus se substituant à la clivis de et, et la première mora vocis de la cadence remplacée par un torculus épisématique.

En résumé, pour ces deux mélodies, l’une plus simple, l’autre plus ornée, les deux phrases suivent un même schéma ascendant et descendant mais plus marqué dans la première phrase où se situe l’apex, que dans la seconde.

Asperges me TROIS asperges

Voyons maintenant la mélodie du 4ème mode, qui est toute différente et qui sert pour les dimanches de l’Avent et du Carême. Cette mélodie est beaucoup plus intérieure, même si sa structure ressemble un peu à celle des mélodies précédentes, à savoir une composition en deux phrases musicales possédant chacune une protase et une apodose bien marquées, formant ainsi deux courbes bien régulières.

L’intonation, à l’inverse des précédentes, n’est pas en élan mais s’enroule autour de la tonique Mi, faisant entendre et le Fa à l’aigu et le Ré au grave. Ce n’est qu’après l’intonation que la mélodie monte, sur Dómine, faisant entendre les trois cordes typiques du mode de Mi, le Mi, le Sol et le La (cf. l’intonation du Te Deum), pour aller mettre en valeur davantage le mot hyssópo, et plus encore la première syllabe que l’accent tonique. À partir de la finale de hyssópo jusqu’à la fin de la phrase, la mélodie redescend doucement selon un belle alternance entre des clivis et des podatus qui donnent l’impression d’un bercement bien régulier. La mélodie se pose pour finir sur le Ré qui joue ici un rôle d’appui, celui de la sous-tonique.

La deuxième phrase part même du Do grave, et poursuit cette alternance de podatus et de clivis, mais en remontant cette fois jusqu’au Sol. On reconnaît ici la formule exacte mais transposée en écriture de l’Asperges me le plus ancien du 7ème mode Et à partir de et super, on retrouve la mélodie de la fin de la première phrase, sauf que la finale est constituée de deux punctum pointés placés directement sur la tonique Mi.

 

Écouter cette pièce :

Ou la deuxième mélodie :

Une moine de Triors

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